Se passer de cellulaire et des réseaux sociaux pendant toute une semaine ? C’est le défi proposé par un entraîneur de basketball à ses joueuses et joueurs d’une école secondaire de la région de Québec. Un mois après l’expérience, deux ados et leur coach racontent ce que ce court sevrage a changé dans leur vie.

Demander à des adolescents de se départir de leur téléphone cellulaire pendant une semaine, c’est osé. « Notre génération a été élevée avec un téléphone dans les mains », résume Marie-Frédérique Cléroult, 17 ans, qui fréquente l’école secondaire de La Seigneurie. Demander à des ados de faire ça en pleine pandémie, alors qu’ils vont à l’école un jour sur deux et que leur appareil est le moyen privilégié de rester en contact avec leurs amis, c’est culotté.

Pourtant, lorsque Benjamin Millaud-Meunier, entraîneur de basketball au programme sport-études, a lancé son idée, Marie-Frédérique n’a pas hésité une seconde : elle lui a remis son téléphone. Jean-Baptiste Lafontaine, 15 ans, a aussi été l’un des premiers à dire oui. « Pour me prouver à moi-même que je n’étais pas dépendant », explique-t-il.

PHOTO FOURNIE PAR BENJAMIN MILLAUD-MEUNIER

Benjamin Millaud-Meunier, entraîneur de basketball à l’école secondaire de La Seigneurie

L’entraîneur avait préparé les esprits en demandant d’abord à ses joueuses et joueurs de visionner The Social Dilemma, documentaire dans lequel plusieurs anciens de Facebook, de Google ou de Twitter, entre autres, décortiquent les stratégies mises en place pour inciter les utilisateurs de ces plateformes à y passer un maximum de temps — et les effets néfastes de ces réseaux sur la santé mentale, le tissu social et la démocratie.

Le principe voulant que « si un produit est gratuit, c’est que c’est vous le produit » a résonné fort chez les jeunes, selon l’entraîneur. Jean-Baptiste admet qu’il comprenait déjà un peu que les réseaux sociaux trouvaient des moyens de l’attirer, mais le documentaire lui a ouvert les yeux. « On a l’impression que c’est juste un petit téléphone, que c’est inoffensif, mais il y a beaucoup d’autres ordinateurs et de travail derrière ça », a aussi constaté Marie-Frédérique.

Personne ne s’en cache, les premiers jours sans téléphone, chacun a ressenti un inconfort. Un « vide », dit Marie-Frédérique. Un certain manque, pour Jean-Baptiste, qui cherchait parfois l’heure ou aurait bien voulu prendre des photos. Benjamin Millaud-Meunier, qui a aussi fait le test, ajoute que cette semaine sans téléphone a aussi été difficile pour les gens qui tentaient de les joindre, eux. « Les deux premiers jours, dit-il, ç’a été un ajustement pour les autres. »

Un effet immédiat

Les bienfaits n’ont pas tardé. Plutôt que de regarder Instagram « pour rien pendant des heures », l’entraîneur s’est remis à jouer aux échecs, à faire des sudokus et à passer un maximum de temps loin des écrans.

PHOTO FOURNIE PAR MARIE-FRÉDÉRIQUE CLÉROULT

Marie-Frédérique Cléroult

Ça m’a ouvert les yeux sur le fait que je n’ai aucun besoin d’aller sur Instagram ou TikTok, et que ces réseaux-là ne vont rien changer à ma vie.

Marie-Frédérique

Si elle admet que l’impossibilité de communiquer avec ses amis par Messenger lui a causé des désagréments, elle a néanmoins recommencé à lire et a renoué avec de petits passe-temps qu’elle avait mis de côté.

Et Jean-Baptiste ? Il a fait face à l’ennui, mais s’est trouvé autre chose à faire : regarder dehors, jouer du piano et de la basse, rendre service à ses parents. Sa mère, Elyse Masson, admet qu’elle a saisi l’occasion pour lui demander d’effectuer des tâches, que son fils effectuait plus volontiers puisqu’il n’avait « rien d’autre à faire ».

PHOTO FOURNIE PAR JEAN-BAPTISTE LAFONTAINE

Jean-Baptiste Lafontaine

Si je n’ai rien à faire, il ne faut pas que je prenne mon téléphone. Il faut que je trouve autre chose, que j’aille aider mes parents, que je fasse aller mon imagination.

Jean-Baptiste Lafontaine

Benjamin Millaud-Meunier, lui, souligne qu’au bout de la semaine, il se sentait « presque mieux », qu’il dormait mieux, notamment. « S’il y avait une façon de vivre sans mon cell, pour moi, ce serait plus santé », juge-t-il.

Des bienfaits durables ?

L’entraîneur a durablement changé ses habitudes : il passe « nettement » moins de temps sur les réseaux sociaux, se sent moins stressé lorsqu’il ne consulte pas son téléphone pendant plusieurs heures et l’utilise davantage pour faire des recherches au sujet de sports qu’il souhaite pratiquer ou pour chercher des recettes, par exemple.

Jean-Baptiste juge lui aussi qu’il passe moins de temps sur son téléphone qu’avant l’expérience. Sa mère est plus nuancée. « Il se rend compte qu’il devient saturé, observe-t-elle. Il l’utilise un peu moins. Il a réalisé qu’il manquait une partie de sa vie à être là-dessus. »

Un mois après sa semaine sans téléphone, Marie-Frédérique trouve aussi que ses comportements ont changé. Elle utilise son téléphone surtout pour communiquer avec ses amis. « Ça ne change pas mon humeur [d’aller moins sur les réseaux sociaux], mais ça change ma façon de penser, remarque-t-elle, en faisant référence aux images de corps parfaits qui pullulent sur l’internet. Je n’ai pas besoin de voir ces filles-là en maillot de bain. Ça me donne une autre perception de la vie, hors des réseaux sociaux. »