« Balance tes gamins sur la mer et tu vas voir qu’elle va se charger de leur en trouver, un programme ! »

C’est ce qu’un jésuite français a conseillé à Simon Paquin alors qu’il s’apprêtait à fonder le programme de réinsertion sociale Cabestan. Une quinzaine d’années plus tard, le programme a pris son erre d’aller et le 5 octobre, une nouvelle cohorte prendra le large.

Encore une fois, ils seront 12 jeunes à monter à bord du voilier-école ÉcoMaris. Ils partiront de Québec et vogueront pendant deux semaines. La destination ? Peut-être Sept-Îles. Peut-être la Gaspésie. Cela dépendra du vent, littéralement, et de ce que les jeunes décideront, aussi. Mais cela n’a aucune importance.

Le but du voyage n’est pas touristique. L’objectif est plutôt de briser l’isolement social de jeunes de 18 à 30 ans, de leur offrir un répit et un moment de réflexion alors qu’ils tentent pour de bon de se sortir de l’itinérance, de la pauvreté, de dépendances de toutes sortes, d’une faible scolarisation ou de démêlés avec la justice.

Mais tous n’ont pas un passé aussi lourd. Le dénominateur commun de ces jeunes, en fait, c’est de ne pas avoir d’emploi stable et d’être en train de chercher sa voie. Le nom de la plupart des participants a été soumis par des carrefours jeunesse emploi, par des centres jeunesse ou par des organismes intervenant auprès des jeunes de la rue.

C’est une aventure qui crée des liens hors normes entre des gens très différents qui, pendant deux semaines, sont tous égaux, dans le même bateau.

Simon Paquin, fondateur du programme de réinsertion sociale Cabestan

« Une femme [chef de famille] monoparentale de 28 ans, peu scolarisée, peut côtoyer un jeune toxicomane de 18 ans », évoque Jade Bourdages, qui sera du voyage.

Chercheuse à l’École de travail social de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), elle est pour sa part bien en selle, professionnellement. Si elle a été pressentie par le programme, c’est en raison de son expertise en protection de la jeunesse, mise en lumière lors de son témoignage remarqué et très senti à la commission Laurent sur la DPJ, plus tôt cette année (Mme Bourdages est elle-même passée par la DPJ dans sa jeunesse).

Pour elle, l’intérêt de ce voyage en voilier réside dans le groupe, une forme d’intervention qui, selon elle, a trop été négligée ces dernières années.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Constance Chevalier

Constance Chevalier, âgée de 22 ans, fera partie de l’équipage. Guide saisonnière pour la SEPAQ, elle a mille idées de ce qu’elle voudrait faire dans la vie – travailler en agriculture, être traductrice ou pourquoi pas guide de plein air ? – mais elle se dit constamment en train de se remettre en question. « Je n’ai jamais été sûre de ce que je voulais faire dans la vie. »

Alexandre Bergeron, qui a étudié en arts, n’est pas convaincu, lui, de vouloir continuer de travailler dans le textile, comme il l’a fait au gré de contrats ces dernières années. Lui aussi est en réflexion.

Il ne cache pas ressentir un petit stress à l’approche du départ. « Ne pas toucher terre pendant deux semaines, je n’ai jamais fait cela, je ne sais pas comment mon corps va réagir ni si j’arriverai à dormir. »

Un « déclencheur fort »

Le fait de vivre en vase clos avec des inconnus aux profils très divers apporte aussi son lot de défis. Oui, certains conflits peuvent émerger rapidement, « mais la mer et le contexte ont tôt fait de les désamorcer parce que chacun sait qu’il en va de la sécurité de chacun », dit Simon Paquin.

Cela a-t-il déjà mal tourné ? Simon Paquin évoque ce séjour sur le fleuve plus difficile avec un jeune dont le sevrage n’avait pas été mené à terme avant le départ. Depuis, par des évaluations, on s’assure que chacun soit stable avant de partir et qu’il soit capable de passer 14 jours sur un bateau.

Les jeunes ne trouveront pas tous des réponses à leurs questions ou un emploi sur-le-champ. Mais le programme sert habituellement « de déclencheur fort, croit M. Paquin. Il permet à chacun de sortir de son quotidien, de se découvrir de nouvelles capacités, d’ouvrir ses horizons ».

C’est d’ailleurs ce que Nina Bouchard, qui a participé à la précédente expédition, en juillet, a elle-même trouvé.

Ça n’aurait pas pu mieux tomber. À cause de la COVID-19, j’avais vraiment besoin de sortir de chez moi, de sortir de mon environnement. Après avoir été travailleuse indépendante pendant 10 ans, j’avais du mal à me trouver un travail, j’étais en quête de sens, j’avais beaucoup d’anxiété reliée à l’emploi.

Nina Bouchard, qui a participé à la dernière expédition de Cabestan

Et dans son cas, c’est réglé. Elle a carrément été embauchée par ÉcoMaris.

Mais en temps de COVID-19, comment de tels voyages de groupe peuvent-ils être organisés ? Les organisateurs précisent avoir l’aval de la Santé publique. Tous les participants devront avoir un test négatif avant le départ.

Et le voyage dure pile 14 jours.

Le temps d’une quarantaine tout à fait hors du commun.