J’ai commencé à décrisper quand j’ai eu ma première dose de vaccin – non sans avoir été deux jours courbaturée et migraineuse, puisque c’était l’AstraZeneca, la dose de la génération qui a toujours sauté sur les restants. Parce que je vous jure qu’au début de cette pandémie, j’étais sur le point de faire mes arrangements funéraires. Je sortais à peine d’une pneumonie interminable (on ne saura jamais si c’était la COVID-19) et je me sentais nue face à ce virus dont on ne connaissait encore presque rien.

Bref, j’ai été 14 mois dans un stress latent et constant, à craindre de choper cette cochonnerie ou de la refiler à mes proches. À ne voir que les deux ou trois personnes de ma bulle avec précaution. À compter les jours qui me séparaient des rares fois où j’ai pris des risques, comme être en voiture avec mon frère ou, l’été dernier, quand je suis allée au restaurant, le peu de temps qu’ils ont pu ouvrir.

PHOTO GRAHAM HUGHES, LA PRESSE CANADIENNE

« Bien sûr que nous allons devoir être prudents et maintenir des mesures barrières encore pour un temps, mais cette fois, c’est vrai, on sent qu’on est sur le point de se revoir, même un peu abîmés », écrit Chantal Guy.

Mais c’est fou à quel point l’humain est un être d’adaptation. Sur la patère à l’entrée de mon appartement, il y a une dizaine de masques bleus entre les foulards et les manteaux. J’en ai tout le temps deux ou trois chiffonnés dans mes poches ou au fond de ma sacoche (alors qu’au début, je les manipulais avec un soin chirurgical). Je supporte mieux le masque, si bien que des fois, j’oublie de l’enlever quand je sors d’un commerce.

Je me lavais les mains toutes les heures, mais ça s’est calmé. En revanche, j’ai cessé de me laver les cheveux tous les deux jours assez tôt dans la pandémie. À quoi bon quand on reste chez soi ? Quant à cette tâche quotidienne de me coiffer, elle a été éliminée au profit de la queue de cheval permanente.

Un récent article du New York Times a révélé que beaucoup de gens ont commencé à se laver moins dans cette année de confinement. Ce qui n’a rien d’étonnant. Pour bien du monde, l’hygiène est plus une précaution sociale qu’une passion personnelle.

Lisez l’article du New York Times (en anglais)

En ce qui me concerne, comme la baignoire est l’un de mes endroits préférés pour lire, j’ai pris beaucoup plus de bains que de douche depuis un an. Mais j’ai vécu d’autres types de relâchements.

Je ne supporte plus le soutien-gorge et les pantalons serrés. J’ai beaucoup moins bougé et comme je n’ai jamais eu de pèse-personne chez moi, j’ai le trac de monter sur la balance quand je vais voir mon doc. J’ai tellement abusé des écrans que le soir, je contemple plus longtemps le ciel sur mon balcon que ma télévision. Contre toute attente, je me suis habituée au silence de la ville, alors que j’habite précisément dans ce triangle des Bermudes à Montréal fait de bars, de feux d’artifice et de festivals. Je me prépare psychologiquement à quelques insomnies, et j’ai presque hâte.

J’ai intégré la distanciation, et l’amoureux et moi, des fois, on se parle à deux mètres dans la maison sans s’en rendre compte. On se demande combien de temps on va conserver cet automatisme. Mais au moins, on a développé plein de nouvelles recettes pour recevoir les amis.

Ce qui me frappe le plus est l’épargne financière énorme sur ces trucs que je trouvais essentiels pour vivre en société. Produits de beauté, maquillage, vêtements, brushing, teinture, esthéticienne, manucure, parfums. J’ai l’air d’une coquette comme ça, mais à part les parfums et les petits pots de crèmes (penchant personnel), tout le reste m’emmerde. Les vêtements, surtout. Si je pouvais trouver un styliste qui me fixe un look pour les 20 prochaines années, genre Halston en noir (je viens de voir la série sur Netflix avec Ewan McGregor), je l’embaucherais sur-le-champ, car je déteste magasiner.

Quand je vais retourner à la vie sociale, les pièces les plus présentables de ma garde-robe vont être datées de 2019 et très peu usées. Je me dis que dans la rapidité de notre époque, ce sera peut-être revenu à la mode.

Si on évite de parler de la pandémie, mes sujets de conversation aussi vont dater de 2019. Qu’est-ce que des gens qui sortent de 14 mois de confinement et de couvre-feu vont avoir à se dire ? Que signifie le retour à la normale quand on a été déprogrammé de l’ordinaire, quand on se sent anormal, maintenant ? J’ai l’impression de devoir entamer de grands travaux sur ce corps qui a été au garage pendant un an, comme aller chez le dentiste, le coiffeur et l’ophtalmologiste, et j’entretiens honteusement quelques fantasmes de piqûres de Botox.

Bien sûr que nous allons devoir être prudents et maintenir des mesures barrières encore pour un temps, mais cette fois, c’est vrai, on sent qu’on est sur le point de se revoir, même un peu abîmés. Ce qui a tout changé par rapport à la naïveté de l’été dernier, et les vagues de contamination qui nous sont tombées dessus ensuite, ce sont les vaccins. Nous serons sûrement maladroits et mal à l’aise dans nos costumes, parfumés et poudrés peut-être de façon exagérée comme pour masquer l’odeur de renfermé d’où on émerge, trébuchant dans les conversations parce qu’on sera rouillés et trop excités par la stimulation de groupe. J’espère qu’on aura développé assez d’indulgence pour donner le droit à tout le monde d’être un peu nul quand on va retrouver les planches du théâtre social, comme on le sera avec les artistes qui vont remonter sur scène. Il faudra simplement briser la glace et surmonter notre trac. Et profiter de la période de grâce des vacances avant le Grand Retour à l’automne.

Je n’ai pas envie de vous dire « ça va bien aller », expression que j’ai rayée de mon répertoire. J’ai juste envie de dire « ça va nous revenir ». Peut-être même plus fort qu’avant, pour rattraper le temps perdu.