Ils sont plus de 160 à avoir répondu à l’appel que nous leur avons lancé. Si certains aînés profitent de cette situation pour écrire, lire ou classer leurs souvenirs, d’autres vivent une grande inquiétude quant à la suite des choses. Dix d’entre eux nous racontent leur confinement.

Écrire ses mémoires

Le 12 mars, en après-midi, je commençais un confinement volontaire ; conscience civique oblige… J’ai 81 ans et je vis avec tous un voyage majeur qui nous interpelle.

Peut-être pourrions-nous terminer un projet longtemps déposé dans le tiroir de notre mémoire ? J’ai donc décidé d’écrire mes mémoires. Ce projet rappellera à nos descendants, enfants, petits-enfants et même arrière-petits-enfants, les étapes qui ont jalonné ma vie et qui les toucheront, bien souvent, de très près ! Un beau prétexte pour leur redire, finalement, que je les aime et tout l’impact et l’importance qu’ils ont eus dans ma vie, et qui servira à raviver les souvenirs souvent tombés dans l’oubli.

Jeannine Vincent

Prisonnière du Jour de la marmotte

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Louise Boivin

De passer de vivre à s’occuper est tout un monde de différence. Bien sûr, je peux encore apprendre, je peux partager mes états d’âme avec famille et amis, je peux m’adonner à certains loisirs, mais c’est la liberté qui est déficiente même si c’est pour mon bien. Je suis prisonnière du Jour de la marmotte, parfois teinté d’enthousiasme, parfois d’autodérision, souvent d’écœurantite maintenant exacerbée par ce bruit de fond qui s’installe et qui veut que la vie reprenne en nous excluant. Vu mon âge, je n’ai plus de temps à perdre et je ne veux pas le passer à vivre ma mort en santé même dans une cage dorée. Si on attend un vaccin pour nous libérer, je ne donne pas cher de ce qui restera de nous. Il faut nous donner l’espoir d’une autre solution et, comme vous le dites si bien, nous méritons mieux que ça.

Louise Boivin

Je ne me sens pas confinée

PHOTO FOURNIE PAR SUZANNE CÔTÉ

Suzanne Côté

Le mot « confinement » me fait manquer d’air. Je ne me sens pas du tout confinée. Ma vie avant et ma vie maintenant se ressemblent. Handicapée au niveau de la mobilité en raison d’une sténose spinale sévère, mon monde s’est alors rétréci avec les années, à vivre tout le temps entre quatre murs qui ont maintenant rapetissé à quatre minuscules murs d’une chambre en ressource intermédiaire. Je lis, je dessine et je tricote depuis que je suis enfant. Je ne souffre pas d’être à l’intérieur. Ça rend donc super spéciale une sortie à l’extérieur. Le personnel ici fait tout pour alléger le « poids » de cette quarantaine prolongée. Ils méritent tous des médailles. Je ne pense pas confinement. Je pense défi.

Suzanne Côté

Que je suis chanceux !

PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

Philippe Biron

J’ai peur ! 81 ans bien sonnés et je n’ai jamais rien vu de tel. Il y a eu guerres, famines, révoltes, violences, mais ce n’était pas grave… c’était ailleurs !

Cette fois, c’est ici ; dans notre société si bien organisée, si bien aseptisée, dans notre État providence, nous sommes dérangés et nous avons peur et moi aussi, j’ai peur ! Que va-t-il m’arriver ? Que va-t-il arriver aux miens ? Allons-nous nous en sortir et à quel prix ? L’inconnu est un terrible ennemi, un ennemi qui risque de mener au désespoir.

[…]

Les jeunes sont des héros ! Ils sont à peu près tous affectés. Ou bien ils ont perdu leur travail et doivent conjuguer avec l’incertitude, ou bien ils sont en travail essentiel et se mettent eux-mêmes à risque sur la ligne de front.

Héros et héroïnes : nous avons besoin de vous, et vous avez besoin de notre reconnaissance. Votre courage est digne de notre appréciation et si nous n’avons jamais rien vu de tel, vous, cependant, le voyez de face, vous le vivez et vous allez nous en sortir.

C’est pour ça que je suis chanceux !

Philippe Biron

Vieillir dans le regard des autres

PHOTO FOURNIE PAR MICHÈLE LALUMIÈRE

Michèle Lalumière

Je vis assez bien le confinement. Le pire est de ne pas voir enfants et petits-enfants ! Et de voir ma repousse de cheveux s’allonger dramatiquement !

J’ai la chance de vivre dans une grande maison avec mon mari dans un beau quartier. J’ai 71 ans, je suis en forme physiquement. Mais, depuis la pandémie, je me vois dans l’œil des autres : une « vieille » de 71 ans qu’il faut protéger de ce satané virus !

Moi qui ne me voyais pas et ne me sentais pas rendue dans ma période de « vieillesse », je le sens tous les jours dans le regard des jeunes que je croise durant ma marche quotidienne, dans les paroles martelées par notre bon premier ministre à l’effet qu’il faut protéger les 70 ans et plus, et par le fait que c’est mon fils qui doive faire mon épicerie !

Mais surtout, la peur de l’attraper, ce virus, car à mon âge, ça pourrait être fatal… et je ne suis vraiment pas prête à mourir !

Alors, je suis très obéissante, j’écoute et j’observe les consignes et je vais très bien !

Michèle Lalumière

Écriture entre amies

PHOTO FOURNIE PAR GISÈLE MILETTE

Gisèle Milette, en compagnie de 10 des 12 autres femmes
qui composent son groupe d’écriture

Nous sommes un groupe de 13 femmes, des amies de retraite qui ont participé à des ateliers d’écriture dans les 20 dernières années. Avec cette fichue COVID-19, nous avons entrepris de le faire de manière virtuelle. Confinées que nous sommes dans nos maisons (nous sommes âgées de 72 à 84 ans), nous nous stimulons à continuer de le faire afin d’éviter toute morosité. Nos états d’âme y passent. On se confie, on s’encourage, on s’estime chanceuses qu’aucune de nous n’ait été contaminée. On fait parler des objets, on parle de notre entourage, des choses que l’on fait pour passer le temps. On est en lien constant via des courriels auxquels on attache les textes que l’on écrit. Voilà notre façon de passer au travers.

Pas de réseaux sociaux. Que de l’écriture comme nous aimons le faire.

Gisèle Milette

Ça va être long

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Michel Giasson

La période de confinement qui semble vouloir s’étirer jusqu’à la découverte d’un vaccin dans 12 à 18 mois est un peu décourageante, alors que l’on voudrait partager le temps qu’il nous reste avec nos enfants et petits-enfants. Profiter aussi de la vie avec nos amis, aller au restaurant, au cinéma, voyager, même aller à l’épicerie et choisir soi-même sa pêche ou sa poire. Le stress d’attraper cette vilaine bibitte. J’ai la chance d’être bien approvisionné par un voisin et mes enfants et d’être en couple depuis 52 ans avec une personne merveilleuse, mais ça va être long.

Michel Giasson

Paradis dans la nature

J’ai 71 ans. Je vis présentement dans ma résidence près d’un lac où je peux faire des activités malgré le confinement. Je suis privilégié. J’ai souvent pensé quitter ce petit paradis pour une résidence privée. Aujourd’hui, je suis heureux de ne pas l’avoir fait et j’espère finir mes jours chez moi.

Richard Fontaine

J’ai peur

PHOTO FOURNIE PAR FRANCINE DUHAIME

Francine Duhaime

J’ai 72 ans et j’ai une maladie chronique, j’habite dans un HLM qui se trouve dans un petit village. Pour moi, le confinement consiste à ne pas aller à la pharmacie et à l’épicerie. Je peux par contre aller marcher en gardant une distance de 2 m lorsque je rencontre des gens. Ça se passe relativement bien malgré le fait que je ne peux plus recevoir la visite de mon frère qui a le cancer et qui, comme de nombreuses personnes, ne reçoit plus les soins. Il est toujours en attente de radiothérapie. Ça m’inquiète beaucoup. Je trouve injuste et désolant que l’on mette de côté ces soins essentiels qui peuvent causer beaucoup de pertes de vies. Je remercie les bénévoles qui font mon épicerie et ceux qui me livrent mes médicaments. Je remercie aussi le spécialiste pour mes reins (déficience chronique) qui va me téléphoner vendredi prochain, mon médecin de famille qui va m’appeler aujourd’hui, ça va soulager mon anxiété. Car oui, je suis anxieuse, j’ai peur pour mon frère, j’ai peur pour son conjoint qui fait les courses, j’ai peur pour ma tante de 88 ans qui vit dans une résidence. J’AI PEUR. Tellement de vies fauchées, tellement de deuils, tellement de personnes qui ne pourront honorer leurs morts.

Francine Duhaime

Chacun chez soi

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Thérèse Cafatsakis

Ça fait maintenant plus d’un mois ici, à la résidence où j’habite, que tout a été arrêté : les activités, la salle à manger. Chacun est dans son appartement. On est pas mal isolés. Je suis toute seule ici à Montréal. Ma famille est à l’extérieur. Quand je suis entrée en maison de retraite, c’était justement pour avoir de la compagnie, rencontrer du monde, me faire des amis. Et là, chacun est confiné dans son appartement. On se téléphone. On s’envoie des courriels, mais ce n’est pas comme se voir en personne et se parler de vive voix. Je ne sors pas. Pas parce qu’on nous en empêche, mais si je sors et que je m’enrhume, je vais penser que j’ai le virus. On est devenus craintifs et on a presque peur de tout. C’est contraignant. Mais il y a toujours pire que nous. Quand je vois aux nouvelles ce qui se passe aux alentours, je me dis : « Dieu merci, on est bien protégés ici. » Mais c’est difficile. Deux bénévoles des Petits Frères me téléphonent assez souvent. Ça me fait du bien. On parle et on pense aux bons moments passés chez Les Petits Frères.

Thérèse Cafatsakis