Pas facile de savoir sur quel pied danser ces jours-ci : entre hypervigilance et laisser-aller, notre cœur a tendance à balancer. La règle des deux mètres vous irrite ? Vous n’êtes pas seul. Mais mieux vaut en faire trop que pas assez, martèlent les experts. Explications, en six mises en situation.

1. Mon enfant veut aller au parc avec un ami, en suivant les règles de distanciation physique, mais un de ses parents exige qu’ils portent le masque. N’est-ce pas un peu trop ?

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

En plus de leur imposer le respect de la distanciation physique quand ils jouent au parc avec leurs amis, les enfants devraient-ils absolument le faire masqués ?

Certes, les enfants semblent moins souffrir du virus, et surtout être moins « impliqués dans la contagion », répond Luc-Alain Giraldeau, directeur général de l’INRS. « Je ne suis pas spécialiste de santé publique », précise-t-il d’emblée. N’empêche qu’il en connaît un rayon sur la question. Éthologue de formation, spécialiste de la vie en groupe, il propose de prendre la question sous un angle différent.

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Luc-Alain Giraldeau, directeur général de l’INRS

« Quand on prend une décision, dit-il, il faut regarder les conséquences : si je n’en fais pas trop, quelles sont les conséquences ? Et si j’en fais trop, quelles sont les conséquences ? » L’enjeu du masque, faut-il le rappeler, n’est pas de se protéger soi-même, mais bien les autres. « Si l’enfant est porteur, il a moins de probabilités de transmettre le virus [s’il a un masque], dit-il. Au parc, difficile de prévoir ce qui va arriver. Une personne âgée pourrait passer. Moi, je ne vois pas de contre-indication à porter un masque. » En un mot : « Les conséquences sont beaucoup plus graves si on n’en fait pas trop… »

2. Ne plus sortir sans désinfectant pour les mains en poche, n’est-ce pas un peu trop ?

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Si les enfants semblent moins souffrir du nouveau coronavirus, et également moins le propager, ils doivent tout de même se plier aux mêmes règles sanitaires que les adultes.

« Vous savez, ce virus ne cherche qu’à se propager. Il veut se propager et profiter de toutes les occasions pour faire des copies de lui-même », poursuit le directeur général. Il suffit d’une occasion, une poignée de porte et une main au visage, et hop : « Un évènement peut vous contaminer. Alors oui, mieux vaut avoir le produit. » Un conseil à prendre avec discernement. « Tout dépend de ce que l’on fait, nuance ici Benoît Mâsse, professeur à l’École de santé publique de l’Université de Montréal. Si je vais promener le chien, et il ne va rien m’arriver, je ne sors pas avec mon gel. Je ne vais rien toucher ! » Cela étant dit, il en a toujours dans son auto, ajoute-t-il…

3. Vous invitez un ami pour un 5 à 7, mais celui-ci refuse votre boisson, et tient à boire ce qu’il a lui-même apporté, et pas une goutte de plus. N’est-ce pas trop ?

« Offrez une bière non décapsulée », suggère Luc-Alain Giraldeau, tout en soulignant que le plus difficile, dans ce cas précis, sera plutôt de respecter les deux mètres de distanciation physique. « On n’a pas l’habitude, et parfois on a l’impression d’être une gang de fous, concède-t-il, mais il faut accepter que la bête n’attend que l’occasion de nous envahir. » Au-delà de qui boit quoi (dans quoi…), Benoît Mâsse conseille plutôt ici de tenter de demeurer « conscient de ses mains » : « Parce que porter ses mains au visage est un réflexe. » Et c’est là que le bât blesse (et que la bête se propage, pour poursuivre avec la même métaphore). Solution : se laver les mains souvent, que l’on soit l’hôte ou l’invité.

4. Vous êtes invité à un BBQ (dehors, avec 10 personnes maximum, et tous à 2 m de distance…), et on vous demande d’apporter vos propres ustensiles de table. Trop ?

« C’est la même chose, poursuit le professeur. Il faut toujours être conscient de ses mains. Et c’est difficile, parce qu’à un moment donné, on se relaxe… » Justement, ne faudrait-il pas relaxer un peu ? vous demandez-vous. « Bien sûr qu’on peut ne pas en mourir, mais on peut avoir des séquelles, répond-il. Ce peut être extrêmement dur sur le corps […] et je pourrais aussi être celui qui aura des complications. […] La COVID-19 est un nouveau pathogène que personne n’a expérimenté. Il y a des réactions qui peuvent être assez fortes. […] J’en ai beaucoup plus peur que de la grippe », tranche-t-il. Qui plus est, renchérit Luc-Alain Giraldeau, si la grippe tue certes aussi, « on n’a jamais vu de situation comme en CHSLD. Il faut se rendre à l’évidence, il y a quelque chose ici de plus virulent que la grippe ».

« On se doit tous de considérer la crainte qu’on a de l’attraper en crainte de la donner, dit-il. C’est une révolution qui est en train de se faire. Ce que les gens doivent comprendre, la crainte, ce n’est pas de l’attraper. Un peu comme la question du vaccin. Ça n’a rien à voir avec la personne qui reçoit le vaccin. On reçoit un vaccin [non pas pour ne pas attraper un virus, mais] pour ne pas le donner. C’est un geste civique que l’on pose. »

5. Interdire aux invités d’aller aux toilettes, ou désinfecter illico, n’est-ce pas un peu trop ?

Certes, concèdent ici nos interlocuteurs. « On ne peut pas recevoir du monde et imaginer qu’ils vont se retenir », note Luc-Alain Giraldeau. Il propose ici d’avoir un « protocole de toilettes », un chemin direct pour s’y rendre et fournir quelque chose pour nettoyer ses mains en entrant. Puis nettoyer à l’eau savonneuse les poignées de porte une fois votre soirée terminée. Mieux (ou plus simple) : si vous avez une deuxième salle de bains, condamnez-la les trois jours suivants, puisque le virus ne survit pas plus de 72 heures sur une surface.

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Benoît Mâsse, professeur à l’École de santé publique de l’Université de Montréal

« C’est ce que je fais avec les boîtes de Costco », glisse d’ailleurs Benoît Mâsse.

6. On laisse les enfants jouer (à distance) dans la ruelle. Mais pas question, même en cas de canicule, de les laisser entrer se rafraîchir. N’est-ce pas trop ?

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Les enfants (tout comme leurs parents) se réunissent à nouveau dans les ruelles, pour jouer ensemble, mais tout en gardant leurs distances.

Vous l’aurez deviné : « L’intérieur, c’est vraiment l’endroit à éviter, poursuit le professeur. À l’extérieur, ça ne m’inquiète pas trop. Mais à l’intérieur, c’est là qu’il y a beaucoup plus de chances de transmission. » Certes, toutes ces règles « à la quantité » peuvent finir par être contraignantes, concède-t-il. Surtout qu’on n’a pas la preuve, hors de tout doute, qu’elles sont effectivement toutes efficaces. Le chercheur plaide donc pour des « évaluations […] formelles » desdites mesures : « À la suite de ces évaluations, si on observe que certaines de ces mesures préventives n’ont aucun impact, ou très peu, on peut les mettre aux oubliettes et simplifier la vie quotidienne des Québécois. Si elles s’avèrent efficaces, on sera d’autant plus motivé… à apporter notre bouteille au 5 à 7 ! », conclut-il.