Le bonheur est rarement facile ou permanent. Qu’à cela ne tienne, cet état de grâce est à la portée de tous, malgré les épreuves de la vie, voire grâce à elles. La Presse rencontre chaque semaine quelqu’un qui semble l’avoir apprivoisé.

Comme la majorité des plus de 200 000 travailleurs qui gagnent leur vie en restauration au Québec et leurs milliers de fournisseurs, Steve Beauséjour s’est trouvé sans emploi à la mi-mars. Mais il n’a pas chômé pour autant, parce qu’en situation de crise, l’optimiste notoire devient encore plus créatif. Ces jours-ci, au volant de sa camionnette, il propose les plus beaux légumes, pains, poissons et fruits de mer du Québec dans les rues et ruelles de Montréal.

En temps « normal », Steve Beauséjour fait le lien entre l’agence de représentation en vin Rézin et le milieu de la restauration. Il se dit aussi « consultant en liberté des jus » pour plusieurs vignerons. Quatre mille litres de vin, qui donneront quatre cuvées élaborées selon ses conseils, sont sur le point d’être embouteillés au vignoble La Bauge, dans les Cantons-de-l’Est, sous étiquette Bauge-U.

« Ce n’est pas normal qu’il y ait 140 vignobles au Québec, mais qu’on parle toujours des mêmes 7 ou 8. » Plutôt que de critiquer, le passionné de vins vivants relève ses manches et donne un coup de main à ceux et celles qui ont envie de changer leur manière de faire pour travailler plus naturellement dans la vigne et dans le chai et ainsi se mettre un peu à la page. 

Pour nourrir sa famille de trois enfants, Steve préfère aussi les aliments locaux et naturels. Aussi a-t-il développé de solides relations avec des artisans comme la Ferme Cadet-Roussel, la Ferme des quatre temps, la Ferme  Samson, l’huilerie Aroma des champs, la champignonnière urbaine Blanc de gris, le distributeur de poissons locaux Bleu marin, la boulangerie Blés de pays, le verger biologique Les Domaines Roka et bien d’autres.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Pendant la COVID-19, il s’est transformé en distributeur de bonheurs comestibles !

Je n’avais pas plus envie que d’habitude d’aller au supermarché pour m’approvisionner. J’ai donc offert à mes voisins d’acheter des produits pour eux aussi et ça a pris de l’ampleur. Maintenant, je consacre trois journées et demie de ma semaine à ça !

Steve Beauséjour

Un être bien apprécié

Face à la détresse d’une bande d’amis qui venaient d’ouvrir pour aussitôt fermer leur jolie buvette rue Jarry, Lundis au soleil, Steve a aussi organisé un petit marché, tous les deux jeudis, pour attirer des clients. On achète ses légumes, son pain, ses homards, ses fromages Au gré des champs, etc., puis on repart avec un délicieux sandwich ou une originale salade des Lundis et quelques bouteilles de leur superbe carte. Voilà qui aide le nouveau venu à survivre jusqu’à sa réouverture.

Croisé par hasard dans la queue d’un café Paquebot, rue Bélanger, le boulanger Maxime Deslandes ne tarissait pas d’éloges au sujet de Steve Beauséjour, dimanche dernier. Blés de pays vendait presque tous ses pains à la restauration. Il a perdu sa clientèle d’un coup. Son « sauveur » l’a aidé à se bâtir une banque de particuliers en lui achetant pour des centaines de dollars de boulange tous les mois et en la revendant aux amateurs de levain qui sont vite devenus accros aux savoureuses miches de blé et de seigle. « Maintenant, quand la restauration va repartir, j’aurai encore plus de clients qu’avant ! », s’étonnait Maxime Deslandes, en sirotant son café.

On aurait biendu mal à nommer une personne du milieu de la restauration québécoise qui n’aime pas Steve Beauséjour. Sa bonne humeur, sa joie de vivre sont contagieuses. Et c’est ce qui fait que, même en travaillant à petite échelle, il réussit à avoir un grand impact.

Il se voit comme le chaînon manquant entre l’artisan et l’assiette, peu importe le produit. Pour lui, les deux parties méritent qu’on leur accorde attention et explications. « L’autre jour, je suis parti avec une énorme quantité d’esturgeon fumé du lac Saint-Pierre. La veille, j’avais pris la peine de tester le poisson dans une recette de pâtes à la carbonara et c’était hallucinant. Dans mon camion, j’avais aussi des œufs fermiers et de la salade. Quand j’ai proposé ça à mes clients, ils ont tout de suite embarqué. À la fin de la journée, j’avais vendu le poisson au grand complet ! Ce que j’aime le plus, c’est d’inspirer les gens à essayer un produit qu’ils ne connaissent pas. Et après, je vois une contamination positive au sein de mes clients. Il y a de plus en plus de gens dans les ruelles où je passe chaque semaine. »

C’est la mère de Steve, phytothérapeute de métier, qui lui aurait donné ce goût des plantes et du naturel. « J’ai toujours été connecté à ça. » Aussi a-t-il été un peu déçu lorsqu’il a décidé d’étudier la sommellerie, en 2005, après déjà quelques années à travailler en hôtellerie et en restauration, de Montréal à Kuujjuaq.

« On nous apprenait les appellations et les cépages alors que moi, ce qui m’intéressait, c’était l’humain, les sols vivants, la vie de la vigne. » Il a donc continué d’apprendre sur le vin à sa manière, comme bien des gens qui préfèrent l’expérience et la discussion aux manuels formatés.

Ces jours-ci, personne n’est plus heureux de retrouver le contact humain que Steve Beauséjour. Ses amis, ses fournisseurs, ses clients le lui rendent bien.

Questionnaire du bonheur au temps de la COVID-19

Quelle a été ton attitude au début de la crise ?

« Au lieu de me demander “à quoi je sers, maintenant ?”, je me suis demandé comment je pouvais être utile. J’ai essayé de générer du mouvement, de proposer des projets qui pouvaient dynamiser le monde de la restauration et des artisans. »

Toi qui es un être profondément grégaire, comment as-tu réussi à survivre aux débuts du confinement, quand les règles étaient particulièrement strictes ?

« En faisant de la livraison, je gardais le contact avec une partie de ma clientèle, tant les producteurs que les consommateurs. Je me suis dit : “Yé ! Je vais voir du monde en confinement ET leur vendre des produits qui rendent heureux.” Tout le monde gardait ses distances, mais au moins on se voyait brièvement et on pouvait échanger un peu. »

Quel est ton prochain projet passion ?

« Les vendredis Pizzaghetti et Papetti avec le restaurant Elena ! Les gens pourront repartir avec une pizza du Elena, des pâtes du Nora Gray et une bouteille de vin du domaine De Fermo, qui appartient au vigneron Stefano Papetti Ceroni. C’est une cuvée qu’un des propriétaires de l'Elena, Marley Sniatowski, a élaborée au domaine, représenté par Rézin. Encore une fois, c’est un projet qui va amener du mouvement pour une gang de restaurateurs que j’aime beaucoup. »

Où est Steve?

Steve Beauséjour sera au restaurant Le Filet, le vendredi 12 juin. En plus des produits maraîchers, boulangers et marins favoris de l'épicier nomade, Le Club chasse et pêche, Le Filet et Le Serpent proposeront quelques spécialités à manger dans le parc, ainsi que des desserts de Masami Waki et des produits pour emporter du Il Miglio. Des vins cultes du Québec et d’ailleurs seront également à vendre. Ça se passe de 15 h à 19 h 30 au 219, avenue du Mont-Royal O.