2020 est certainement, pour la plupart d’entre nous, une année à oublier. Mais c’est peut-être aussi une année que nous aurons envie de nous rappeler dans l’avenir. Ou de raconter aux générations futures. Place à la capsule temporelle, version pandémique.

Le concept est vieux comme la nuit des temps. L’Épopée de Gilgamesh, l’une des plus anciennes œuvres littéraires au monde (XVIIIe siècle avant J.-C.), débute par des instructions permettant de trouver une boîte de cuivre dans laquelle se trouverait un conte écrit sur une tablette de roche. Dans le monde moderne, plusieurs institutions et entreprises ont enfoui des capsules temporelles renfermant des documents de l’époque, à ouvrir à une date précise. On en retrouve dans le parc de Flushing Meadows, à New York, dans la structure du nouveau pont Samuel-De Champlain, à l’Assemblée nationale du Québec, sous une dalle de la nouvelle Maison-des-Marins du musée Pointe-à-Callière, et fort probablement à des endroits méconnus du grand public où des particuliers ont dissimulé une capsule dans une démarche personnelle.

Ils y ont peut-être déposé des photos personnelles, un journal intime ou quelques objets significatifs. Des « bidules inutiles » (useless junk), qui en disent peu sur les gens de l’époque, comme l’a affirmé l’historien américain William E. Jarvis, auteur de Time Capsules – A Cultural History ? Laurent Turcot, professeur d’histoire à l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR), n’est pas d’accord. Si on peut fabriquer une capsule temporelle exclusivement pour soi, dans le but de la rouvrir dans 20 ans, pour le plaisir, on peut aussi vouloir le faire afin de laisser des traces.

PHOTO IVANOH DEMERS, ARCHIVES LA PRESSE

Laurent Turcot, professeur d’histoire à l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR), du haut de l’Observatoire Place Ville Marie, en octobre 2018

Je ne serai jamais de ceux qui les critiquent et qui disent que c’est inutile, au contraire, ça révèle quelque chose de notre époque. Plus encore, quand on vit des moments déterminants comme ceux de la pandémie, on se dit : il faudrait que quelqu’un laisse une trace de ça.

Laurent Turcot, professeur d’histoire à l’Université du Québec à Trois-Rivières

Il compare les capsules de temps à un journal intime et, en ce sens, on peut leur conférer une certaine valeur historique. « Des fois, c’est anecdotique, reconnaît-il. Mais l’anecdote peut révéler quelque chose de beaucoup plus grand. Parce que du fait divers au fait d’histoire, il n’y a parfois qu’un pas. Le fait d’en avoir plusieurs permet justement de les analyser de manière sérielle, ce qui est beaucoup plus riche. »

Bianca Gendreau, gestionnaire au Canada contemporain et le monde au Musée canadien de l’histoire, croit elle aussi en la pertinence de ces témoignages. Sur son site web, l’établissement consacre d’ailleurs une page à la fabrication d’une capsule temporelle.

> Consultez le site du Musée canadien de l’histoire

« Ça peut être intéressant d’avoir une narration personnelle de quelqu’un sur un moment de sa vie, sur comment cette personne vit un moment qui s’inscrit dans un grand évènement de société, comme des manifestations, une grève générale, une pandémie », observe-t-elle. Mme Gendreau explique qu’outre l’objet matériel, ce sont l’histoire et l’intention derrière qui intéressent les conservateurs de musée. « Pourquoi avez-vous pensé que c’était important de conserver ces choses-là ? »

Quoi mettre dans la capsule ?

Penser au contenu de sa capsule est aussi une belle occasion, selon elle, d’avoir des conversations en famille, entre les générations, sur ce qu’on souhaite conserver et pour quelle raison.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Bien que relevant d’un choix personnel, le contenu de la capsule temporelle peut révéler un aspect universel.

Dessins, photos, masques, recettes de confinement ou coupures de journaux… Ni Laurent Turcot ni Bianca Gendreau ne nous diront ce qu’on devrait glisser dans notre capsule temporelle pandémique. Pour Laurent Turcot, répondre à cette question reviendrait à « dire aux gens ce qui est important pour eux ».

Il faut mettre ce que nous considérons comme digne de mention. C’est très intime. Mais l’intime révèle quelque chose de plus grand. On se rend compte que ce qui est personnel est, au contraire, très généralisé en même temps.

Laurent Turcot, professeur d’histoire à l’Université du Québec à Trois-Rivières

À partir de quand la découverte d’une capsule temporelle devient-elle intéressante pour des historiens ? Ici encore, il n’y a pas de réponse précise. Une histoire, même récente, qui s’inscrit dans une série d’évènements ou un évènement marquant comme une pandémie peut être intéressante pour un musée, remarque Bianca Gendreau. « Dans cinq ans, on va interpréter nos souvenirs. Maintenant, on le vit d’une certaine façon, avec bonheur, tristesse, détresse. Dans cinq ans, on va s’être fait une autre idée de ça. »

Mais encore faut-il que les documents trouvés soient en bon état. « Si vous voulez tout simplement conserver ça chez vous à la maison, je vous conseille un endroit qui n’est pas humide, à la noirceur, où il n’y a pas de gros changements de température comme un garage », dit Mme Gendreau.

Si poétique soit l’idée d’enterrer sa capsule quelque part, le sol ne présente pas les meilleures conditions de préservation en raison de l’humidité, du gel et du dégel. Il faut alors trouver un contenant qui ne rouillera pas, ne craquera pas et ne se décomposera pas. Et ne pas oublier de laisser une trace à l’intention de ceux qui suivront. Ou un rappel dans son calendrier de 2040, 2050 ou 2060 !

Quelques conseils de conservation

• Choisir un contenant hermétique et résistant. Le verre et le plastique n1, 2 ou 5 sont de bons choix pour les capsules qui ne sont pas destinées à être enterrées.

• Éviter de préserver des documents sur des supports informatiques comme une clé USB. Avec les changements technologiques, vous pourriez ne pas être en mesure de les récupérer.

• Avec le temps, le caoutchouc et le plastique PVC peuvent se décomposer et émettre des gaz possiblement nocifs pour les autres objets de votre capsule. Quant au bois, aux cheveux et à la laine, ils peuvent avoir un effet corrosif sur le métal. On peut placer ces matériaux dans un sac de type Ziploc pour les séparer du reste.