La carte des pratiques professionnelles et de la mobilité a été chamboulée par la pandémie. Quelles conséquences cette reconfiguration a-t-elle sur nos émissions de carbone ? Certains choix s’avèrent-ils plus judicieux pour les atténuer ? C’est à ces questions qu’une étude, lancée jeudi par l’Institut national de la recherche scientifique (INRS) et de nombreux partenaires, tentera de répondre.

À première vue, le télétravail peut apparaître comme une option plus saine pour l’environnement, puisqu’il réduit ou évite les déplacements vers les lieux professionnels. Mais derrière le voile de la simplicité se cache une réalité bien plus complexe. « Toutes sortes de facteurs sous-jacents rendent difficile de répondre à la question : le télétravail réduit-il notre bilan carbone ? », lance Louise Hénault-Ethier, professeure associée et directrice du Centre Eau Terre Environnement de l’INRS. Instigatrice de cette étude pionnière, elle souligne, à titre d’exemple, l’allongement des distances à parcourir consécutif à la fuite vers les banlieues, ou la consommation accrue de données ou de matériel nécessaires à l’aménagement d’un bureau à domicile.

Pour tenter de déterminer le nouveau profil d’émission de carbone de l’organisation du travail post-pandémique, puis émettre des recommandations en conséquence, l’étude menée en collaboration avec Partenariat Climat Montréal et Polytechnique Montréal se penchera d’abord sur les comportements et les impacts de la communauté de l’INRS (étudiants, personnel enseignant et administratif), avant de proposer d’appliquer la méthode à un éventail d’entreprises et d’organismes volontaires. Près d’une vingtaine d’institutions ont déjà signalé leur intérêt pour y participer, ce qui pourrait représenter un bassin de plusieurs milliers de personnes, estime Mme Hénault-Ethier, qui resteront sous la loupe des chercheurs pendant trois ans.

Calcul englobant

Fixée dans les prochaines semaines, la méthode de collecte des données se ferait par sondages, questionnaires et enquêtes ; mais aussi, éventuellement, au moyen d’applications mobiles ou de l’intelligence artificielle. Les résultats seront ensuite convertis et calculés en émissions de gaz à effet de serre, notamment grâce à l’expertise de Louis-César Pasquier, spécialiste de la séquestration du carbone à l’INRS.

L’institut s’était déjà prêté à un tel exercice avant la pandémie, mais le calcul s’était cantonné au strict cadre professionnel. Une telle méthode s’avère peu adaptée au nouveau contexte économique et social. « Ça sera une première étude des effets sur les bilans des émissions indirectes de carbone. Souvent, on calcule les émissions directes, comme la consommation et les déplacements dans le cadre des fonctions professionnelles, mais tout ce qui relève du personnel et du télétravail est mis de côté, car ces données sont complexes à aller chercher », explique la chercheuse.

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Louise Hénault-Ethier, professeure associée et directrice du Centre Eau Terre Environnement de l’INRS

Catherine Morency, professeure à Polytechnique Montréal et titulaire de la Chaire Mobilité, renchérit : le tableau doit en effet aller bien plus loin que la simple suppression du trajet domicile-bureau. « Dans ce genre d’études, les autres effets rebond du télétravail sont souvent négligés, alors que l’on veut comprendre les impacts sur la mobilité globale, avec des changements structuraux comme des déménagements, l’acquisition d’un véhicule, le nombre de livraisons. […] Le fait de ne pas travailler au bureau peut générer d’autres comportements et d’autres déplacements, et ceux-là sont souvent faits avec une automobile ou dans des quartiers dépendants de l’auto », avance-t-elle. « La réorganisation du travail reconfigure le système d’activités au complet, la mobilité de l’ensemble des membres du ménage. Par exemple, si on avait choisi une garderie proche du lieu de travail, cela implique dorénavant des déplacements supplémentaires », illustre Mme Morency.

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Le retour progressif au bureau ou les systèmes hybrides télétravail/présence au bureau aura probablement des effets sur le bilan carbone de certains professionnels, qui ont été nombreux à s’installer en banlieue ou en région pendant la crise de COVID-19.

A priori, le transport représentera une empreinte proéminente, mais d’autres aspects pèseront probablement dans les calculs, comme le recours plus intensif à l’infonuagique (pour les besoins des visioconférences, entre autres) et de l’électronique, que les télétravailleurs consomment davantage. « Nous verrons si d’autres éléments sont à prendre en considération, comme la multiplication du matériel : par exemple, si vous avez un ordinateur ou une chaise au bureau, mais que vous en avez un autre pour travailler à la maison », indique Louise Hénault-Ethier.

Dans l’optique de meilleures pratiques

Le but ultime : pouvoir formuler les meilleures recommandations aux entreprises et aux organismes qui souhaiteraient réduire ou compenser l’empreinte carbone de leur personnel dans ce contexte inédit. « Si on constate par exemple que les employés prennent leur voiture au lieu d’acheter une carte d’autobus mensuelle pour aller travailler deux jours par semaine au bureau, peut-être que les organisations voudront les aider à accéder à des cartes mensuelles à coût modique, pour éviter que l’on convertisse moins de déplacements par plus d’autos. Avec des données probantes, cela va aider les organisations à adopter des politiques et des plans d’action qui auront la plus grande réduction sur l’empreinte carbone à un coût plus réaliste », conclut Mme Hénault-Ethier.