Pleurs, stress, anxiété, panique… Certains enfants, privés de l’accompagnement de leurs parents, vivent des moments éprouvants dans les cabinets des dentistes et orthodontistes depuis le début de la pandémie. Des parents réclament un assouplissement des règles.

« Elle était inconsolable. Elle était dans un état épouvantable, ça faisait peur. Et cela a duré deux heures après le rendez-vous. »

Josée Labelle, une mère de famille de Repentigny, se remémore péniblement l’état de sa fille de 9 ans après un rendez-vous chez le dentiste. Charlie-Rose a dû se faire couper le frein labial pour éviter un déchaussement des dents… et l’intervention a eu lieu sans la présence de sa mère. Comme pour tous les parents cités dans ce texte, la visite a eu lieu au cours de la dernière année.

« On ne m’avait pas prévenue que je ne pourrais pas être avec elle », raconte la femme de 37 ans.

Ma fille m’a lancé un regard qui voulait dire “ne me laisse pas” et elle est partie. Elle a tout gardé à l’intérieur… Et moi, j’ai argumenté, mais on ne m’a pas laissée entrer. J’ai attendu dans ma voiture pendant 30 minutes.

Josée Labelle

Ce qu’elle déplore le plus de cette situation déchirante, c’est l’attitude du personnel. « On m’a fait sentir comme si c’était moi qui étais trop intense, trop protectrice ou anxieuse, dit Mme Labelle. Ça n’a été un moment agréable pour personne. Et depuis, l’anxiété de ma fille liée aux visites chez le dentiste a augmenté. »

Reléguée à la salle d’attente pendant que sa fille de 5 ans se faisait réparer trois caries, une première expérience pour elle, Anne-Marie Auger a défié la secrétaire qui lui interdisait l’accès à la salle. « J’entendais Claire pleurer et on m’a répété que malheureusement, je ne pouvais pas aller la voir, confie la Sherbrookoise de 36 ans. Je voulais être bonne élève et suivre les directives, mais à un moment donné, quand tu entends les sanglots de ton enfant, c’est insoutenable ! »

PHOTO MAXIME PICARD, LA TRIBUNE

Anne-Marie Auger et sa fille Claire

Au bout de cinq minutes, Mme Auger est allée voir sa fille. « Tout le personnel m’a fait de gros yeux. Clairement, je n’étais pas la bienvenue », laisse tomber celle qui a changé de clinique dentaire.

Même scénario chez l’orthodontiste

Mère de trois filles, Marie-Noëlle Poirier a vécu une situation semblable avec Léonie, 8 ans, lors d’une visite qui a eu lieu la semaine dernière. Sa cadette a été contrainte d’aller à son premier traitement d’orthodontie seule pendant qu’elle et son conjoint attendaient dans l’auto. « En sortant, elle était en larmes, souligne la Montréalaise, alors qu’on m’avait clairement fait sentir que ma demande d’être présente dérangeait et qu’elle était inappropriée. »

Le fils de 13 ans de Patrick Lepage est aussi allé à son traitement d’orthodontie sans être accompagné. Et bien que cela n’ait pas causé de stress particulier à son adolescent, le père de famille de 48 ans de Bois-des-Filion n’a pas apprécié la suite du rendez-vous.

Puisque j’avais des questions, j’ai attendu que mon fils revienne pour aller rencontrer le personnel. À la suite de notre échange, on avait besoin des commentaires de mon gars… alors je suis retourné le chercher et moi, j’ai attendu à nouveau. On nous a interdit d’être présents en même temps. On aurait dit qu’on était au Pentagone !

Patrick Lepage

Amélie Laprade, une mère de famille de 49 ans de Gatineau, a vécu la même situation avec sa fille de 10 ans qui est allée seule à sa consultation en orthodontie : « Les informations ne se rendent pas, ou pas comme il faut. Ça manque de suivi. Et ça génère beaucoup de frustrations ! »

Besoin d’assistance

Le ministère de la Santé et des Services sociaux a émis des directives concernant les procédures buccodentaires. Le document de 91 pages a été révisé deux fois, en septembre 2020 et en avril 2021.

Il y est indiqué que le professionnel doit « demander au patient de se présenter seul à son rendez-vous » (quel que soit l’âge du patient) et que « si celui-ci a besoin d’une assistance », il doit autoriser « un seul accompagnateur », lequel, sauf exception, « ne sera pas admis dans la salle de traitement ni dans la salle d’attente ».

Le document indique également que l’accès à la salle de traitement doit être limité « au patient uniquement », mais que « si la présence d’un accompagnateur est requise et qu’il est en contact étroit avec le patient, il n’a pas à respecter le 2 mètres ».

Marie-Louise Harvey, relationniste au Ministère, fait valoir que « ce n’est pas le nombre d’éclosions qui est considéré dans ces mesures, mais bien le risque de transmission du virus ». Elle précise que l’accès des parents aux salles de traitement est « au bon jugement des intervenants et des parents », et que « chaque dentiste a sa philosophie de pratique lors de ses interventions pour la gestion du comportement des enfants ».

Gros bon sens

À l’Ordre des dentistes du Québec, aucune plainte liée au non-accompagnement par les parents n’a été portée à l’attention du président, le Dr Guy Lafrance.

Il précise que dans sa pratique, à sa clinique de Gatineau, il est à l’écoute de ce que préfère le parent ou l’enfant.

Parfois, un accompagnateur est nécessaire, avec un enfant plus jeune ou plus anxieux, par exemple. Ça prend une bonne communication. Est-ce que les mesures doivent être revues ? Peut-être qu’il est temps de réajuster le tir.

Dr Guy Lafrance, président de l’Ordre des dentistes du Québec

Le ministère de la Santé et des Services sociaux confirme que « le sujet sera abordé avec l’Ordre des dentistes du Québec afin de déterminer si un rappel des directives doit être fait auprès des dentistes », commente Mme Harvey.

La Dre Catherine Lessard, présidente de l’association des Dentistes propriétaires du Québec, explique pour sa part que la présence des parents est parfois nuisible dans la salle de traitement. « Dans 90 % des cas, ça se passe bien quand le parent n’est pas là. Il arrive que le parent transpose sa propre anxiété sur son enfant… Le travail devient aussi moins sécuritaire, car l’enfant tourne la tête pour voir son parent. »

Elle précise que « jamais elle ne se rendrait aux pleurs d’un enfant sur sa chaise », car alors « il ne voudra pas revenir ».

Du côté de l’Association des orthodontistes du Québec, la présidente, la Dre Sonia Lapointe, remarque qu’il peut être « agréable pour l’enfant d’aller au-delà de ses peurs et de ressentir une fierté » d’être allé seul à son rendez-vous. « Mais cela ne doit pas se faire en forçant la note, déclare-t-elle. Il faut faire preuve de gros bon sens, d’humanité et de flexibilité. »