On n’a jamais autant parlé des aînés que depuis le début de la pandémie. Et si on les écoutait, maintenant ? Dans le cadre de cette série, La Presse prend des nouvelles de personnalités du milieu culturel qui ont plus de 70 ans. Des femmes et des hommes sages et moins sages, qui nous rassurent face à l’avenir. Parce qu’ils ont su vieillir sans devenir vieux. 

Le nouveau livre d’Antonine Maillet a pour titre Fabliau des temps nouveaux. C’est une jolie et courte fable, avec de curieux personnages invités par « Messire le Temps et ses acolytes, l’Histoire et le Progrès » à explorer la planète, par les airs, la mer et la terre, afin de répondre à une grande question existentielle : « Où allons-nous ? »

Alors que l’univers est en suspens, on avait envie, à notre tour, de poser quelques questions à l’auteure acadienne, premier récipiendaire non européen du prix Goncourt, en 1979, pour son roman Pélagie-la-Charrette.

PHOTO RENÉ PICARD, ARCHIVES LA PRESSE

Antonine Maillet en novembre 1979, l’année du prix Goncourt pour son roman Pélagie-la-Charrette

Tout d’abord, comment allez-vous ces temps-ci, Mme Maillet ? « Je vais bien, merci. Ma santé est bonne et je ne manque de rien. Je me considère très chanceuse d’être en vie et encore active à 90 ans. De toute façon, les artistes ne sont jamais vieux, vous savez. »

En écrivant son plus récent livre, Mme Maillet ignorait qu’il serait publié le jour même, le 19 mars, où la crise de la COVID-19 frapperait de plein fouet le Québec. Le lancement a bien sûr été annulé. Depuis, cette femme érudite, cultivée suit les événements, confinée dans son appartement. Elle ne sort que pour prendre un peu d’air devant son immeuble au centre-ville.

Toutefois, Mme Maillet n’est pas seule. Il y a tant de livres, de contes et de personnages qui l’habitent. Forcément, ces temps-ci, l’écrivaine se plonge dans ses lectures ainsi que dans l’Histoire. « Je pense aux guerres, aux conquêtes et aux autres tragédies que la planète a connues au cours des siècles, dit-elle. La tragédie fait partie de l’histoire, mais son contraire aussi. Le courage, l’héroïsme, et tous nos combats pour sauver l’humanité en péril. » 

Aujourd’hui, en voyant plein d’exemples de solidarité dans la population, Mme Maillet constate, comme nous tous, que l’héroïsme, c’est aussi ces petits gestes envers les autres ; ces moments où l’on se serre les coudes pour aider son prochain. 

Le « petit corona »

Antonine Maillet ne voit que deux issues au bout de la tempête planétaire : l’obscurité ou l’éclaircie. « On s’en sortira pire ; ou bien, on deviendra meilleurs que nous sommes. Or, je suis portée à dire que l’Humanité en retirera quelque chose de bon. C’est la première fois qu’une catastrophe atteint tous les pays et toutes les personnes sans distinction de classes ni de race. Même le prince Charles a été couronné par le coronavirus. »

Elle rit légèrement de sa métaphore royale : on est une dame de lettres ou pas !

Il faut devenir plus solidaires sur la Terre. C’est ainsi qu’on pourra triompher de ce petit corona-là. Ce virus qui nous tue, mais qui est minuscule ; un ennemi invisible. Pas un ogre ou un Hitler.

Antonine Maillet

La créatrice de La Sagouine cite l’écrivain romantique Alfred de  Vigny. « Si le monde est un navire, le poète n’est pas au gouvernail : il est à la proue, car il observe le ciel, les étoiles, le fond de la mer, pour savoir vers où aller. »

Selon l’auteure, nos puissants dirigeants auraient intérêt à écouter les allumeurs de rêves. Au lieu de chercher à être toujours plus puissants. L’humain doit regarder au fond de lui pour dépister les « dangers imperceptibles » ; comme ce « petit corona qui se cache en nous », dit-elle, en remarquant que « les deux grandes puissances mondiales qui s’affrontent comme des monstres [la Chine et les États-Unis] » sont parmi les pays les plus touchés.

La vie avant l’économie

En entrevue à la radio d’ICI Première, la semaine dernière, le neuropsychiatre Boris Cyrulnik a affirmé que, pour la première fois, « les sociétés font passer la vie de l’individu avant l’économie ». Jusqu’ici, c’était plutôt l’inverse. Selon lui, c’est une véritable « révolution de la pensée porteuse d’espoir ». Êtes-vous d’accord, Mme Maillet ?

« Ça dépend de qui, répond-elle. Je pense que le premier ministre Legault, par exemple, voit l’humain en premier. Tandis que Donald Trump pense à l’économie d’abord. Il ne faut pas se faire d’illusions. D’ici la fin de la crise, des gens vont se garrocher pour s’enrichir et tirer profit de la pandémie. Ça fait partie de la nature humaine. » 

Toutefois, même si le drame qu’on vit présentement n’a rien de réjouissant, « il peut nous faire découvrir de nouvelles valeurs, plus créatives, une vraie richesse humaine autre que celle de l’argent », croit-elle.

Une dernière question avant de raccrocher… Qu’est-ce que la Sagouine, cette brave Acadienne qui a survécu à bien des malheurs, penserait de la pandémie actuelle ? Que dirait ce sage personnage – qui fêtera ses 50 ans l’an prochain – pour nous rassurer au milieu de ce grand dérangement ?

Une phrase fétiche lui revient en tête : « C’est point d’aouère de quoi qui rend une parsoune bénaise, c’est de saouère qu’a’ va l’aouère. » 

Traduction par l’auteure : « Ce n’est pas la possession des choses qui rend heureux, mais c’est la quête du bonheur. C’est au printemps qu’on a hâte de voir venir l’été. »

Et comme c’est joli, le printemps, quand Antonine Maillet nous donne de ses nouvelles.

Bio

Née en 1929 à Bouctouche, au Nouveau-Brunswick, Antonine Maillet a écrit une cinquantaine de livres (romans, contes, pièces de théâtre et essais), dont La Sagouine, Pélagie-la-Charrette (prix Goncourt, 1979), Le huitième jour, Le chemin Saint-Jacques et Clin d’œil au temps qui passe. Sa renommée s’étend à toute la francophonie, et son œuvre est aujourd’hui traduite en plusieurs langues. Son plus récent ouvrage, Fabliau des temps nouveaux, vient d’être publié chez Leméac.