Déprimées et littéralement épuisées par ces longs mois de confinement, les familles peinent à voir la lumière au bout du tunnel. Une chercheuse qui suit 150 familles québécoises depuis le début de la pandémie sonne l’alarme. Explications en trois temps.

Des parents déprimés et des enfants anxieux

Non, les parents ne vont pas mieux en ce beau printemps. Au contraire. Leur santé mentale est même « vraiment préoccupante », carrément en « détérioration », constate Christine Gervais, professeure au département des sciences infirmières de l’Université du Québec en Outaouais, qui mène, avec deux collègues, une enquête inusitée depuis le début de la pandémie. Baptisée Réactions – Récits d’enfants et d’adolescents sur la COVID-19, l’étude porte sur 150 jeunes (de 7 à 17 ans) et autant de parents (de 28 à 69 ans), interrogés à différents moments clés de la dernière année. Les derniers chiffres (portant à date sur 70 familles), récoltés en cette troisième vague (depuis la fin avril et jusqu’à la fin mai), sont sans équivoque : 58 % des parents (contre 46 % en novembre) ont désormais des symptômes dits « significatifs » en matière de dépression. Chez les enfants, qui se portaient jusqu’ici relativement bien, Christine Gervais voit désormais apparaître une « roue d’anxiété » : pour une bonne moitié des jeunes rencontrés, « toutes les sphères de leur vie sont rendues compliquées et difficiles, constate-t-elle. À l’école, c’est difficile, avec les amis, c’est difficile, et maintenant avec les parents, c’est difficile ». L’anxiété face aux mauvais résultats scolaires des derniers mois alimente ici l’anxiété face à la pandémie, quand ce n’est pas l’anxiété environnementale (associée à la pollution causée par la consommation de masques au quotidien, parce que oui, les enfants ont fait leurs calculs) qui nourrit tous ces « patterns d’anxiété ». « Ça m’inquiète, déclare la chercheuse. J’ai l’impression qu’il y a quelque chose dans la perspective de l’avenir chez les jeunes qui est très noire… »

Des familles « épuisées »

Les parents sondés croulent sous la charge parentale, magnifiée par la pandémie. « Pas moins de 42 % des parents parlent d’une charge mentale très élevée, une charge extrême, poursuit la chercheuse. Ce que ça nous dit, c’est que ça commence à peser, la quantité de temps qu’ils investissent auprès de leurs enfants. » Conséquence ? Quand on leur demande ce dont ils auront besoin après la pandémie, les parents répondent ceci : « du temps pour eux ».

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Christine Gervais, chercheuse qui mène l’enquête Réactions – Récits d’enfants et d’adolescents sur la COVID-19

Les parents sont vraiment épuisés. La fatigue parentale ressort de façon vraiment très importante.

Christine Gervais, professeure au département des sciences infirmières de l’Université du Québec en Outaouais

Du temps pour eux, mais aussi pour rattraper tout le temps perdu : « Les parents sondés ont l’impression qu’ils auront énormément de rendez-vous pour compenser les manques : rendez-vous chez le psychologue, l’orthopédagogue, les services de soutien. […] Leur préoccupation : chercher des services nécessaires pour se remettre de cette période-là », analyse-t-elle.

De leur côté, et pour la première fois, les enfants sont très conscients de la fatigue de leurs parents. Quand on leur demande ce dont ils auront besoin à leur tour au sortir de la pandémie, les enfants nomment trois choses : du soutien à l’école, reprendre leur sport, et revoir leurs grands-parents. « Ils disent aussi qu’ils auront besoin d’être félicités, glisse la chercheuse. Comme s’ils avaient le sentiment que tout le monde avait tenu pour acquis qu’ils étaient capables de s’adapter… »

PHOTO JEFF KOWALSKY, AGENCE FRANCE-PRESSE

Aux États-Unis, les adolescents peuvent déjà recevoir leur vaccin contre la COVID-19.

Est-ce que ça va finir par finir ?

Ils y croient moyennement. Christine Gervais entend surtout beaucoup de questionnements : « Est-ce qu’il va y avoir une fin, quand, comment savoir ? Combien de temps est-ce qu’on va vivre comme ça, avec des vagues de hauts et de bas ? paraphrase-t-elle. Les parents ont du mal à se projeter dans l’avenir parce qu’ils ont du mal à avoir confiance qu’il y aura un après. » Un constat surprenant, alors que le nombre de cas ne cesse de diminuer au quotidien, tandis que la vaccination va bon train. « La détresse n’est pas liée au nombre de cas, explique Christine Gervais. Mais à la durée, aux fluctuations, et au fait que les parents ne sont pas capables de se projeter. » Certes, beaucoup avancent que la situation va éventuellement s’améliorer, que les mesures ne sont plus supportables et devront être levées, mais nombreux sont ceux qui ne voient tout simplement pas la fin. Et c’est nouveau : « Quand on les a rencontrés l’été passé, beaucoup pensaient qu’on aurait juste une vague, rappelle la chercheuse. Il y avait un souffle de fraîcheur et d’espoir que là, on n’a pas du tout. » Et ce, malgré le déconfinement anticipé, s’inquiète-t-elle. « La fatigue accumulée est vraiment considérable, conclut-elle. Et cela empêche de voir la suite comme quelque chose de merveilleux. »

Pour ce quatrième coup de sonde portant sur la troisième vague, les besoins de familles et leur anticipation de l’avenir, l’équipe de Réactions souhaite joindre jusqu’à 250 familles. Pour participer, veuillez écrire ici : reactions@uqo.ca

Consultez la page de l’étude Réactions

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