Le premier ministre François Legault avait préparé le terrain, mais c’est maintenant confirmé : le « défi 28 jours » sans contacts se prolongera pour au moins quatre autres semaines au Québec. Ces dates butoirs créent de l’espoir, mais aussi de la déception. À quoi s’accrocher au cours des prochains mois ?

« Une chose qui rend les choses difficiles en ce moment, c’est la mémoire affective qui se réactive. Les gens ont vraiment une impression de déjà-vu. »

Le 13 mars dernier, quand le gouvernement du Québec a déclaré l’urgence sanitaire, on pensait qu’on se confinerait pour deux semaines, rappelle Christine Grou, présidente de l’Ordre des psychologues du Québec. Deux semaines qui ont finalement duré trois mois.

« Donc, c’est sûr que les gens sont plus anxieux qu’ils ne l’étaient par rapport à ça, note-t-elle. On n’est pas sûr qu’un mois va suffire. Ce qui risque d’arriver, c’est ce sentiment de désespoir par rapport au fait qu’on n’a pas de contrôle et que la situation n’est pas prévisible. »

Devant le nombre de cas de COVID-19 qui ne diminue pas au Québec et la menace que cela fait planer sur le système de santé, le gouvernement caquiste a annoncé lundi que les mesures mises en place dans les zones rouges le 1er octobre — interdiction de rassemblements, fermeture des restaurants et des salles de spectacle, etc. — étaient reconduites jusqu’au 23 novembre.

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Christine Grou, présidente de l’Ordre des psychologues du Québec

Aux yeux de Christine Grou, c’est une bonne idée de se fixer ainsi des dates butoirs.

Quand tu gravis l’Everest, quand tu traverses une rivière longue et profonde, tu ne regardes pas le 42e kilomètre : tu regardes les 10 premiers. Ça ne donne rien de se demander ce qui va arriver après, parce qu’on ne le sait pas, et les scénarios qu’on se fait n’arriveront peut-être pas.

Christine Grou, présidente de l’Ordre des psychologues du Québec

Le psychologue Joe Flanders aime bien lui aussi l’idée de couper le défi en morceaux. Les résultats des efforts deviennent ainsi plus tangibles, comme on l’a vu ce mois-ci : le nombre quotidien de nouveaux cas s’est stabilisé. C’est en quelque sorte une récompense, dit-il, « et c’est très important de garder ce discours-là ».

« En même temps, ce qui me fait peur, c’est qu’on perde la crédibilité si les gens ont l’impression que ce n’est pas honnête », ajoute Joe Flanders, fondateur de Mindspace et professeur adjoint en psychologie à l’Université McGill. D’où l’importance, pour le gouvernement, d’être transparent (le virus est là pour longtemps) et d’expliquer ses décisions et ses politiques (ressources limitées dans le système de santé, efforts dans le traçage et le dépistage, etc.). « Il nous demande de faire beaucoup, il nous explique pas mal pourquoi, mais il pourrait le faire davantage », croit-il.

Déception

Viser une mobilisation à court terme peut susciter de l’espoir, mais aussi « de grosses déceptions », souligne pour sa part Cécile Rousseau, pédopsychiatre et professeure au département de psychiatrie à McGill.

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Cécile Rousseau, pédopsychiatre et professeure au département de psychiatrie à McGill

Oui, dit-elle, un vaccin arrivera peut-être cet hiver, mais si c’est le cas, sa distribution se déploiera progressivement jusqu’au printemps ou à l’été.

On n’est pas dans un horizon de solutions rapides. Et dans ce sens, je pense que se donner des balises pour limiter la propagation du virus que l’on peut maintenir pendant six, huit mois, ce serait peut-être moins fatigant pour la population.

Cécile Rousseau, pédopsychiatre et professeure au département de psychiatrie à McGill

On peut se fixer des priorités, comme protéger les personnes âgées, empêcher la mobilité du personnel entre les établissements et garder les enfants à l’école, souligne Cécile Rousseau. Pour le reste, on peut établir de façon transparente des mesures qui seraient acceptables de maintenir à moyen terme. On aurait peut-être avantage à fermer les bars jusqu’à la fin de la pandémie (à cause de l’effet de l’alcool sur les gens) et à encadrer les restaurants et les salles de spectacle pour en faire des lieux peut-être plus sécuritaires encore que les espaces privés, suggère Cécile Rousseau. Les jeunes et les personnes âgées, pour qui la socialisation est déterminante, pourraient avoir le droit de fréquenter deux ou trois contacts réguliers, donne-t-elle aussi en exemple.

« Ça donnerait à la population l’impression d’avoir un contrôle sur sa vie […]. Je ne mets pas toute mon énergie à défier les règles ; je mobilise mon énergie à faire des choix », résume la pédopsychiatre, selon qui les mobilisations et les déceptions à répétition peuvent être usantes pour le moral des gens et amener des réactions de résistance et de rébellion. « Et on commence à le voir. »

Garder espoir

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Joe Flanders, psychologue, fondateur de Mindspace et professeur adjoint à l’Université McGill

Le psychologue Joe Flanders admet que la période que nous traversons est difficile, mais tout comme Christine Grou, il insiste sur l’importance de garder espoir. « Je suis psychologue, je vois ce qui se passe dans la communauté, les gens souffrent beaucoup, convient-il. Je n’ai jamais travaillé aussi fort de ma vie. »

Mais il faut miser sur la résilience, sur notre capacité d’adaptation et prendre tout ça un jour à la fois, quatre semaines à la fois. Les Québécois, estime Joe Flanders, sont capables de passer à travers un hiver difficile. « Ça fait partie de notre caractère, comme peuple. »

« Et pour moi, ce qui me donne le plus espoir, c’est le fait qu’il y a quasiment un miracle qui est en train de se produire au niveau des vaccins, dit-il, rappelant qu’une douzaine de vaccins sont en développement. L’année 2021 va être beaucoup mieux que l’année 2020. »

Quelques trucs pour s’adapter

Voici quelques conseils de Christine Grou pour mieux vivre cette deuxième vague.

— Se réapproprier la maîtrise des aspects de sa vie qu’on peut contrôler.

— Réviser ses objectifs. Bref, si on a envie de s’écraser devant la télé tous les soirs, on ne devrait pas s’en sentir coupable.

— Trouver des moments de bonheur chaque jour.

— Vivre un jour à la fois. « Il faut arrêter de se demander quand ça va finir et de dire : cette semaine, je la veux comment ? »

— Se donner le droit d’être de mauvaise humeur. « Il faut se permettre de se fâcher, de pleurer, d’avoir des journées où on n’est pas productif et où on n’a pas le goût de parler à personne. »