Dans un épisode émouvant de la série documentaire The Last Dance, sur Netflix, la légende du basketball Michael Jordan, après un deuil douloureux, parle d’une leçon que lui a apprise très jeune son père : « toujours transformer le négatif en positif ».

C’est, bien sûr, un lieu commun. Et ça peut sembler fleur bleue, voire inconvenant dans un contexte de pandémie mondiale. À plus forte raison à Montréal, où bien des gens ont perdu des proches en raison de la COVID-19.

Quel « positif » tirer d’une telle crise ? Des communautés sont décimées, la détresse psychologique est largement répandue, chez les plus jeunes comme chez les plus vieux. Quantité de gens ont perdu un emploi ou craignent de perdre un commerce, n’arrivent plus à payer leur loyer ou leur hypothèque.

La paupérisation et l’inquiétude sont généralisées. À peu près tout le monde souffre, à différents degrés, de la pandémie. Ne serait-ce que de l’isolement, de l’incertitude et de l’angoisse qui en découlent.

Il faut toujours voir le bon côté de la vie, chantait la bande de Monty Python à la toute fin du film Life of Brian. « Si la vie te semble pourrie/Il ne faudrait pas que tu oublies/De rire, sourire, danser et chanter », chante Eric Idle avec un surplus d’humour noir, en sifflotant avec ses compagnons d’infortune, tous crucifiés comme lui.

Peu de gens ont en ce moment envie de siffloter. Je ne sifflote pas, moi non plus. Mais je mesure ma chance. Je ne suis pas malade, j’ai du travail. Dans la situation privilégiée qui est la mienne, j’ai le loisir – qui n’est pas donné à tous – de voir le verre à moitié plein. De réfléchir à ce que l’on pourra, collectivement, retenir de cette épreuve. À ce que signifie l’adage « apprendre dans l’adversité ». À ce que Michael Jordan entend par « transformer le négatif en positif ».

S’il y a des leçons à retenir de cette crise, dans ma vie familiale, elles me semblent assez banales et triviales. Avons-nous changé en mieux ? J’en doute. Je me console en me disant que nous n’avons pas changé, ensemble…

Depuis cinq semaines, j’ai rendez-vous avec Fiston pour regarder les nouveaux épisodes de la série sur Michael Jordan, qui s’est conclue lundi. Lui découvre le joueur derrière le mythe et la marque de souliers. Je me replonge dans mes souvenirs de jeunesse et je découvre le bully derrière le personnage public. Nous communions, d’une nouvelle façon, à l’autel du sport, alors que la plupart des ligues professionnelles sont à l’arrêt.

Comme deux Elvis Gratton en puissance, nous regardons de vieilles finales de la Coupe du monde de soccer, le mercredi à RDS. Cette semaine, j’étais ravi de lui présenter la seule finale à laquelle j’ai assisté, Brésil-Allemagne en 2002. Puis nous apprécions le retour des matchs télédiffusés de la ligue allemande, même sans foule.

PHOTO FOIURNIE PAR LUCASFILMS, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Scène du film Raiders of the Lost Ark

Avec le plus jeune, je regarde en moyenne quatre ou cinq films par semaine. Ce ne sont pas toujours des chefs-d’œuvre, tant s’en faut (j’avais oublié à quel point les vieux Indiana Jones étaient médiocres). Mais ce sont des prétextes à des moments privilégiés où nous nous retrouvons, tous les deux, collés sur le canapé. Le Grand Confinement de 2020 restera lié pour moi à ces moments de loisirs communs, partagés avec mes ados. Je sais que j’en serai nostalgique dans quelques années à peine.

Le télétravail permet non seulement une plus grande efficacité et plus de flexibilité, mais plus de disponibilité pour ma famille. Nos soupers sont moins souvent abrégés par mes obligations professionnelles. Nos soirées sont plus libres. Nous prenons le temps de discuter, de marcher, de flâner. Il nous apparaît évident que l’horaire de l’école secondaire n’est pas le moindrement adapté au cycle naturel de sommeil des adolescents.

Depuis que mes parents, qui ont l’habitude de voyager, sont pratiquement assignés à résidence, nous en profitons pour leur rendre visite plus souvent, du bas de l’escalier, à distance réglementaire. Aparté : à la fête des Mères, j’ai trouvé un bouquet de fleurs séchées devant chez moi, qui était destiné à une mère que je ne connais pas. Sur la carte, il était inscrit « Ça va bien aller ». J’ai déposé le bouquet un peu plus loin, bien en vue. Une semaine plus tard, il y était toujours. Quand tu ne connais pas l’adresse de ta propre mère, ça ne va pas bien, non… Fin de l’aparté.

Nos nouvelles habitudes de consommation seront, je crois, durables. Nous étions déjà abonnés à des paniers de produits alimentaires locaux avant la pandémie. Nous y trouvons presque tout, même s’il y a parfois de mauvaises surprises dans les livraisons… La semaine dernière, j’ai commandé 11 tablettes de chocolat noir (c’est mon péché mignon), et on m’a plutôt livré 11 brosses à dents en bambou… pour enfants !

Le confinement comporte bien sûr, chez nous comme chez d’autres privilégiés, quantité de petits irritants. Des « First World Problems », comme disent les Parisiens du 16e arrondissement. Les ados mangent à longueur de journée, laissent traîner verres et assiettes partout. Le lave-vaisselle est à la limite du surmenage, mais eux ne font pas davantage de ménage.

Le contexte actuel, qui favorise le farniente et le relâchement douillet, met en évidence mon manque de poigne. Il faudrait que je mette les Fistons au pas. Je ne leur rends pas service en étant un papa-gâteau. Ce sera mon objectif du mois prochain. Pour l’instant, je m’irrite moi-même à prononcer trop souvent cette phrase qui leur fait rouler les yeux : « Ce n’est pas un hôtel ici ! »

Ce qu’il restera de nous après tout ça ? En attendant que cette pandémie ne soit plus une pandémie, je le répète : je mesure ma chance. Tout le reste est sans importance.

Repose en paix, grand-maman

Lorsque je lui ai dit « À bientôt, j’espère », je me doutais bien que c’était la dernière fois. Elle avait toute sa tête, mais son corps ne suivait plus. Son plus grand souhait était de revoir ses cinq filles, malgré la pandémie. Il a en partie été exaucé. Les trois qui habitent la Gaspésie ont pu se rendre à son chevet. Alphonsine Leblanc-Côté est partie doucement, mardi. Elle avait 105 ans. Repose en paix, grand-maman.

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