Le mouvement a commencé doucement, puis s’est fortement intensifié ces derniers jours. On ne vous parle pas ici de la COVID-19, mais plutôt de la publication massive de vieilles photos d’enfance par les utilisateurs de Facebook et d’Instagram. D’où vient le mouvement et que signifie-t-il ? Les réponses ne sont pas si enfantines.

Une, deux, puis des centaines de photos extirpées du passé ont soudainement ressurgi dans les réseaux sociaux, présentant de joyeuses bouilles et surprenant les entourages. D’innombrables internautes ont suivi le mouvement, qui répondait au départ à un défi comme on croise parfois sur ces plateformes (souvenez-vous de l’ice bucket challenge), en publiant une photo d’antan d’eux-mêmes. Même les célébrités se sont prêtées au jeu en dévoilant cette face cachée de leur intimité. Mais d’où vient l’étincelle ? Qui a été le patient zéro à montrer le premier sa photo ?

« C’est très difficile de cerner la source de tels mouvements, c’est souvent multifactoriel », indique Nellie Brière, consultante et conférencière spécialisée en stratégies de communications numériques. « C’est quelque chose que j’avais déjà vu passer par petites vagues auparavant. Là, ça a fait un tsunami, probablement que les conditions étaient propices. C’est sûr que le confinement joue un grand rôle là-dedans. »

Quelques artistes ont partagé leur cliché d’enfance
  • Ariane Moffatt a publié sur Instagram ce souvenir d’elle enfant « sur le dos de maman Marie probablement à Pohénégamook quelque part pendant l’été 1980 ».

    PHOTO TIRÉE DU COMPTE INSTAGRAM D’ARIANE MOFFATT

    Ariane Moffatt a publié sur Instagram ce souvenir d’elle enfant « sur le dos de maman Marie probablement à Pohénégamook quelque part pendant l’été 1980 ».

  • La comédienne Marie-Soleil Dion (à droite) a elle aussi relevé le défi nostalgique.

    PHOTO TIRÉE DU COMPTE INSTAGRAM DE MARIE-SOLEIL DION

    La comédienne Marie-Soleil Dion (à droite) a elle aussi relevé le défi nostalgique.

  • « Clairement la magie des Fêtes avait pas eu son effet sur moi pis mon pad cette année-là ! », a écrit Debbie Lynch-White dans le billet accompagnant cette photo.

    PHOTO TIRÉE DU COMPTE INSTAGRAM DE DEBBIE LYNCH-WHITE

    « Clairement la magie des Fêtes avait pas eu son effet sur moi pis mon pad cette année-là ! », a écrit Debbie Lynch-White dans le billet accompagnant cette photo.

  • « Mon premier French. #CovidLove #vieillesphotosCHALLENGE #bisousdamour #prisenflagrantdélitdetendresse », a écrit Phil Roy en partageant ce cliché sur Instagram.

    PHOTO TIRÉE DU COMPTE INSTAGRAM DE PHIL ROY

    « Mon premier French. #CovidLove #vieillesphotosCHALLENGE #bisousdamour #prisenflagrantdélitdetendresse », a écrit Phil Roy en partageant ce cliché sur Instagram.

  • Xavier Dolan, enfant

    PHOTO TIRÉE DU COMPTE INSTAGRAM DE XAVIER DOLAN

    Xavier Dolan, enfant

  • « Bad girl for life », a écrit Mariana Mazza en publiant cette photo d’elle plus jeune.

    PHOTO TIRÉE DU COMPTE INSTAGRAM DE MARIANA MAZZA

    « Bad girl for life », a écrit Mariana Mazza en publiant cette photo d’elle plus jeune.

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En effet, ce défi était apparu pour la première fois vers 2014, et consistait alors à inviter trois contacts à publier une photo d’enfance, à défaut de quoi un repas au resto devait être payé au lanceur de l’appel. En plein isolement social, le Québec a relancé la machine — le pari du resto a disparu, on s’en doute ! —, et voici les fils d’actualité tapissés de souvenirs.

Comment expliquer cette résurgence, et surtout, qu’exprime-t-elle ? Le psychologue Dominick Gamache paraît tout désigné pour analyser la chose, ayant lui-même exhumé et publié une photo d’enfance sur sa page Facebook en fin de semaine. 

Quand le futur est incertain, angoissant, on peut avoir tendance à se tourner vers le passé, à idéaliser une époque où les choses semblaient plus simples, avec moins de danger ou d’adversité.

Dominick Gamache, psychologue et professeur à l’Université du Québec à Trois-Rivières. 

La conférencière et psychologue Rose-Marie Charest, elle, y voit la référence à une innocence perdue. « C’est une innocence qu’on ne peut plus se permettre en ce moment. Personne n’aurait pu prévoir une telle catastrophe mondiale. On se souvient de cette période où on ne s’imaginait même pas que des choses ordinaires pourraient poser problème dans la vie », dit-elle.

PHOTO OLIVIER JEAN, ARCHIVES LA PRESSE

Rose-Marie Charest, psychologue et conférencière

Du lien et des jeux

Dans un contexte de distanciation sociale inédit, le besoin d’empêcher les liens de se déliter est plus que jamais pressant. M. Gamache souligne que le partage de ces photos d’époque peut créer un sentiment d’unité et de connexion : les internautes les commentent, se remémorent ensemble de bons souvenirs, se surprennent, se redécouvrent. Parfois, c’est autant d’eau acheminée au moulin des rapports familiaux, certains ayant joint leurs parents pour leur demander de chercher et de dépoussiérer les précieux clichés.

Selon Mme Charest, la crise a créé un isolement qui, en retour, a intensifié les contacts par les réseaux sociaux. Et dans ce cadre, « on n’a jamais laissé tant de gens entrer dans notre intimité », dit-elle ; le dévoilement d’une photo d’enfance étant une invitation probante à investir cette intimité… qui rime avec vulnérabilité. « Ça lance ce message : “J’ai été enfant et je suis rendu adulte, j’ai vécu au-delà de certaines embûches.” De retour à une période de vulnérabilité, peut-être qu’on veut démontrer qu’on peut survivre à celle-ci », suppose-t-elle.

Bilans, morts, chômage… Criblés de nouvelles dramatiques, pataugeant dans une ambiance délétère, les Québécois se sont aussi trouvé un moyen d’accoster sur un îlot de positivité avec, au gré des photos, des sourires ensoleillés. « C’est un petit plaisir simple, qui permet de prendre une pause de toute la négativité qu’on peut voir, avec beaucoup de souvenirs heureux, qu’on a plaisir à se rappeler ensemble », observe Dominick Gamache. Un plaisir doublé d’un jeu, renchérit Rose-Marie Charest, où l’on invite, explicitement ou non, les autres à embarquer.

Et à la psychologue de conclure : « Ces photos, c’est nous dans une posture qui attire l’amour et la sympathie, c’est peut-être cela que l’on cherche à déclencher aussi. »

Publier mon minois enfantin, un risque ?

Après la succession de scandales sur la reconnaissance faciale et l’utilisation des données qui en découlent (on se souvient des questions soulevées par FaceApp, application de vieillissement du visage), peut-on juger risqué de publier ses photos d’enfance ? « Rendu là, ce n’est pas avec les photos d’enfance qu’il y a le plus grand problème. Il y a des intelligences artificielles qui, de toute façon, reconnaissent déjà votre visage, que vous ayez publié ou pas des photos de vous-même enfant. Ce n’est pas ça qui va améliorer le niveau de finesse de reconnaissance », assure Nellie Brière, disant plutôt s’inquiéter des caméras de surveillance capables de reconnaître et de classifier les visages.