Ça vous sonne une cloche ? Un éternuement, une douleur à la poitrine, et le hamster part en cavale : qui va s’occuper des enfants s’il faut s’encabaner ? Est-ce le moment d’arrêter de travailler ? Qui avertir, comment, avec quels mots, dans quel ordre ? Mais que va-t-on penser ? Bref : où a-t-on péché ?
Sur les réseaux sociaux, les autodiagnostics vont bon train depuis le début de la pandémie, un phénomène qui, visiblement, ne s’estompe pas avec les mois. Les moindres « symptômes » sont toujours scrutés, analysés, décortiqués.
Un exemple entre mille : ce message, lu dernièrement sur Facebook. D’abord : « [mes] symptômes ont commencé hier ». Puis : « de la diarrhée avec de gros maux de ventre ». Ensuite : « de la fatigue […], légère pression au niveau de la cage thoracique, légers maux de tête, sensibilité des yeux », sans oublier « diminution du goût et de l’odorat ». Vous reconnaissez ? Croyez-le ou non, il ne s’agit finalement pas de la COVID-19, mais seulement d’un « gros rhume », test (négatif) à l’appui.
Rien de plus normal
Et alors ? « C’est normal ! », réplique d’emblée Georgia Vrakas, professeure au département de psychoéducation à l’Université du Québec à Trois-Rivières. « C’est la première fois qu’on vit une pandémie mondiale de ce genre, dit-elle, or, on n’a pas de guide : “comment vivre ce genre de situation” ! »
Et de toute évidence, nous sommes nombreux à stresser ainsi. À preuve, Radio-Canada a révélé dernièrement que les appels à la ligne Info-social [811, le pendant d’Info-santé pour les questions à teneur psychosociale] avaient doublé depuis le début de la pandémie. Le temps d’attente, d’ordinaire de quelques minutes, peut s’étirer à plus d’une heure.
Au sommet de la première vague (en mai), les travailleurs sociaux ont répondu à plus de 3000 appels, deux fois plus qu’à la même période l’an passé.
Le gouvernement a d’ailleurs publié un document pour nous aider à composer avec ce stress et cette anxiété ambiante : Stress, anxiété et déprime associés à la maladie à coronavirus COVID-19.
On y souligne entre autres les possibles manifestations physiques (maux de tête, difficultés de sommeil), psychologiques (insécurité, vision négative des choses) et comportementales (irritabilité) associées à ce stress pandémique. Entre autres pistes, on suggère évidemment de prendre soin de soi et de chercher de l’aide au besoin.
On a besoin de savoir ce qui nous attend dans la vie, d’avoir le contrôle sur ce qui nous arrive. Mais ici, il n’y a pas grand monde qui sait ce qui va se passer. En fait, personne ne le sait !
Georgia Vrakas, professeure au département de psychoéducation à l’Université du Québec à Trois-Rivières
Cet inconnu, auquel s’ajoute une absence totale de contrôle, figure parmi les ingrédients-clés du stress et de l’anxiété. Au moindre symptôme, le doute s’installe : « Qu’est-ce que je fais, je prends rendez-vous, combien de temps avant d’avoir des résultats ? […] Tout ça mis ensemble fait en sorte que l’anxiété peut augmenter, et c’est normal ! », répète la psychologue, qui mène justement une étude sur le bien-être des Québécois durant la pandémie.
Il faut dire qu’elle en sait quelque chose, ayant elle-même eu ses doutes (stressants, inutile de le dire) l’été dernier. « Je toussais. Oh, my God, qu’est-ce qui se passe, est-ce que je suis malade ? Finalement, c’était à cause de mon air climatisé ! », dit-elle en éclatant de rire.
L’ego en prime menacé
Et si un quatrième facteur, outre la nouveauté, l’imprévisibilité et l’inconnu, était ici en cause, à savoir la « menace à l’ego » ? C’est ce qu’avance Sonia Lupien, professeure au département de psychiatrie de l'Université de Montréal et experte du stress, pour expliquer le lot de sueurs froides associées ces jours-ci à un possible diagnostic (ou à la moindre poussée de fièvre). « C’est que c’est rendu stigmatisant ! », avance-t-elle.
Pensez-y : s’il est rare qu’une maladie physique comme telle soit « menaçante pour l’ego », il en est autrement pour la COVID-19. Un diagnostic peut ici non seulement être à la source de plusieurs contaminations (une collègue, sa voisine et sa mère malade), mais en plus salir les réputations : a-t-on été négligent ? Où a-t-on failli ? Qui, surtout, a péché ? « Je spécule, évidemment, il n’y a aucune étude là-dessus, précise la chercheuse, mais ça pourrait expliquer pourquoi les gens sont plus stressés. »
Kathryn Jezer-Morton en sait quelque chose. Cette mère de famille montréalaise, par ailleurs autrice et professeure de sociologie à l’Université Concordia, a publié cette semaine sur le site de la CBC un vibrant témoignage, récit cauchemardesque de son diagnostic positif et de ses « conséquences sociales ».
Lisez son témoignage (en anglais)
En gros : elle n’a pas été malade, précise-t-elle. « Mais ç’a été terrifiant ». En quoi ? C’est qu’elle n’a pas eu un comportement hors de tout reproche, et du coup a reçu de plein fouet nombreux jugements, et autres insultes au visage (pour le dire poliment). Où était-elle allée, qui avait-elle vu, quand, comment ?
J’ai eu l’impression d’être sous investigation. Je comprends que les gens aient été fâchés, mais l’intensité de la rage était hallucinante.
Kathryn Jezer-Morton, autrice et professeure de sociologie à l’Université Concordia
Des proches, mais surtout des gens moins proches. Pensez coups de fil harcelants, cris, larmes. « C’était hors de contrôle. »
« On est tous dans un espace où on veut bien faire, on essaye de bien faire, et parfois, on échoue à bien faire. C’est un espace à la source d’une anxiété énorme. Parce que personne ne veut mal faire », fait valoir Kathryn Jezer-Morton. Mais qui peut vraiment se targuer d’avoir un comportement parfait ?
Poser la question, c’est y répondre. Le mot de la fin revient à Sonia Lupien. « Il faut que les gens comprennent que le “nous” contre “vous”, cette approche non inclusive ne peut pas avoir d’autre effet que de générer du stress, conclut-elle. Et étant donné qu’on a déjà assez de stress comme ça, il faudrait peut-être laisser tomber la rectitude politique, la rectitude… sanitaire ! » Question d’un peu moins stresser. À méditer.