De fil en aiguille, le Grand Costumier poursuit sa mutation et s’apprête à ajouter une nouvelle offre à sa panoplie : l’organisme montréalais, qui gère la collection de costumes héritée de Radio-Canada, a annoncé la création d’un pôle de formation qui aidera les artistes 3D du jeu vidéo, avides de réalisme, à maîtriser les bases du patron et de la couture. Une première incursion dans le monde numérique et ce secteur porteur, qui devrait lui permettre de pérenniser sa mission.

Tout est parti de la requête d’un développeur d’Ubisoft, qui a contacté le Grand Costumier afin d’observer de près un uniforme militaire et le reproduire fidèlement dans l’un de ses jeux. Ce qui n’a pas manqué de mettre une puce (électronique) à l’oreille de Marie Houde, directrice générale de l’institution : n’y avait-il pas là un pont à bâtir entre la collection de 100 000 accoutrements et les studios qui habillent, à grande échelle, toutes sortes de personnages virtuels ?

En premier lieu, l’idée d’une banque de costumes numériques s’est dessinée, mais après analyse, le projet a finalement abouti à la mise sur pied d’une formation destinée aux artistes 3D. Le Grand Costumier aura ainsi l’occasion de transmettre son expertise en confection de patrons et couture pour les aider à créer plus efficacement des habillements virtuels animés réalistes.

« Le secteur du jeu vidéo, avec lequel on travaille le plus en ce moment, est très dynamique et il y a un souci de définition très pointu. Nous nous sommes donc demandé si notre expertise pouvait être transférable à ce milieu-là », indique Marie Houde, qui a tissé un réseau de partenaires, dont le Centre de développement et de recherche en intelligence numérique (CDRIN), la Guilde du jeu vidéo du Québec et divers studios de développements.

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Marie Houde, directrice générale du Grand Costumier

On a découvert que la connaissance en couture et en patrons était quelque chose qui manquait à ces artistes 3D. Il y a beaucoup de perte de temps, d’essais-erreurs, ils vont reproduire ce qu’ils voient sans comprendre la logique de confection d’un vêtement dans le réel. Nous, notre valeur ajoutée, c’est de les amener à comprendre cette logique.

Marie Houde, directrice générale du Grand Costumier

La formation devrait être prête à la fin de l’année, sa mise en place bénéficiant d’un appui financier gouvernemental. Son intégration à des programmes scolaires ou son extension à d’autres secteurs (publicité, design, cinéma d’animation…) n’est pas exclue, de même que la création d’autres formations.

PHOTOS FOURNIES PAR LE GRAND COSTUMIER

Pour reproduire une maison de façon réaliste, connaître les bases de l’architecture est indispensable. Il en va de même pour la reproduction de costumes : comprendre comment ils sont conçus aidera grandement les artistes 3D à les reproduire de façon convaincante dans un jeu.

Tricoter le réalisme

La production et l’animation de costumes dans le jeu vidéo posent des défis de plus en plus complexes aux studios, avec des consoles toujours plus puissantes et des normes d’animation confinant à l’ultraréalisme. Fini, les capes rigides et les toges mal taillées, plaquées sur les protagonistes comme avant ; il faut désormais que tout cela épouse les personnages et leurs mouvements, comme dans la vraie vie. Julien Coll, conseiller recherche et innovation et artiste 3D au CDRIN, explique en quoi l’expertise du Grand Costumier est précieuse : « Si on ne comprend pas la conception d’un costume, la tension entre deux pièces, la jonction entre deux morceaux, etc., quand on va mettre le costume sur le personnage et appliquer la gravité, on va se retrouver avec des plis ou un costume qui ne tombe pas droit. »

Pour M. Coll, se priver de cette base théorique se compare au fait de former de nouveaux architectes 3D sur un logiciel 3D perfectionné sans leur apprendre les bases de l’architecture.

PHOTO ELISABETH DALFERRO, FOURNIE PAR LE GRAND COSTUMIER

Les costumes de la collection sont à la disposition des studios s’ils veulent les étudier de près, voire les numériser.

Un premier pas numérique

Des coutures aux pixels, il s’agit d’une première jonction avec le monde numérique pour le Grand Costumier, qui ne cesse de se réinventer depuis sa mue fin 2015 – Radio-Canada ayant décidé de le fermer, il a finalement été maintenu à flot sous forme d’OBNL. Ces dernières années, outre sa mission de préservation et de restauration, une grande partie de ses activités consiste à louer des pièces de sa collection aux studios de cinéma et de télévision, du Québec à Vancouver en passant par Hollywood, avec notamment Netflix, Disney ou Amazon comme clientèle. Un scénario qui a rondement fonctionné… sauf quand la pandémie a frappé.

Les affaires viennent certes de reprendre avec force dans ce secteur, mais le besoin de chercher d’autres terrains d’affaires en dehors de cette connexion tissée serré s’est fait sentir. « Effectivement, l’objectif est de diversifier nos revenus, d’aller chercher une autre offre de services, parce qu’on a bien vu, pendant la pandémie, quand les productions [audiovisuelles] ont fermé pendant des mois, qu’on est dépendants de ces revenus-là, constate Mme Houde. [Avec le jeu vidéo], on peut sécuriser des revenus provenant d’un secteur différent qui, de surcroît, est de portée mondiale. Les formations seront en ligne, bilingues, et donc pas uniquement pour les marchés montréalais ou canadien. »

  • La restauration des costumes de la collection est un autre front sur lequel se bat Le Grand Costumier.

    PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

    La restauration des costumes de la collection est un autre front sur lequel se bat Le Grand Costumier.

  • Plus de 100 000 costumes sont offerts à la location pour les grands producteurs audiovisuels.

    PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

    Plus de 100 000 costumes sont offerts à la location pour les grands producteurs audiovisuels.

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Un autre front de bataille actuel du Grand Costumier : l’opération de restauration de sa collection, certaines pièces ayant grand besoin d’un coup de Singer. Après avoir hiérarchisé l’urgence des cas, reprises et rapiéçages peuvent maintenant débuter. Ce qui permet de faire d’une pierre deux coupes : « C’est une question de préservation du patrimoine, tout en permettant d’offrir à notre clientèle des costumes de très haute qualité, répondant aux attentes des productions d’envergure », souligne Marie Houde.

Comptant quatre employés lors de son désarrimage de Radio-Canada en 2015, l’organisme a triplé ses effectifs, et commence même à se sentir à l’étroit dans ses locaux, ce qui pourrait constituer l’un de ses prochains défis : trouver la taille au-dessus.