L’idée de ce reportage ? Cogner aux portes d’un immeuble au hasard et discuter avec tous ses locataires. Pour partager une partie de leur vie, alors que nous sommes tous isolés. Nous nous sommes donné rendez-vous au milieu de la ville, dans la Petite Italie, durant un après-midi. Confinement oblige, tous les voisins d’un triplex de la rue Saint-Denis étaient à la maison. Portrait d’un bon voisinage qui dure depuis près de 10 ans.

Deuxième étage : Isabelle Contant, Clara et Boudreau

FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Isabelle Contant, Clara et Francis Boudreau

Francis Boudreau habite dans son appartement de la rue Saint-Denis depuis près de 20 ans, soit la moitié de sa vie. « J’ai eu des colocs, de moins en moins de colocs, j’ai vécu seul, avec ma blonde, et nous avons maintenant une fille », détaille-t-il.

Sa blonde s’appelle Isabelle. Leur fille, Clara, a 4 ans.

Comment se passe le confinement ?

« De mieux en mieux », lance-t-il.

La vie du couple a été chamboulée par la crise du coronavirus.

Seulement trois jours avant le confinement, Isabelle a eu un contrat d’enseignement dans une école. « Elle ne connaissait pas ses étudiants et elle devait leur préparer des capsules sur le web », raconte son amoureux.

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Francis Boudreau

« Moi, je suis musicien. Tout ce que j’avais au programme est disparu. Tous mes spectacles ont été annulés, mais j’ai pu finir des contrats en télétravail », indique le guitariste de Jonathan Painchaud, qui multiplie les projets en parallèle.

Comme bien de jeunes parents, Isabelle et Francis ont tenté tant bien que mal d’être des éducateurs, des travailleurs et des parents « en même temps ».

Sa compagne et lui ont finalement trouvé un équilibre. « J’ai passé la puck à ma blonde pour qu’elle puisse travailler. Je suis libre, donc je passe la journée dehors avec ma fille. »

Clara joue avec une voisine dans la ruelle tous les jours. « Un risque calculé qui a tout changé », dit son père.

Francis Boudreau est originaire de Havre-Saint-Pierre. Il adore la Petite Italie, « le seul quartier de Montréal où j’ai vécu ». « Tu as tout à portée de main à pied. Il y a une petite vie de village. »

Il rêve de quoi, après le confinement ? « Je ne sais pas… Peut-être une piscine », lance-t-il.

« On se concentre sur des choses simples. On vient d’enlever les petites roues du vélo de ma fille et, en deux jours, elle pédalait. Sinon, on cuisine et on se balade en famille. »

Et la vie avec ses voisins du bas ? « C’est smooth. C’est cool », dit le doyen de l’immeuble.

Premier étage : Christian Letendre

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Christian Letendre

De loin, son visage nous était familier. Christian Letendre est un collaborateur de l’émission de radio La soirée est (encore) jeune et il signe notamment des articles dans Urbania. Avant cela, nous avons étudié ensemble en communication à l’Université de Montréal.

Il barrait son vélo sur le balcon du premier étage quand nous l’avons reconnu du bas des marches.

« Comment ça va ?

– Bien. Le confinement n’a pas changé grand-chose à ma vie, à part que je ne peux pas voir des amis. Je suis pigiste, donc j’écris de la maison. Ma blonde a fait un retour aux études, donc elle était aussi souvent à l’appart avant le confinement. Contrairement à d’autres couples, nous n’avons pas eu à nous adapter à une nouvelle vie 24 heures sur 24 ensemble. On s’arrange assez bien. »

Christian demeure dans son appartement depuis « 13 ou 14 ans ». Sa compagne a emménagé avec lui il y a deux ans.

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Christian Letendre

Il apprécie que ses voisins et lui partagent leur immeuble de la rue Saint-Denis depuis près d’une décennie. « C’est rare », souligne-t-il.

Dans une autre vie, sa voisine du bas, Émilie D’Amours, et lui ont travaillé ensemble – « mais pas sur le même étage » – à l’agence de publicité LG2. « C’est en se croisant, quand elle a déménagé, que nous avons fait le lien. »

Merci aux propriétaires de leur triplex : des terrasses ont été aménagées derrière l’immeuble il y a deux ans. Elles seront très utilisées cet été. Elles le sont même déjà. « Nous sommes assis à notre petite table en faisant du BBQ et on peut se parler », raconte Christian.

« Il y a une effervescence dans la ruelle, ajoute-t-il. Quand il fait beau, les enfants jouent dehors. »

Alors que, pour beaucoup de gens, le confinement dure depuis trop longtemps, Christian Letendre s’y attendait. « J’étais parmi les plus pessimistes. Je parlais de la mi-juin… »

Christian garde le moral. Il essaie de sortir marcher une heure chaque jour.

Fait-il beaucoup de vélo ? « Seulement pour me déplacer, et je ne me déplace pas beaucoup. »

« Mon histoire est plate, hein ? », lance-t-il.

Au contraire, c’est plutôt réconfortant de parler avec un ancien camarade de classe au calme contagieux qui se dit tout simplement bien chez lui.

Rez-de-chaussée : Émilie D’Amours

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Émilie D’Amours

Enseignante en devenir, Émilie D’Amours suivait une formation en ligne quand nous avons cogné chez elle après avoir parlé à son voisin du haut.

Elle habite au rez-de-chaussée du triplex depuis neuf ans. « Je ne devais pas être ici », lance-t-elle.

Elle était en stage dans une école en Colombie-Britannique quand la crise du coronavirus a éclaté, si bien qu’elle a dû retourner au Québec six jours après son arrivée.

Résultat : elle s’est retrouvée avec son colocataire – qu’elle devra remplacer avant juillet en pleine pandémie, dans un contexte « imprévu, soudain et rapide ».

Au départ, il a fallu faire le deuil de la fin abrupte de son stage, qui devait durer quatre mois. Maintenant, après des semaines de confinement, le contact humain lui manque. « Je suis une personne extravertie et chaleureuse. »

« Heureusement, j’ai de bons voisins. »

Elle a par ailleurs déjà travaillé – rappelons-le – avec Christian, son voisin du haut, pour la boîte de publicité LG2. « C’est là que nous avons su que nous étions voisins. »

« Pendant ma quarantaine, Christian m’a offert de faire mes courses, souligne-t-elle. C’était gentil. »

Émilie aime aussi jaser avec sa voisine du deuxième étage – Isabelle – puisqu’elle étudie aussi en enseignement après une réorientation de carrière. « Nous avons beaucoup de points en commun. »

Isabelle est la compagne de Francis et la mère de Clara. « L’autre jour, pour remercier et encourager tout le monde, j’ai fait des écorces de citron trempées dans le chocolat et j’ai distribué des petits sacs, raconte-t-elle. Je trouve cela vraiment cool qu’on s’entende bien. Quand je suis arrivée à Montréal, je trouvais que les voisins se parlaient peu. Je suis chanceuse. »

Émilie D’Amours est originaire de Sorel. Comme la plupart des gens, elle minimisait les choses au début de la pandémie. Surtout qu’elle était sur l’île de Vancouver, où il y avait peu de cas. « Quand j’ai vu que les gens achetaient du papier de toilette en masse, j’ai compris qu’il fallait que je rentre. »

Les voisins du rez-de-chaussée : Justin Champagne et Megan Vallée

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Justin Champagne et Megan Vallée

Même à Montréal, le monde est petit.

C’est grâce à Émilie D’Amours que Justin Champagne est devenu son voisin de rez-de-chaussée, bien qu’ils se connaissent peu.

Quand Émilie a appris qu’un appartement s’était libéré dans l’immeuble à côté de chez elle, elle l’a fait savoir à « l’ami d’un ami » qui se cherchait un toit à louer.

Le colocataire de « l’ami d’un ami » est donc Justin Champagne. Il boit un verre de vin blanc avec sa copine, Megan Vallée, quand nous décidons – une petite triche à notre reportage – de leur piquer une jasette bien qu’ils ne vivent pas dans le triplex voisin.

Megan mérite son verre de vin blanc. Les journées de congé se font rares pour l’infirmière aux soins intensifs à l’Hôpital général juif de Montréal, où l’on traite les cas de COVID-19 depuis le tout début de la crise. « Boulot, dodo, résume-t-elle. Heureusement, je suis dans une super équipe. Nous sommes un bulldozer qui avançons ensemble. »

Quant à Justin, il ne travaille plus comme cuisinier au restaurant Beaufort, rue Saint-Zotique, situé à quelques pas de chez lui. « Je trouve cela long. Heureusement, je m’occupe. Je fais du graphisme et je peins. »

Justin et Megan étaient en voyage à Budapest et Paris juste avant que la crise éclate. Leurs vies professionnelles sont opposées en ce moment, mais leur temps de couple est plus que précieux.

Megan rêve « de nature et de sortir de la ville ». « J’ai acheté un canot l’été dernier », souligne-t-elle.

À l’inverse, la vie urbaine manque à Justin. « Boire un verre sur une terrasse. »

Mais tous les deux, ils souhaitent une chose importante : « Voir notre monde. »

« Ce qui rend la ville agréable, c’est le contact humain, dit Megan. Là, tout est proche, mais inatteignable. »

Megan a grandi pas loin, dans Villeray. Justin espère ne jamais devoir quitter son quartier, auquel il est très attaché.

Les deux amoureux se sont par ailleurs rencontrés tout près de leur appartement, il y a un an, au bar La P’tite Place, célèbre pour ses soirées de karaoké. « Nous avons fermé le bar, en chantant La folie en quatre de Daniel Bélanger. »

N’est-ce pas beau ?