Tannés ? Ou de plus en plus alarmés ? Pas de doute, nous ne sommes pas tous égaux face à la pandémie, encore moins l’après. La troisième vague et les soubresauts en matière de restrictions sanitaires aidant, les comportements semblent de plus en plus clivés Des plus inquiets (et stressés) aux plus exaspérés (et pressés de se déconfiner), sur quel pied dansez-vous ? Trois portraits-robots (à prendre avec un grain de sel et un soupçon d’autodérision), question de tous mieux se comprendre. Et de s’endurer.

Je stresse, tu stresses, nous stressons

Vous reconnaissez-vous ? On en connaît tous. Des gens qui ne sortent jamais sans leur masque. Même pour une marche. Qui ne vont presque plus à l’épicerie. Pas question non plus de se déplacer au centre-ville. Ces nouveaux abonnés de la livraison ne prennent d’ailleurs plus les transports en commun. Pour cause : ils ne sortent presque plus de chez eux. Ne comptez pas sur eux pour retourner au cinéma ces jours-ci, même si c’est permis. Zoom est un mode de vie. Leur respect des consignes sanitaires est d’ailleurs exemplaire. Presque trop, en fait.

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Vous reconnaissez-vous ? On en connaît tous. Des gens qui ne sortent jamais sans leur masque. Même pour une marche. Qui ne vont presque plus à l’épicerie.

Qui sont ces gens ? Des gens qui, pour toutes sortes de raisons, et surtout de « vulnérabilités », ont pris les consignes « à la lettre », avance Lysanne Goyer, psychologue et cheffe du service de psychologie et des soins spirituels au CHUM, qui s’est prêtée au jeu de l’analyse (et des généralisations) avec nous. Bien sûr, les cas extrêmes sont rares, croit-elle. Et toutes sortes de raisons peuvent expliquer ces comportements : un tempérament, un problème de santé mentale, des insécurités en matière de santé. Ou des insécurités tout court.

PHOTO YAN DOUBLET, LE SOLEIL

Lysanne Goyer

On peut avoir été une bête sociale avant, et être ici préoccupé – à raison – par la pandémie.

Lysanne Goyer, psychologue et cheffe du service de psychologie et des soins spirituels au CHUM

« Le stress est proportionnel à l’incertitude. Et il n’y a QUE de l’incertitude », renchérit Kim Lavoie, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en médecine comportementale et codirectrice d’une enquête internationale (iCare) sur la pandémie et ses impacts sur nos vies. « Combien de temps est-ce que ça va durer ? Quand est-ce que je vais recevoir le vaccin ? Est-ce bien sécuritaire d’envoyer les enfants à l’école à temps plein ? Le stress est alimenté par le fait qu’on n’en sait rien. » D’après ses recherches, on trouve dans ce groupe et de manière « disproportionnée » des femmes et des jeunes de moins de 25 ans, « de loin les plus affectés [par la pandémie] » (en matière de santé mentale, de pertes d’emploi et de relations interpersonnelles).

Conseil de psy 

« L’être humain a besoin de socialiser », rappelle Lysanne Goyer, qui conseille ici aux plus craintifs de se réexposer tranquillement, et ce, « par petits pas ». Une marche à deux mètres, un café à emporter, « il faut faire des sorties absolument ».

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

Le 8 février, partout au Québec, les commerces non essentiels, les centres commerciaux, les salons de coiffure ainsi que les musées ont pu rouvrir leurs portes.

Mi-figue, mi-raisin

Un jour, vous paniquez, le lendemain, vous vous relâchez ? « Ce profil est comme le gouvernement, rit au bout du fil Lysanne Goyer. Rationnellement, on veut suivre les règles de santé publique, mais émotionnellement, on a hâte de se déconfiner. Ces personnes se butent constamment à leurs valeurs et à leur désir
de sortir », avance-t-elle.

Ce profil évalue régulièrement le risque associé au virus. Il se peut aussi qu’il se questionne sur son passé et, surtout, son avenir : « Mais comment on faisait pour être aussi occupés ? Vais-je avoir envie de reprendre ce rythme ? Est-ce qu’on va se serrer la main, se faire des accolades ? »

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Kim Lavoie, psychologue à l’UQAM et codirectrice d’une enquête internationale (iCare) sur la pandémie et ses impacts sur nos vies

D’après l’enquête internationale codirigée par la psychologue Kim Lavoie (iCare), laquelle a sondé à ce jour plus de 85 000 personnes de 40 pays, « 80 % des gens respectent la majorité des consignes sanitaires la plupart du temps ». Accroc à souligner : « La seule consigne avec laquelle les gens ont du mal : éviter les rassemblements sociaux. Et cela tombe sous le sens : les êtres humains sont des êtres sociaux. Ne pas voir sa famille, ses amis, un an de temps, c’est extrêmement difficile. » Nos deux psychologues se reconnaissent d’ailleurs dans ce portrait plus « ambivalent ». « Je vais être heureuse de me déconfiner (en temps et lieu), mais je vais être prudente », confirme Lysanne Goyer. « Je ne suis pas stressée, mais j’observe presque toutes les consignes à la lettre », ajoute Kim Lavoie.

Conseil de psy 

« Un peu d’inquiétude peut être une bonne chose. Cela pousse à être prudent, avance Lysanne Goyer. Continuez d’y aller à votre rythme. »

PHOTO YAN DOUBLET, ARCHIVES LE SOLEIL

L’arrivée du printemps a fait ressortir les Québécois.

Pressé de déconfiner

Ici aussi, on en connaît tous : des gens pas forcément complotistes ni non plus antimasques (« pas du tout ! »), mais néanmoins pressés et archipressés de retrouver enfin leur vie normale. Peu inquiétés par les maladies, mais davantage irrités par les consignes qui vont, viennent et s’éternisent, ils ont acheté des billets de spectacle à la première heure, ne se peuvent plus à l’idée de se retrouver enfin dans une foule et rêvent enfin du jour où ils pourront de nouveau réserver une bonne table (quand les zones colorées seront chose du passé).

Ce sont des personnes sociables, pour qui les sorties culturelles, les restaurants et les rencontres familiales sont au cœur du bien-être.

Lysanne Goyer, psychologue et cheffe du service de psychologie et des soins spirituels au CHUM

On retrouve dans ce groupe, au tempérament peut-être plus extraverti que la moyenne, autant des adolescents que des personnes âgées, avance-t-elle, exaspérés d’être isolés.

Quant à savoir s’ils trichent ici ou là, dur à dire. Mais le temps n’aidera pas au respect des consignes ici, assurément. « Avec la troisième vague, peut-être que ce groupe aura tendance à enfreindre les règles. Pas tout le monde, mais certains, oui, si le besoin de socialiser est tel que cela nuit à la santé mentale. Ça fait longtemps que ça dure… »

Pour Kim Lavoie (qui note au passage que les tricheurs sont davantage des hommes et des jeunes de moins de 25 ans), la variable clé est ici la « perception de l’importance des consignes ». « On vit dans une société très centrée sur soi, notre propre bien-être, résume-t-elle. On demande aux gens d’agir par solidarité, quand ils ne sont pas nécessairement solidaires. »

Conseil de psy 

Gare à l’« emballement », prévient Lysanne Goyer. « Nous avons tous un effort à faire pour atteindre l’objectif de déconfiner. »

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Dominic Bourdages, vice-président de CROP

Le point sur la tricherie

Pressés ou pas de déconfiner, les Québécois demeurent respectueux des consignes sanitaires, tient ici à souligner Dominic Bourdages, vice-président chez CROP. À preuve : « Le niveau d’accord avec toutes les mesures sanitaires est encore très élevé. Même le niveau d’accord avec le couvre-feu a augmenté depuis janvier. » Le dernier sondage CROP réalisé fin mars révèle en effet que 91 % des répondants pensent qu’il est de « notre devoir à tous de suivre les règles de la Santé publique ». L’appui en faveur du couvre-feu a même augmenté de 70 % à 74 % depuis janvier. Même si, par ailleurs, près de la moitié (46 %) des répondants considèrent que les restrictions ont « assez duré ». « Les gens comprennent qu’on est dans le dernier mile, qu’il faut encore être sérieux. Mais ça ne les empêche pas d’être tannés, analyse Dominic Bourdages. Être tanné ne veut pas dire être irresponsable. […] Il y a là un message de société : il y a des mesures en place, on y croit encore. […] Oui, on est tannés, mais on est encore fédérés par un objectif commun. »