Rachel Kiddell-Monroe a été témoin de conflits meurtriers et a vu de près leurs horreurs. Le prix Femmes de mérite du Y récompense ce jeudi son implication sur les plans social et environnemental, ce que la travailleuse humanitaire s’empresse de partager avec ses collègues. « C’est un travail de coopération et de solidarité », précise-t-elle en utilisant ces mots qui reviennent dans son discours à l’instar d’autres, comme empathie, humanité et compassion. Parce qu’ils sont, au-delà des mots, des solutions à la haine et à la misère. Et de puissants moteurs de changement.

Rachel Kiddell-Monroe a été témoin de l’inimaginable, notamment lors du génocide rwandais qui fut un moment décisif pour elle. Ses expériences humanitaires, étalées sur trois décennies, ont raffermi ses convictions : la compassion, la solidarité et l’empathie doivent être au cœur de l’action humanitaire et de nos sociétés.

Pour les activer, il y a des histoires. Des histoires qui s’écrivent avec des petits « h », mais qui ont le pouvoir de faire une grande différence. Parce qu’elles nous ramènent à ce que nous avons en commun en tant qu’individus et comme peuples : notre humanité.

« Un million de réfugiés, c’est un chiffre tellement énorme que ça ne veut plus rien dire à la fin. Mais dès qu’on parle d’une personne, de son voyage, de la raison qui l’a poussée à quitter son pays et sa maison, on s’identifie davantage », observe celle qui a fondé l’organisme SeeChange Initiative.

Raconter les crises humanitaires à travers ceux qui les vivent fait naître une empathie qui ne peut être transmise par des chiffres ou une analyse distante, estime l’enseignante en développement international à McGill, qui dirige également le comité d’administration de Médecins sans frontières. Les histoires ont du pouvoir parce qu’elles font tomber les barrières qui divisent et montrent à quel point nous sommes, au final, si semblables.

La justice dans la peau

L’histoire avec un petit « h » de Rachel Kiddell-Monroe débute en Angleterre, dans une famille où on ne manque de rien, sans avoir tout pour autant. Déjà, enfant, du confort du cocon dont elle mesure la valeur, elle revendique justice et égalité.

Son père, rare homme féministe dans l’entourage, l’encourage comme sa mère à poursuivre ses études. « Très jeune, j’étais consciente du privilège d’être née dans un pays riche, raconte-t-elle dans un français impeccable. Je connaissais ma chance d’avoir accès à l’éducation et d’être née dans une famille stable. »

Jeune étudiante, elle s’implique dans Amnistie internationale, puis se dirige en droit à l’université avec l’intention de devenir avocate des droits de la personne, profession encore inexistante en Angleterre à l’époque. À 23 ans, elle décide plutôt de se rendre en Indonésie pour travailler avec les peuples autochtones.

Je voyais leur bataille sur le terrain, et c’était vraiment là où je voulais être. C’est à ce moment que s’est affirmée ma passion pour l’humanitaire.

Rachel Kiddell-Monroe

Plus tard, durant le génocide rwandais, elle est témoin de ce qu’on ne devrait jamais voir et encore moins vivre, souligne-t-elle. « Je ne pouvais pas juste rentrer chez moi sans faire quelque chose. J’avais ce désir, plus grand que moi, de faire un changement et d’utiliser mon énergie pour bâtir un futur où les gens n’ont pas autant de haine les uns envers les autres. Ce n’était pas une volonté de changer le monde, mais d’être à côté des gens et de les accompagner. »

La compassion au cœur de l’entraide

Son moteur, et ce qu’elle décrit aussi comme sa mission de vie, est de faire preuve de compassion. Dans un contexte humanitaire, cette volonté se traduit par le fait d’apporter une aide et des ressources sans imposer des façons de faire européennes ou nord-américaines. En 2018, Rachel Kiddell-Monroe a mis sur pied SeeChange Initiative, qui mise sur l’autonomisation des communautés et œuvre à décoloniser la santé. L’organisation travaille entre autres avec des communautés du Nunavut afin de mettre en place avec elles un plan d’intervention pour faire face à la COVID-19.

« Mon rôle est aujourd’hui de travailler avec les communautés marginalisées et fragilisées, et de les encourager à utiliser leurs propres réseaux et leurs connaissances pour faire face à des crises humanitaires et de santé. »

Au Guatemala, l’organisation humanitaire a offert des machines à coudre, du tissu et des ingrédients aux locaux pour fabriquer du savon. Ils ont ainsi pu gérer leurs propres réponses à la pandémie. « Je crois vraiment en l’idée que la communauté a sa propre intelligence, sa propre sagesse. Elle est la mieux placée pour identifier ses besoins et trouver des solutions durables. C’est surtout de ressources et d’appui qu’elle manque. »

Penser en dehors des silos

La petite histoire de Rachel Kiddell-Monroe ne s’est pas construite sur des pistes tracées d’avance, évalue-t-elle. « Tu sais, tu vas à l’université, tu te trouves un bon travail, une maison et tu fondes une famille. Je n’ai jamais pu accepter cette vision préconçue des choses. » Cette fibre non conventionnelle l’a conduite à vouloir briser les silos qui divisent, qui nuisent à la transmission des informations entre les groupes et participent à leur isolement. « Il ne s’agit pas de tout remettre en question constamment, précise-t-elle, mais de chercher les meilleures façons de faire. »

La militante n’est pas non plus de celles qui aiment rester dans la théorie. « Je crois que pour changer des politiques et les façons de procéder, il faut démontrer leur efficacité et travailler de la base vers le haut. » Sur le terrain, donc. Là où elle a grandi professionnellement. Là où elle a aussi fait des rencontres déterminantes dans son parcours, songe-t-elle en évoquant des femmes qui ont eu le courage de faire changer des choses dans des contextes difficiles. Ces grandes femmes avec un petit « f » ne figureront sur aucune liste de mérite. Ne recevront aucun prix.

« On peut faire des changements et changer sa réalité. J’ai envie de dire aux femmes et aux filles : allez vers ceux qui vous appuient et vous permettent de grandir. Évitez ceux qui vous tirent vers le bas. Nous sommes à un tournant : le moment est venu de vivre pleinement comme femmes et de mettre de l’avant ces valeurs d’empathie, de solidarité et d’humanité que nous maîtrisons bien. »

Pour en savoir plus, visitez le site de SeeChange Initiative (en anglais)

Un déjeuner « ensemble »

La remise des prix Femmes de mérite de la Fondation du Y des femmes de Montréal a lieu le jeudi 18 mars, à 8 h 30. L’évènement virtuel, présenté sous le thème « ensemble », met en valeur des personnes inspirantes qui, par leur engagement, ont un impact sur la société. Lors de ces célébrations animées par Myriam Fehmiu, six autres lauréates se verront récompensées, dont Kate Arthur, Sophie Bissonnette, Julie Bruneau, Milla Craig, Olga Hrycak et Isabelle Peretz. Des prix spéciaux seront aussi remis à Phyllis Lambert (prix Réalisation), Fabrice Vil (prix Inspiration) et Ethel Meilleur (Coup de cœur du Y des femmes).

Pour assister à l’évènement et en savoir plus, il faut visiter le site internet de la Fondation du Y des femmes : https://fondation.ydesfemmesmtl.org/prix-femmes-de-merite/participer-2020/