La vaccination va bon train au Québec. Et le beau temps revient. Sommes-nous sur le chemin du retour vers la normalité ? À quoi peut-on s’attendre pour ce printemps, l’été, l’automne et l’hiver prochains ? Comme l’a fait le magazine The Atlantic, La Presse a demandé à quatre experts à quoi s’attendre, au Québec, dans les saisons à venir.

Mettons une chose au clair : personne, ici, n’a de boule de cristal. Et avec la pandémie de COVID-19, nous sommes davantage dans une « approche à petits pas » que dans les prévisions à long terme, souligne Gaston De Serres, médecin-épidémiologiste à l’Institut national de santé publique du Québec.

Mais on sait de mieux en mieux comment fonctionne la COVID-19, convient-il du même souffle.

PHOTO ARCHIVES LE SOLEIL

J’ai espoir qu’à partir du moment où une grande proportion de la population va être vaccinée, ce qu’on va pouvoir vivre sera bien différent de ce qu’on a vécu jusqu’à maintenant, dit-il. Quand on relâchera, ça ne partira pas de plus belle. Est-ce que ça veut dire qu’on relâche tout d’un coup sec ? Je pense qu’il va falloir être plus graduel que ça.

Gaston De Serres, médecin-épidémiologiste à l’Institut national de santé publique du Québec

« Il est clair que le retour à la vie normale n’est pas un interrupteur ON/OFF », croit aussi Joanna Merckx, épidémiologiste et spécialiste des maladies infectieuses pédiatriques à l’Université McGill.

Ce printemps

Le déconfinement qui a cours actuellement dans les pays où la vaccination est très avancée laisse présager des jours meilleurs.

En Israël, le gouvernement a graduellement levé la majorité des restrictions depuis février, avec la réouverture des écoles, des restaurants, des théâtres et des gyms. Les rassemblements intérieurs de 20 personnes sont permis. Et d’ici la fin du mois, les touristes (vaccinés) devraient être de retour. Au Royaume-Uni, où 65 % des gens ont reçu leur première dose et 29 %, leur deuxième, les pubs ont rouvert leurs terrasses. À partir du 17 mai, les petits rassemblements privés intérieurs et les évènements sportifs intérieurs, entre autres, seront à nouveau autorisés. Même aux États-Unis, le maire Bill de Blasio a parlé la semaine dernière de rouvrir New York « complètement » dès le 1er juillet.

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

Si on compare le Québec à Israël ou à certains autres pays sur le plan de la vaccination, on est au début de la courbe. Est-ce le moment d’ouvrir et d’avoir plein de nouveaux contacts ? Je ne pense pas. Il y a encore un trop grand bassin de gens susceptibles [de contracter la COVID-19].

Joanna Merckx, épidémiologiste et spécialiste des maladies infectieuses pédiatriques à l’Université McGill

Mais il y a une belle solution de rechange ce printemps : se voir à l’extérieur.

Selon Nimâ Machouf, épidémiologiste à la Clinique de médecine urbaine du Quartier latin, Québec devrait donner plus de latitude aux gens à l’extérieur et rappeler tout ce qu’il est possible de faire, dehors, de façon sécuritaire.

L’été prochain

L’été prochain, la situation devrait être semblable à l’été dernier au Québec, voire meilleure, estime le DGaston De Serres. D’abord parce que les contacts sont moins nombreux en été et plus souvent à l’extérieur. Ensuite, parce qu’une très grande partie des adultes au Québec auront reçu une ou deux doses de vaccin.

« Si on s’attend à une normalité complète cet été, je pense que c’est peu probable. Ce sera plus agréable que ce qu’on a vécu depuis septembre, mais je pense qu’il va falloir maintenir certaines précautions », dit le DDe Serres, selon qui les activités extérieures devraient être mises en priorité également.

Si le gouvernement choisit d’autoriser les gens à recevoir des amis à l’intérieur de la maison, il faudrait le faire dans une perspective durable, estime Joanna Merckx : « Mieux vaut voir toujours les mêmes familles au lieu de voir tout le monde. » Nimâ Machouf, pour sa part, s’attend à ce que des spectacles à l’extérieur puissent avoir lieu au cours de l’été.

Et l’ouverture des salles à manger des restaurants ? Aucun n’expert n’a tenté de prédiction précise, mais Nimâ Machouf et Joanna Merckx insistent sur l’importance d’aérer convenablement ces lieux intérieurs.

Automne et hiver

Viendra ensuite l’automne, avec le retour en classe et celui du temps froid.

La question de la couverture vaccinale qu’on aura réussi à atteindre sera déterminante. « Si on avait 80, 85 % de couverture dans tous les groupes d’âge et, qu’évidemment, les variants ne réussissaient pas à contourner cette immunité-là, on aurait vraiment une très, très bonne protection et, à mon avis, la COVID causerait peu de dommages, dit le DGaston De Serres. Et je pense que c’est quelque chose vers quoi on va tendre d’ici l’automne. »

Pour réussir à étouffer la transmission, les enfants et les adolescents devront aussi être protégés, note le DDe Serres, qui souligne qu’on attend l’approbation de Santé Canada pour vacciner les adolescents et que des études sont menées auprès des enfants.

PHOTO ANDRÉ PICHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Nimâ Machouf, épidémiologiste à la Clinique de médecine urbaine du Quartier latin

Selon Nimâ Machouf, « si on s’occupe de la question de l’aération, on va pouvoir rentrer à l’école et à l’université sans crainte, rentrer au travail sans crainte, mais en surveillant les frontières ». Car il est évident, disent les experts, que la situation est bien loin d’être contrôlée à l’échelle planétaire.

Joanna Merckx s’attend à voir apparaître de petites éclosions ici et là au Québec à l’automne, et il faudra s’y attarder, dit-elle. « Je ne m’attends pas à ce qu’on revienne totalement à la normale — pas de masque, pas de distanciation — cet automne », dit-elle.

L’arrivée d’un variant contre lequel nous aurions une moins bonne immunité compliquerait la situation. Gaston De Serres et Joanna Merckx ne croient toutefois pas qu’il nous ramène à la case départ : « Pour l’instant, l’efficacité du vaccin est impressionnante, et ce serait peu probable que tout cela devienne vain », estime Mme Merckx.

Professeur de médecine sociale et préventive à l’École de santé publique de l’Université de Montréal, Benoît Mâsse s’attend à ce qu’on retrouve, à l’automne, une certaine normalité en matière d’interactions humaines. Mais il y aura des plaies à panser, souligne-t-il : les deuils traumatiques, la détresse, les impacts du délestage, les industries affaiblies… « Et il y aura énormément de travail à faire pour aider les régions du globe encore très affectées et avec des ressources limitées », dit-il.

Les experts ne croient pas que la COVID-19 disparaîtra un jour de la planète. « Mais serons-nous capables de faire du SARS-CoV-2 un virus saisonnier régulier, semblable aux autres coronavirus [responsables des rhumes] ? C’est possible », note Joanna Merckx. Pour Nimâ Machouf, c’est seulement lorsqu’on trouvera un traitement capable de tuer le virus qu’on pourra envisager le retour à une vraie normalité.