Dans l’ancienne économie des influenceurs, les photos de vacances ensoleillées et les photos léchées de groupe représentaient les formes les plus précieuses de monnaie sur les réseaux sociaux. Désormais, de telles images faisant fi de la pandémie susciteraient les critiques du public.

Mais un nouveau type de photos a pris leur place pour faire l’envie des utilisateurs des réseaux sociaux : l’égoportrait de vaccination.

Des photos de Canadiens souriants sous leur masque alors qu’ils retroussent leurs manches pour montrer leur pansement apparaissent de plus en plus sur les réseaux sociaux, au moment où la campagne de vaccination du pays s’étend à de nouveaux segments de la population.

Des experts affirment que ces égoportraits peuvent encourager d’autres personnes à surmonter leur hésitation à se faire vacciner, mais peuvent également provoquer de la jalousie chez ceux qui ne sont pas admissibles aux rendez-vous.

Ara Yeremian, agent immobilier de Vaughan, en Ontario, a publié son égoportrait vaccinal sur les réseaux sociaux après avoir reçu sa première dose en janvier, en tant qu’aidant de ses parents de 91 ans qui vivent dans un foyer de soins de longue durée.

Je voulais que tout le monde sache que j’allais bien et qu’on pouvait le recevoir en toute sécurité. Le fait de faire partie de la solution me rend vraiment heureux.

Ara Yeremian

Ryan Quintal, infirmier auxiliaire autorisé à London, en Ontario, a déclaré qu’il était de son « devoir » en tant que professionnel de la santé d’afficher son égoportrait afin de montrer à ses abonnés en ligne que les vaccins contre la COVID-19 sont sûrs et efficaces.

L’homme de 34 ans a déclaré que la photo avait même incité certains amis à lui poser des questions sur la vaccination. « La photo signifiait en quelque sorte que ça pourrait être bientôt votre tour, a dit M. Quintal. On peut voir le bout du tunnel. »

Dur pour ceux qui attendent

Alors que MM. Yeremian et Quintal disent que les réactions à leurs égoportraits de vaccination ont été extrêmement positives, d’autres utilisateurs de réseaux sociaux ont reçu des questions de la part de commentateurs sur la façon dont ils se sont qualifiés pour obtenir leur vaccin.

Le DKarim Ali, directeur des maladies infectieuses de Niagara Health, en Ontario, a déclaré que les égoportraits post-injection couraient le risque de fomenter une fracture entre les bénéficiaires du déploiement fragmentaire des vaccins au Canada et ceux qui attendent toujours.

Le DAli a ressenti cette frustration en janvier lorsqu’il a vu des administrateurs de la santé de Toronto publier des messages indiquant qu’ils avaient été vaccinés, alors même que ses collègues de première ligne qui combattaient une éclosion à Niagara n’avaient pas encore reçu leur première dose.

L’envie est un sentiment réel. Vous ne pouvez pas vous empêcher de vous sentir abattu. Vous ne pouvez pas vous empêcher de vous sentir exclu.

Le DKarim Ali, directeur des maladies infectieuses de Niagara Health

Le DAli ne juge pas les personnes qui souhaitent célébrer leur vaccination avec leurs abonnés en ligne et pense que les influenceurs ont un rôle à jouer pour faire connaître la sécurité des vaccins.

Mais le fait d’attiser l’envie sur les réseaux sociaux n’est pas une stratégie de santé publique efficace, a-t-il ajouté, en particulier lorsque la plupart des Canadiens attendent toujours patiemment leur tour.

« Réfléchissez à deux fois avant de publier quoi que ce soit, a déclaré le DAli. Il y a tellement de gens qui souffrent et continueront de souffrir jusqu’à ce que nous en sortions [de la crise sanitaire]. »

Puissant outil

Krishana Sankar, responsable de la communication scientifique pour la plateforme en ligne COVID-19 Resources Canada, a déclaré que les égoportraits de vaccination pouvaient être un outil puissant pour lutter contre la désinformation en ligne, qui répand des craintes non fondées sur le vaccin contre la COVID-19.

Les témoignages personnels, tels que les égoportraits, peuvent avoir plus de poids que la parole des autorités sanitaires, a avancé Mme Sankar, en particulier chez les membres des communautés marginalisées qui peuvent avoir du mal à faire confiance aux institutions qui les ont opprimés.

« Les gens ont tendance à faire confiance aux gens qu’ils connaissent, a-t-elle souligné. De nombreuses conversations autour de l’hésitation vaccinale commencent en fait dans cette bulle de famille et d’amis qui parlent de leurs inquiétudes à ce sujet. »

Si une personne reçoit le vaccin et que beaucoup d’autres le voient, cela provoque un effet de ruissellement.

Krishana Sankar, responsable de la communication scientifique pour la plateforme en ligne COVID-19 Resources Canada

Mme Sankar a également recommandé aux utilisateurs des réseaux sociaux de ne pas interroger les personnes ayant partagé des égoportraits sur la façon dont elles se sont qualifiées pour recevoir leur vaccin.

Bien qu’elle comprenne que les gens soient curieux de savoir de quelle façon s’assurer leur propre place dans la file, Mme Sankar juge qu’il est fautif de remettre en question l’admissibilité d’une personne en se basant sur des hypothèses sur son mode de vie et ses antécédents médicaux.

De nombreuses personnes qui paraissent jeunes et en bonne santé peuvent souffrir de maladie auto-immune qui les exposerait à un risque élevé de conséquences graves liées à la COVID-19, a-t-elle noté.

« Beaucoup de gens jugent et critiquent très rapidement les autres sans avoir aucune idée de ce qui se passe réellement », a-t-elle déclaré.

« Un peu de gentillesse peut nous mener loin. »