Des déguisements parmi les plus à la mode de cette fête d’Halloween ne sont pas les bienvenus dans de nombreuses écoles primaires du Québec. Annoncée aux parents tardivement (jeudi dans certains cas), la décision d’interdire les costumes verts et roses de la populaire série Squid Game fait réagir.

Mercredi, Le Journal de Québec a rapporté que des écoles interdisaient aux enfants de revêtir les tenues des personnages de Squid Game (Le jeu du calmar), série sud-coréenne classée 18 ans et plus offerte sur Netflix, où des personnes sont exécutées lors de jeux pour enfants sanguinaires. À New York, quelques écoles ont aussi décidé de bannir ces costumes, ont indiqué plusieurs médias américains.

Ce n’est pas la nature même du déguisement qui choque, mais plutôt ce qu’il évoque. Dans un article publié plus tôt ce mois-ci dans La Presse, des enseignants se disaient pris de court par le phénomène alors que, dans les cours d’école, des enfants faisaient semblant de se tirer dessus ou jouaient à une version « mortelle » de 1, 2, 3, soleil.

Lisez l'article « Le jeu du calmar s'invite dans la cour d'école »

De nombreuses directions d’école primaire, à Montréal comme à Laval, ont ainsi décidé d’interdire ces costumes, a constaté La Presse en lançant des appels aux parents sur les réseaux sociaux. Nous en avons recensé rapidement une quinzaine sur le territoire de plusieurs centres de services scolaires (CSS) de la région de Montréal.

Il s’agirait d’une décision propre à chaque établissement. Selon nos sources, le centre de services scolaire de Montréal n’a pas donné de directive en ce sens aux directions ou aux parents. Le centre de services scolaire de Laval ne l’a pas fait non plus, bien qu’il ait récemment transmis un appel à la vigilance aux parents par rapport à la violence véhiculée dans la populaire série.

« Il appartient à chaque école de transmettre annuellement aux parents les consignes applicables concernant les festivités d’Halloween, notamment quant aux costumes permis, explique Annie Goyette, porte-parole du CSS de Laval. Il est habituel que les costumes à connotation de violence soient interdits à l’école. » En 2016 notamment, des écoles avaient demandé aux parents d’éviter les costumes de clown alors que des clowns méchants, parfois armés, s’amusant à effrayer, voire agresser des gens, faisaient la manchette.

PHOTO MOHD RASFAN, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Des amateurs de costumade (cosplay) habillés comme des personnages de la série Netflix Squid Game à Kuala Lumpur, en Malaisie

Les parents de l’école Saint-Jean-de-Brébeuf, dans le quartier Rosemont, ont appris jeudi matin que les déguisements de la série Squid Game seraient interdits. Dans un courriel obtenu par La Presse, le directeur de l’établissement primaire a convenu que la directive arrivait « un peu tard ».

« Étant donné que ce contenu est destiné à des adultes et que de la violence présentée dans cette série est dommageable pour les enfants de l’avis de nombreux spécialistes en santé et en éducation, je vous informe que tout costume ou objet faisant référence à cette série est strictement interdit, a-t-il écrit. Cette série (malheureusement) populaire auprès des jeunes ne véhicule aucunement les valeurs de notre école. »

D’autres écoles ne spécifient pas le nom de la série dans ses directives concernant l’Halloween, mais l’évoquent, comme l’école Face, à Montréal : « Un costume qui rappelle une série télévisée ou un film violent est considéré comme un choix inacceptable. » Le centre de services scolaire Marguerite-Bourgeoys et le centre de services scolaire de la Pointe-de-l’Île n’ont pas répondu à nos courriels, jeudi.

Le ministre Roberge en désaccord

Interpellé à ce sujet, le ministre de l’Éducation, Jean-François Roberge, s’est dit en désaccord avec l’interdiction des costumes de Squid Game. Dans une déclaration écrite envoyée à La Presse, il affirme que « depuis toujours, les enfants se déguisent en personnages de film d’horreur ou autres personnages effrayants ».

« Ce n’est pas nouveau. Je ne crois pas qu’on doive empêcher les enfants de se déguiser en ce qu’ils souhaitent pour l’Halloween. On fait confiance au jugement des parents et des équipes-écoles », dit-il.

Lisez « Le ministre Roberge favorable aux costumes de Squid Game »

Or, sur les réseaux sociaux, de nombreux parents se sont dits favorables à la décision de la direction de leur école d’interdire le déguisement.

Philippe Jacques, dont le fils de 7 ans fréquente l’école Saint-Jean-de-Brébeuf, n’en revient pas de la position du ministre, qui, lors d’une mêlée de presse, jeudi, a associé l’interdiction de se costumer en personnage de Squid Game à la culture « un peu extrême du bannissement ».

Selon Philippe Jacques, qui travaille dans le domaine des communications, la nouvellement célèbre combinaison rouge de la série Squid Game n’a tout simplement pas sa place dans les écoles.

« C’est tellement présent dans l’actualité que je trouve ça correct de l’interdire, simplement pour arrêter d’en faire la promotion », dit-il.

J’ai écouté cette série par curiosité. C’est très bien fait, c’est accrocheur, mais c’est d’une violence incroyable. Le concept même est d’une violence incroyable. Les enfants n’ont pas la maturité pour faire la part des choses.

Philippe Jacques

Son fils en entend beaucoup parler à l’école. Il revient à la maison avec des détails précis sur la série tant les camarades en parlent. « Dans quelle société vivons-nous si nous devons envoyer un courriel pour rappeler que les valeurs véhiculées dans cette série ne sont pas cohérentes avec l’école ? », se demande-t-il.

Question de cohérence

Selon Audrey Caron, psychoéducatrice en pratique privée, c’était la bonne décision à prendre. « Quand les jeunes se costument, ils ont tendance à reproduire les gestes ou les comportements de leur personnage. C’est ce qu’on cherche à éviter », expose-t-elle. Permettre ces costumes à l’école pourrait aussi contribuer à alimenter le phénomène.

PHOTO FOURNIE PAR AUDREY CARON

Les enfants qui ont la chance de ne pas connaître Squid Game et qui voient des jeunes arriver avec ce costume, ils vont poser des questions.

Audrey Caron, psychoéducatrice en pratique privée

Mais une exception ne devrait-elle pas être faite pour l’Halloween, fête de la transgression et de l’épouvante ? « Il y a un enjeu de grande violence dans cette série, rappelle-t-elle. Nos interventions vont être plus efficaces si elles sont cohérentes. Dire aux enfants que ce n’est pas approprié pour leur âge, mais leur permettre de porter ces costumes, ce ne serait pas cohérent. »

À son avis, c’est le degré de violence qui doit déterminer où l’on trace la ligne. Les Batman, Superman et autres superhéros de ce monde, friands de la bataille, sont d’ailleurs bienvenus (et très nombreux) dans les écoles et les garderies. « Il y a une différence entre jouer à se battre et imiter des superhéros, et jouer à se tuer, souligne Mme Caron. Jouer à se battre fait partie de l’apprentissage d’un enfant. Squid Game, c’est un niveau de violence auquel on ne veut pas exposer les enfants. »

Avec la collaboration d’Hugo Pilon-Larose, La Presse