Notre directrice invitée souhaitait s’entretenir avec la mairesse de Montréal, Valérie Plante. Dans le bureau de la mairesse à l’hôtel de ville, elles ont discuté d’environnement et de changements climatiques, du pouvoir et des critiques, souvent dures, de colère et du REM de l’Est. Pour la première fois, Valérie Plante a pris position contre le projet gazier GNL Québec.

Mise en contexte : Anaïs Barbeau-Lavalette et la mairesse ont fait connaissance en 2019 lors du dévoilement de l’esplanade Tranquille, dans le Quartier des spectacles, à Montréal. Le 9 mars 2020, au lendemain de la Journée internationale des femmes, Valérie Plante a accueilli Anaïs Barbeau-Lavalette et Laure Waridel, cofondatrices de Mères au front, ainsi que d’autres femmes, lors d’un dîner à l’hôtel de ville. Elles se retrouvent au même endroit, un an plus tard.

Anaïs Barbeau-Lavalette (A. B.-L.) : Ça fait un an que les Mères au front existent. Nous sommes rendues à près de 5000 mères au front partout sur le territoire québécois. Nous sommes présentes au Canada, il y a un groupe en Belgique aussi. Nous sommes encore en colère. Nous ciblons le projet de loi climat (C-12) qui est tellement paresseux. Je sais que cela te tient à cœur. Mais as-tu un pouvoir là-dessus ?

Valérie Plante (V. P.) : Les villes dépendent beaucoup du provincial et du fédéral dans plusieurs enjeux sociaux : l’itinérance, l’habitation, le transport. On dépend du fédéral et du provincial pour le financement. Ce que je peux faire, c’est d’arriver avec des propositions audacieuses et susciter de l’intérêt de la population.

On a fait un plan climat très ambitieux. C’est le plus ambitieux en Amérique du Nord, le C40 [un réseau de villes engagées dans la lutte contre les changements climatiques] nous l’a dit. Dans ce plan-là, il y a des choses sur lesquelles je peux agir directement, comme le verdissement, le transport collectif et le transport actif.

A. B.-L. : En ce moment, les gens désertent les villes, ils n’ont plus d’amour pour la ville, parce qu’on se réfugie en nature, parce qu’on a peur de ce que la ville peut générer. Comment ressusciter l’amour pour la ville dans un contexte de pandémie ?

V. P. : Je ne suis pas nécessairement d’accord avec l’affirmation que les gens n’aiment pas la ville. Dans une période de crise, c’est normal qu’on veuille se reconnecter, être près de la nature. […] À Montréal, c’est pour ça que les gens ont envahi les parcs. Après la pandémie, ce besoin-là va demeurer. Pour moi, la crise qu’on a vécue est un avertissement de ce qui s’en vient. C’est quasiment une répétition. […] Je le vois comme un réveil : qu’est-ce qu’on doit faire socialement pour être prêt ? Parmi les solutions, il y a celle de s’attaquer de front aux changements climatiques. Ça veut dire prendre des décisions difficiles, par exemple GNL [projet de construction d’un gazoduc et d’une usine de liquéfaction de gaz naturel à Saguenay]. On parle de relance économique. Mais quel genre de relance économique ? Je la veux verte et inclusive. Est-ce que GNL s’inscrit là-dedans ? Pour moi, non.

A. B.-L. : Est-ce que tu peux dire qu’il y avait une Valérie Plante avant la politique et une Valérie Plante pendant ? Est-ce qu’on est obligé de s’endurcir pour avoir un poste de pouvoir ? Je deale très mal avec la brutalité.

V. P. : Quand on accède à un niveau où on est une personnalité publique, il faut s’endurcir. Pour notre santé. Le défi est de s’endurcir pour garder sa santé mentale et continuer à être heureuse, mais de ne pas s’endurcir à un point où on devient froid. Je suis une personne extrêmement sensible. Je suis très à l’aise avec ma vulnérabilité. C’est ma force. Je suis une personne qui pleure et je le dis. Alors, il faut s’endurcir pour que, quand on se fait critiquer, des fois de façon mesquine, voire violente, on soit capable de dire : ça ne m’atteint pas, ça ne m’appartient pas. Cette merde-là, cette façon de me critiquer, je ne la prends pas. Je la lance.

A. B.-L. : Maintenant, le REM de l’Est. Je ne sais pas comment l’aborder parce que j’ai lu plein d’affaires dans tous les sens. Mais d’abord, pourquoi l’Est ?

V. P. : Parce que l’Est est l’enfant pauvre en matière de transports collectifs dans la ville. Dès qu’il y a des transports collectifs structurants, ça crée de l’engouement pour aller y habiter, y travailler. Les entreprises ont le goût d’y investir.

A. B.-L. : Est-ce que ça va être laid comme certaines personnes pensent que ça va l’être ? Tu vas dire que personne ne souhaite la laideur…

V. P. : À la conférence de presse, j’ai été très claire : il ne faut pas construire une autoroute Métropolitaine en plein milieu du centre-ville jusque dans l’Est. Et le modèle du REM 1.0 est massif. Ce sont des mastodontes. C’est en plein dans le brutalisme. Ma position est que ce transport-là, on doit l’avoir. Mais il nous manque des informations pour statuer. Je ne peux même pas te dire à quoi il va ressembler. J’ai réussi à travailler avec le gouvernement du Québec pour dire : il faut que ce soit un ouvrage d’art, un ouvrage signature. […] J’ai dit au gouvernement du Québec et à la CDPQ Infra que c’est une condition. […] Si l’option souterraine n’est vraiment pas possible, il faut s’assurer que le train en surface soit magnifique.

A. B.-L. : Comment as-tu vécu la sécheresse artistique ces derniers mois ?

V. P. : Je suis en manque. Je consomme beaucoup d’art. Ça fait partie de ma vie.

A. B.-L. : Es-tu retournée au cinéma depuis leur réouverture ?

V. P. : Non. J’ai essayé d’aller au musée et il n’y avait plus de billets, alors je prends mon mal en patience ! J’y vais à la fin mars.

Il faut que ça arrive bientôt. Je sais qu’on est en zone rouge. Je ne veux pas aller à l’encontre des règles sanitaires. Montréal a été la plus durement touchée. On a 4500 personnes qui sont décédées. Mais le milieu culturel s’était admirablement bien adapté aux premières mesures. Il avait tout fait. Le dernier film que je suis allée voir, c’est le tien [La déesse des mouches à feu], en septembre. C’était au Cinéma Beaubien. On se sentait en sécurité.

A. B.-L. : Quel âge ont tes enfants ?

V. P. : Mon bébé vient d’avoir 15 ans. Et mon fils Émile va avoir 18 ans. Il va voter pour la première fois. La COVID a fait en sorte que j’ai passé beaucoup plus de temps à la maison que dans les dernières années, depuis que je suis mairesse, parce que je n’ai plus d’évènements et j’ai un rôle de représentation très important. L’année est venue remplir mon cœur de maman.

A. B.-L. : C’est un peu inévitable de parler du fait que tu es une femme et une mère en position de pouvoir. Je pense qu’on a un deal avec la culpabilité. C’est quelque chose de se défaire de ce sentiment-là en tant que mère. Comment as-tu réussi ? Ou peut-être pas ? Est-ce que c’est quelque chose qui est inhérent si tu choisis cette vie-là ?

V. P. : On est tous différents. Je ne peux pas parler pour les autres femmes. Je n’ai jamais eu une vision romantique de la maternité. Évidemment, il y a des moments où je me sens coupable. Mais ce n’est pas quelque chose qui m’habite. La façon dont j’ai construit ma vie de famille, de couple, c’est que mon chum et moi, on est une équipe. […] J’aime penser que dans la vie, du moment qu’on donne de l’amour à nos enfants, qu’ils ont un toit et qu’ils se sentent en sécurité, après ça, c’est à eux à se construire là-dedans. J’ai peut-être l’air froide et détachée…

A. B.-L. : Non, c’est très moderne et je pense qu’on est rendu à réfléchir à cet équilibre-là. Je terminais La femme qui fuit comme ça : « Nous sommes libres ensemble, nous. » Je suis libre ensemble, c’est ça aussi. C’est inventer comment aller au bout de ce à quoi on croit et cultiver ses racines et prendre soin de ceux qu’on aime. Ça s’invente à deux.

V. P. : Il y a un temps où il aurait fallu que j’assume ma culpabilité pour être une vraie femme, une vraie mère, mais là, non. Mais je vais être hypersolidaire avec les femmes qui se sentent coupables. J’en connais. Mais je nous invite à nous défaire de la surculpabilité. Comme dirait mon beau-père : choisir, c’est sacrifier.

A. B.-L. : J’aimerais terminer en parlant de la colère parce que je trouve que c’est un sentiment qui est encore à apprivoiser. Je sais que tu n’as pas le droit, alors je t’oblige à faire un fuck you à quelque chose ou à quelqu’un !

V. P. : Oh my God ! Tu les as, les questions ! À quelqu’un, je n’irai pas là.

[Elle réfléchit.]

A. B.-L. : Tu ne pourras plus le faire si je ne t’invite pas à le faire.

V. P. : Je sais, je sais. En ce moment, ce qui vient beaucoup me chercher dans l’actualité, c’est la question du contrôle des armes à feu. Je refuse d’être dans une société qui ne veut pas contrôler les armes à feu. Ça vient vraiment me chercher beaucoup. Parce que ça touche la sécurité de tout le monde, mais, entre autres, des femmes et des enfants.

A. B.-L. : Fait que va chier, quoi ?

V. P. : Vous ne m’entendrez pas dire ça parce que j’ai une job de diplomatie. Tantôt, tu as commencé à parler de colère. Ça, je peux le dire. La colère, je trouve ça sain. Alors je suis en colère contre le projet C-21 sur le contrôle des armes à feu qui est mou. Ça va, ça ?

A. B.-L. : Je vais donc le dire pour toi, alors. Valérie Plante dit : « Fuck you, projet de loi C-21 ! »

Simone Simoneau et les critiques

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Valérie Plante et Delphie Côté-Lacroix, qui a illustré et coscénarisé avec la mairesse de Montréal la bande dessinée Simone Simoneau – Chronique d’une femme en politique

Avant de se quitter, Anaïs Barbeau-Lavalette et la mairesse ont discuté de la bande dessinée Simone Simoneau, sortie l’automne dernier, pour laquelle Valérie Plante avait été très critiquée. Plusieurs observateurs ont soutenu que créer une bande dessinée était incompatible avec son rôle et son emploi du temps très chargé. Pour Anaïs, dont le fils a lu le livre cinq fois, il s’agit d’une bédé féministe qui est importante pour encourager les femmes à se lancer en politique. « J’ai été très blessée par les critiques, a affirmé Valérie Plante. C’est comme si on m’avait pris ce qui me faisait du bien et qu’on me l’avait enlevé. »

Pour des fins de concision, les propos de cette entrevue ont été édités.

Propos recueillis par Valérie Simard, La Presse