Un joli bandeau jaune. Voilà ce que Claire Lohezic a créé à la fin de novembre, quand elle s’est mise au tricot. « J’avais envie de m’occuper en faisant quelque chose de mes mains », explique la Montréalaise, qui travaille comme préposée aux bénéficiaires.

Elle n’est pas la seule à chercher un peu de douceur dans la laine. « Depuis la pandémie, la demande explose », assure Madeleine Savard, copropriétaire de la boutique Les Tricoteuses du quartier, rue Fleury, à Montréal.

Modernisé par un renouvellement du matériel (aiguilles circulaires et laines variées) et des modes de transmission du savoir (par YouTube et des sites comme Ravelry.com, qui compte 9 millions de membres), le tricot a la cote « depuis quelques années », constate Fanny Lalonde, de la boutique La Bobineuse, avenue du Mont-Royal, à Montréal. L’arrivée du coronavirus dans nos vies a toutefois « manifestement » amplifié cet engouement, précise-t-elle.

Nouveaux tricoteurs

« Il y a des gens qui avaient déjà tricoté et qui ont décidé de recommencer pendant le confinement, parce qu’ils cherchaient une activité à faire à la maison », observe Ophélie Clermont, de La Maison tricotée, boutique de la rue Gilford, à Montréal.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

« Il y a une très grosse hausse du nombre de tricoteuses », affirme Ophélie Clermont, enseignante et conseillère à La Maison tricotée, à Montréal.

On a aussi énormément de débutants. Ce sont de jeunes mamans, des personnes retraitées ou encore des gens qui ne sont juste plus capables de dealer avec leur stress… Les femmes sont, encore en 2020, largement majoritaires.

Ophélie Clermont, enseignante et conseillère à La Maison tricotée, à Montréal

Ophélie Clermont s’est mise au tricot à 19 ans. « À l’époque, j’étais étudiante, et ça me prenait vraiment quelque chose pour gérer mon stress, dit la jeune femme. J’étais aussi intéressée à faire mes propres vêtements, par conscience écologique. »

PHOTO FOURNIE PAR JOSÉE POIRIER

« Je tricote tous les soirs », dit Josée Poirier, qui a fabriqué cette tuque colorée. « Ça me détend, car je travaille beaucoup et je suis plus stressée, en raison de la pandémie. »

Nouvelle adepte, Josée Poirier, de Laval, a tricoté ce qu’elle appelle avec humour sa « collection COVID-19 », constituée de bonnets, de foulards et de cache-cou. « Quand je tricote, je ne pense qu’au tricot, fait-elle valoir. Je deviens plus relaxe. Je n’ai pas l’intention de devenir une experte du tricot, j’apprécie juste le bien-être que cela m’apporte dans cette période-ci. »

Prescription de tricot

Les bienfaits du tricot sont nombreux, confirme Annie Jeanson, psychologue du travail à Sherbrooke et tricoteuse passionnée. Relaxation, gestion du stress et de l’humeur, développement des habiletés cognitives et hausse de l’estime de soi en font partie, selon les projets développés.

Avec ses mouvements répétitifs, le tricot favorise la collaboration du corps et de l’esprit. Il « active les mêmes zones du cerveau que la pratique du yoga ou de la méditation », indique par courriel Annie Jeanson. Son conseil pour gérer le stress ? Tricoter pendant au moins 20 minutes, trois fois ou plus par semaine.

Il y a une relation significative entre la fréquence de la pratique du tricot et la sensation de calme qui habite une personne.

Annie Jeanson, psychologue du travail à Sherbrooke et tricoteuse passionnée

Mère d’un bébé et d’un jeune enfant, Carol-Anne Bélanger était trop occupée pendant le confinement du printemps pour manier les aiguilles. « J’ai repris le tricot à l’arrivée du temps froid, pour mon plaisir, témoigne-t-elle. C’est un moment où je mets à profit ma créativité. En tricotant, je vis dans le moment présent ; j’y vois une sorte de méditation. »

PHOTO FOURNIE PAR CAROL-ANNE BÉLANGER

Cette pieuvre au crochet est l’œuvre de Carol-Anne Bélanger, sous le nom Créations CardaMom.

« Grâce aux contacts avec les sens, le tricot nous garde dans le moment présent, donc loin des appréhensions du futur ou des ruminations du passé », explique Annie Jeanson. C’est utile pour calmer l’anxiété, à condition de ne pas s’en servir comme moyen d’éviter ses problèmes, ses tâches ou autres responsabilités.

Pas économique

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

« On vit un moment stressant, qui nous a confinés, isolés », observe Leïla Raison-Legros, qui comprend ce qui motive l’engouement actuel pour le tricot. Tricoter permet d’apaiser les angoisses, notamment liées à la perte d’emploi.

Gros hic : le prix de la belle laine, qui grimpe vite. « Dans la majorité des DIY [Do it yourself,faire soi-même” en français], l’objectif principal est de faire l’économie d’une ressource », analyse Leïla Raison-Legros, autrice d’un mémoire de maîtrise en sciences de gestion sur le sujet, déposé à l’UQAM en 2019. « C’est souvent l’argent, mais ça peut aussi être une économie de temps. Le tricot se distingue parce que c’est super cher, c’est super long et c’est compliqué. » Commander un foulard en ligne est mille fois plus simple que de le tricoter — peut-être aussi mille fois moins gratifiant.

Leïla Raison-Legros a interrogé 20 membres de la génération Y (nés entre 1980 et 1999) adeptes de DIY — le tricot étant parmi les plus populaires de ces loisirs. « Leurs motivations sont intrinsèques plus qu’extrinsèques », indique-t-elle. Ces jeunes adultes tricotent pour s’apaiser, pour rompre la solitude, pour approcher un soi idéalisé, mais aussi pour retourner aux sources.

Il y a beaucoup de gens qui ont l’impression d’être dépossédés de leurs moyens quand ils voient tout le savoir-faire de leurs grands-parents. Ils ont le désir de réapprendre à être outillés, à faire des choses sans avoir tout cuit dans le bec.

Leïla Raison-Legros, autrice d’un mémoire de maîtrise en sciences de gestion sur le DIY

Apprendre sur YouTube

Encore faut-il apprendre à tricoter. Les cours de groupe sont annulés en raison de la pandémie, mais des leçons privées sont offertes, notamment à la boutique Les Tricoteuses du quartier (voir écran suivant). « Une fois que tu connais la maille à l’endroit et la maille à l’envers, c’est le début d’un nouveau monde », promet Madeleine Savard, copropriétaire de la boutique.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Madeleine Savard, copropriétaire de la boutique Les tricoteuses du quartier, avec sa fille Gabrielle Blais, gérante. « On reçoit beaucoup d’adolescents, qui sont très attirés par la grosse laine », dit Madeleine Savard.

La Maison tricotée mise pour sa part sur des cours en ligne, suivis « dans toute la francophonie », souligne Ophélie Clermont (voir écran suivant).

Quant à Claire Lohezic, elle a tricoté son bandeau après avoir regardé plusieurs tutoriels vidéo sur YouTube. « J’ai appris enfant, quand j’étais en vacances chez mes grands-parents, précise-t-elle. Mais ça faisait au moins 20 ans que je n’en avais pas refait. »

« Pour beaucoup, c’est une forme d’art qui leur a été transmise par une grand-mère, une tante ou un ami, observe Fanny Lalonde, de La Bobineuse. Le fait de tricoter leur rappelle une présence chaleureuse. »