Qu’ont en commun une tranche d’oignon vert, un essaim d’abeilles et une cocotte de cannabis ? Ils peuvent prendre, le temps d’un cliché, la forme d’un cœur. Quétaine ? À vous de juger. Mignon ? Assurément !

Depuis plus de cinq ans, une armée d’yeux attentifs épie le quotidien en quête du symbole cordiforme, fier représentant de l’amour à partir du XIVsiècle. L’artiste Margot Bussiere, alias Margotella, rassemble ses trouvailles et celles de son réseau sur son compte Instagram sous le mot-clic #heartsaga.

Cette union entre Sherlock Holmes et Cupidon a généré des milliers de photos. Environ la moitié proviennent d’un contingent de 150 contributeurs, estime-t-elle. Les autres sont de son cru.

« Moi, je ne cherche pas les cœurs, nuance l’instigatrice. Ils arrivent à moi par hasard, quand je cuisine, quand je fais la vaisselle ou quand je regarde le sol pour ne pas glisser, par exemple. Je peux en voir trois ou quatre dans une journée, puis plus du tout pendant quelques jours. »

Des signes d’amour partout

Restant de sauce agrippé à la paroi d’un pot Mason, vue aérienne d’un lac isolé, fenêtre naturelle dans un rocher, tache blanche sur le front d’un cheval : chaque jour, notre environnement distribue de l’amour. Il suffit d’y porter attention et de le saisir, note Margot Bussiere.

La peintre et poétesse explique avoir lancé le projet #heartsaga pour combattre sa trop grande rationalité, que ses professeurs lui reprochaient déjà lorsqu’elle étudiait les beaux-arts à La Paz, en Bolivie, dans les années 1990. « J’ai peur de plonger dans mes émotions et dans mes blessures, dit l’artiste, qui soutient avoir été agressée sexuellement par deux prêtres à l’âge de 8 ans. Les cœurs me rappellent de suivre le chemin… de mon cœur. »

Que répond la « Heart Saga Warrior » — comme elle se décrit sur Instagram — à ceux qui pourraient trouver son projet kitsch ou doucereux ?

Je n’ai pas eu ce commentaire, mais moi-même, j’ai voulu arrêter parce que je trouvais ça quétaine. Mais dès que je prenais une pause, les gens m’écrivaient et continuaient de m’envoyer des photos. Je me suis dit que ça leur faisait du bien.

Margot Bussiere

Après la #heartsaga, Margot Bussiere prépare avec des galeries d’art une #artsaga, compilation d’œuvres québécoises pour sensibiliser le gouvernement au sort des artistes visuels pendant la COVID-19.

Contours imprécis

Margotella distille aujourd’hui de l’amour dans les réseaux sociaux. Or, avant l’an zéro, la forme du cœur n’était pas associée à ce noble sentiment : il s’agissait d’un motif décoratif comme bien d’autres, peut-être inspiré de la graine de silphium — aujourd’hui disparue — ou de la feuille de lierre, résistante et durable comme l’union entre Tom Hanks et Rita Wilson.

C’est au XIIIe siècle que Thibaut de Blaison aurait insufflé une charge sentimentale au célèbre symbole, dans Le roman de la poire. Un jeune amoureux agenouillé y offre son cœur à une femme. Littéralement.

IMAGE TIRÉE DE WIKIPÉDIA

Illustration tirée du Roman de la poire

L’illustration de l’offrande, qui rappelle un cœur inversé, épouse plutôt les contours d’une poire, d’une aubergine ou d’une pomme de pin. Cette description de l’organe de vie aurait été empruntée aux travaux du médecin Galien et du philosophe Aristote, à l’Antiquité.

Le symbole cardioïde, avec ses deux lobes symétriques et définis, se précise autour de l’an 1340, a statué la regrettée chercheuse américaine Marilyn Yalom. Dans Le roman d’Alexandre, best-seller du Moyen-Âge, une femme cède son cœur à son amant. Littéralement (bis).

IMAGE FOURNIE PAR LA BIBLIOTHÈQUE BODLÉIENNE DE L’UNIVERSITÉ D’OXFORD

Enluminure tirée du Roman d’Alexandre

Cette fois, pas de doute, il s’agit bien du symbole qui inonde les réseaux sociaux — au deuxième rang des émoticônes les plus utilisées — et rougit les t-shirts « I Love New York ».

C’est aussi cette forme qui apparaît jour après jour sur le compte Instagram de Margotella, question de se rappeler que l’amour se loge parfois dans les détails, au creux du quotidien.

> Regardez les photos réunies sous le mot-clic #heartsaga

> Consultez le compte Instagram de Margotella