Les tests de personnalité sont partout. Sur l’internet, dans les réseaux sociaux, dans les magazines féminins et – beaucoup plus sérieusement – en milieu de travail. Quand sont-ils pertinents ? Quelles sont leurs limites ? Notre journaliste s’est prêtée au jeu.

Dans la pièce, on entendrait une mouche voler.

Nous sommes dans les bureaux de l’agence créative LG2, à Montréal, en rencontre de consolidation d’équipe. Six employés et deux directrices viennent de recevoir leur profil « Insights Discovery », un document d’une quinzaine de pages. Et ils le lisent. Attentivement.

« Je ne pense pas me tromper en disant que c’est la plus longue minute de silence que vous aurez connue ! », lance le coach organisationnel Simon Lafortune, qui anime la séance d’équipe.

Quelques jours plus tôt, ces mêmes salariés ont répondu, en ligne, à 25 questions. On leur demandait de classer en ordre des paires de caractéristiques, en fonction de ce qui les décrit le mieux dans un environnement de travail.

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Simon Boisvert et ses collègues découvrent leur profil Insights.

Avec leurs réponses, l’algorithme a produit un rapport pour chacun d’entre eux et leur a attribué l’un des huit types de personnalité, associés à des couleurs.

L’Insights Discovery est un outil psychométrique basé sur la théorie des types psychologiques, proposée en 1920 par le psychiatre suisse Carl Jung. Selon cette théorie, nous aurions tous des préférences dans notre mode de perception (sensation ou intuition) et de prise de décision (pensée ou sentiment), ainsi que des attitudes (extraversion ou introversion).

Simon Boisvert hoche la tête en lisant la synthèse de son rapport. On devine un sourire derrière son masque. L’algorithme le décrit comme un « inspirateur », associé à la couleur jaune : un être sociable et persuasif qui aime qu’on l’implique. « Ça correspond à la perception que j’ai de moi », dit-il.

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Une équipe de l’agence LG2 discute des types de personnalité de ses membres.

Arnaud Doyon, lui, est un « directeur », caractérisé par le rouge : déterminé, compétitif, orienté vers les résultats. À l’opposé du spectre se trouve la directrice de groupe, Véronique Desroches. Sa couleur prédominante ? Le vert. C’est une « supporteur », une bonne oreille qui facilite le travail d’équipe. Elle a passé le même test il y a une dizaine d’années et elle aime son évolution. « J’ai eu des chums qui m’ont comprise moins bien que ça ! », lance-t-elle, provoquant un éclat de rire dans la pièce.

Claire Daniel, pour sa part, a obtenu un mélange de vert et de bleu (prudence, précision, mesure). Elle est aussi fascinée par la justesse de certains énoncés dans son rapport. « Comme celui-ci, dit-elle : elle sera souvent agacée par ceux qui parlent trop. » « Oupelaï ! », lance le volubile Simon Boisvert (un jaune, doit-on le répéter), faisant à nouveau rire les collègues.

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Pascal Savard, psychologue organisationnel et conseiller en ressources humaines agréé

Dans la pièce règne une belle ambiance. C’est indéniable : les gens aiment les tests de personnalité. Pourquoi ? « Parce que la chose dont les gens aiment le plus parler, c’est d’eux », répond d’emblée Johanne Charbonneau, coach professionnelle et cofondatrice d’Harieka Groupe Conseil, qui organise l’activité chez LG2. Le but de la rencontre, dit-elle, est de mieux se connaître et de mieux communiquer.

« L’être humain est un animal social, souligne Pascal Savard, psychologue organisationnel et conseiller en ressources humaines agréé. C’est vraiment important pour nous de connaître notre place dans le groupe, notre valeur ajoutée, la perception que les autres ont de nous. Ça occupe une place très importante dans nos réflexions. »

Des limites

Johanne Charbonneau le dit d’emblée : il peut y avoir un effet pervers aux tests de personnalité. D’où l’importance, dit-elle, d’animer ce type de rencontre pour mettre les choses en contexte.

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Johanne Charbonneau, cofondatrice d’Harieka Groupe Conseil

« Par exemple, si je vous étiquette comme étant rouge, quand je vais entrer en relation avec vous, je ne vais pas nécessairement penser aux caractéristiques extrêmement positives de ce type de personnalité, mais plus aux zones d’ombre », souligne-t-elle. Ces tests ne reflètent que des préférences dans des dimensions précises de la personnalité, dit-elle, et il serait « réducteur » de s’en servir pour étiqueter. Le coach Simon Lafortune souligne qu’on a tous les quatre couleurs en soi et que nos préférences varient dans le temps et en fonction de l’environnement.

L’importance que l’on accorde aux résultats de ces tests de personnalité rapides a d’ailleurs fait l’objet de critiques dans les dernières années, tant dans les médias que dans des ouvrages. On a notamment décrié leur côté binaire, alors qu’on peut très bien être la fois extraverti et introverti, à la fois analytique et émotif.

Dans son livre Personality Isn’t Permanent, publié l’an dernier, le psychologue et auteur Benjamin Hardy avance que les tests de personnalité nous enferment dans des visions en tunnel de soi, alors que la personnalité est quelque chose qui évolue. Dans The Personality Brokers, publié en 2018, l’auteure Merve Emre jette pour sa part un regard critique sur les fondements du très populaire test de Myers-Briggs, aussi basé sur la théorie de Carl Jung.

« Il faut toujours utiliser les tests psychométriques avec nuance et doigté, indique Martin Cloutier, psychologue organisationnel et président de Pixonality, une entreprise québécoise spécialisée en distribution de tests psychométriques. C’est sûr qu’un inventaire de personnalité qu’on remplit en 15, 20 minutes va chercher à mettre les gens dans des cases. Mais la personnalité, c’est beaucoup plus nuancé qu’une case. » L’important, dit-il, c’est d’utiliser un test dans l’objectif pour lequel il a été conçu.

Le test Insights, par exemple, est un outil de communication. Lorsqu’il est utilisé en rencontre de développement d’équipe, « c’est intéressant », estime le psychologue organisationnel Pascal Savard.

Développement et recrutement

En milieu de travail, l’utilisation des tests psychométriques dépasse largement le cadre des rencontres de consolidation d’équipe.

Alors qu’il y a 20 ans, ils étaient d’abord utilisés en sélection, le contexte de pénurie de main-d’œuvre change la donne : aujourd’hui, on s’en sert beaucoup en rétention d’employés, en développement et en gestion de carrière, énumère Martin Cloutier, de Pixonality. Les organisations qui ont une force d’attraction les utilisent aussi en sélection, y voyant un outil d’évaluation simple et facile à gérer.

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Martin Cloutier, psychologue organisationnel, fondateur et président de Pixonality

Les tests psychométriques utilisés à ces fins sont beaucoup plus exhaustifs et beaucoup plus évolués que les tests rapides populaires. « Il n’y a pas de conseil d’administration qui va dire : moi, je veux embaucher un rouge comme président. Ça ne marche pas comme ça », illustre Martin Cloutier.

Les tests psychométriques comportent plusieurs catégories : inventaires de personnalité (extraversion ou introversion, agréabilité, adaptabilité aux changements, gestion des émotions), tests cognitifs, inventaires d’intérêts, tests comportementaux, simulations de travail…

Plus le test est long, plus le résultat est stable, et plus il est utile.

Pascal Savard, psychologue organisationnel

Selon Martin Cloutier, les organisations devraient toutefois nuancer les résultats des tests psychométriques des candidats en entrevue – ce qui n’est pas toujours fait, convient-il. « Les tests psychométriques, c’est un élément parmi un ensemble d’éléments à considérer dans une candidature », indique-t-il.

D’ailleurs, note Pascal Savard, la recherche montre que l’entrevue d’embauche permet de prédire beaucoup mieux la performance au travail que les tests de personnalité. Pourquoi ? Parce que ces tests permettent de mesurer la variante entre les individus, mais pas la variante à l’intérieur même de l’individu. « Et c’est une erreur de penser qu’une personne est constante dans sa manière d’agir », dit-il.

Pascal Savard cite une étude menée en 2011. Elle montre que la variation de comportements d’une personne par rapport à un trait de personnalité est due à 70 % au fait que cette personne agit différemment selon le contexte et à seulement 30 % par des différences entre les individus.

« Ces tests ont une utilité, mais il faut faire attention de ne pas leur donner plus d’importance qu’ils devraient en avoir », conclut Pascal Savard.

L’expérience de notre journaliste

ILLUSTRATION JULIEN CHUNG, LA PRESSE

Dans le cadre de ce reportage, l’auteure de ces lignes a passé différents tests de personnalité. Compte rendu de son expérience.

Les tests de personnalité gratuits offerts sur l’internet pullulent. C’est avec eux que nous commençons notre exploration des tests de personnalité, nous qui n’en avons pas passé depuis notre abonnement au magazine Filles d’aujourd’hui dans les années 1990.

Mise en garde : contrairement aux inventaires de personnalité utilisés par des gestionnaires en ressources humaines, des psychologues et des conseillers en orientation, ces tests gratuits sur le web ne sont pas validés scientifiquement.

Il y a clairement une différence entre les tests gratuits et les bons tests, créés par de bons éditeurs.

Pascal Savard, psychologue organisationnel

Sans grande attente, donc, nous passons trois tests gratuits, qui se veulent des imitations du test de Myers-Briggs. Ces tests – très populaires sur les réseaux sociaux – établissent notre type de personnalité en quatre lettres : E ou I (extraverti ou introverti), S ou N (sensation ou intuition), T ou F (pensée ou sentiment) et J ou P (jugement ou perception).

Les sites truity.com et humanmetrics.com nous affublent du type ENFP, nous décrivant comme une créatrice passionnée dotée d’un enthousiasme contagieux pour les gens et les nouvelles idées. Le site 16personnalities.com s’inscrit en faux : nous serions plutôt une ISFP, une artiste chaleureuse et ouverte d’esprit sans aucun doute introvertie. Bon.

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L’outil psychométrique Insights Discovery détermine des types de personnalité en quatre couleurs.

Outils validés

On passe maintenant aux outils validés, en commençant par l’Insights Discovery, conçu pour décrire notre type de personnalité au travail. C’est le bleu et le vert qui ressortent. Nous sommes une « coordinatrice », portée sur l’introversion et la sensation. « Catherine est d’une rigueur constante et méthodique, avec de grandes capacités de concentration », est-il écrit dans notre rapport. C’est vrai au travail, confirment nos supérieures, mais moins à la maison, estime notre douce moitié, qui fait gentiment valoir notre côté lunatique et bordélique. On ne peut lui donner tort.

Si le rapport reflète plutôt bien nos forces et nos faiblesses au travail, quelques points nous surprennent, comme un penchant pour la technique (avons-nous raté notre vocation ?) et une impatience envers les gens qui n’adhèrent pas aux horaires et aux procédures (sommes-nous une intransigeante refoulée ? ).

Enfin, l’entreprise Pixonality nous fait passer un ensemble de tests combinés Humance : un test cognitif, quatre inventaires de personnalité et un questionnaire de disposition au développement. Nous y mettons deux bonnes heures. Et nous y répondons avec transparence, même pour les questions relatives à l’organisation (parfois défaillante à la maison, faut-il le répéter) et à la gestion du stress.

Les résultats sont normalisés. On nous place sur des échelles, qui permettent de nous comparer avec la moyenne des gens.

Nos forces : l’habileté de raisonnement abstrait, la pensée conceptuelle, la profondeur d’analyse et la flexibilité interpersonnelle. Nos faiblesses : le sens de l’innovation, l’influence sur le groupe, la gestion du stress et… la rigueur ! Par rigueur, on parle du respect des règles et des procédures, de la maîtrise des dossiers, de l’ordre et de la structure. Bref, NOTRE grande force, selon l’Insights Discovery !

« Les tests ne mesurent pas la variante intra-individuelle », nous avait prévenue le psychologue organisationnel Pascal Savard. Et il avait totalement raison.