Des journées confinées, les yeux scotchés sur la télé, leur cellulaire ou une tablette, toujours à portée d’une manette. Si les ados ont troqué l’uniforme contre le pyjama avec une joie certaine, plusieurs vivent cet isolement comme un véritable emprisonnement. Mais osons poser la question : et si cette cage était un peu dorée ? Explications. Analyse. Et réflexion (pour s’assurer surtout qu’elle le devienne).

Dernièrement, La Presse a posé la question : « Docteur, suis-je en train de bousiller mon enfant ? », relativement aux horaires des plus jeunes désormais bousculés, aux collations de moins en moins santé, sans parler des temps d’écrans étirés (et étirés encore), confinement oblige. Mais qu’en est-il des plus grands ? Si les tout-petits ont un besoin de proximité plus marqué en ces temps de confinement, les adolescents, quant à eux, ont inversement besoin d’air. D’où le moyen défi, vous en conviendrez.

Mais tandis que plusieurs s’inquiètent de voir cette jeunesse tout à coup apathique et blême (confinement oblige, bis), d’autres, au contraire, s’en félicitent. C’est le cas de la militante Lenore Skenazy, cofondatrice, avec l’auteur Peter Gray (Free to Learn, une référence en matière d’apprentissage par le jeu) de Let Grow, un OBNL américain voué à la défense de l’autonomie chez l’enfant. Dans une chronique coup de gueule comme elle en a le secret (on se souvient qu’il y a une dizaine d’années, la militante a fait les manchettes en laissant son fils de 9 ans se débrouiller seul dans le métro de New York), publiée la semaine dernière dans le New York Post, elle se demande s’il ne serait pas possible que « quelque part, en matière de développement des enfants et des adolescents, quelque chose de bon » sorte de ce confinement. « Ironiquement, les voilà plus libres qu’ils ne l’ont jamais été », avance-t-elle. Coïncidence ? Le Washington Post signalait dernièrement une nouvelle tendance chez les adolescents : la marche. Oui : extérieure. En solitaire et, surtout, sans but. Qui l’eût cru.

Libres et relaxes comme jamais

PHOTO FOURNIE PAR LENORE SKENAZY

Lenore Skenazy, militante et fondatrice de Let Grow

Jointe par téléphone, la volubile militante s’explique : pré-COVID, les taux d’anxiété atteignaient des sommets chez les adolescents américains, rappelle-t-elle. « Trente pour cent des adolescents ont un diagnostic de trouble d’anxiété, d’après les National Institutes of Health », les jeunes étant constamment poussés à performer, à l’école comme à travers leurs mille et une activités. Au Québec, les derniers chiffres de l’Institut de la statistique (rendus publics en 2018) pointent vers une tendance similaire : 29 % des adolescents auraient un niveau de détresse psychologique élevé, et 17 % disent avoir reçu un diagnostic de trouble anxieux, des chiffres en augmentation constante. « Or là, enchaîne la militante, tout à coup j’entends parler de jeunes qui, sans être dirigés, apprennent par eux-mêmes à jongler ! » se félicite-t-elle, un exemple entre mille des avantages marginaux associés au confinement, à l’arrêt de toutes les activités organisées, et à toute la pression qui y est associée.

Bien sûr, tous les adolescents ne se sont pas mis à la jonglerie. Au contraire. Un appel à tous lancé dernièrement par Buzzfeed est révélateur. Que font les jeunes ces jours-ci ? « Je fais comme tous les jeunes de la génération Z : je m’adapte, je surmonte, et je passe beaucoup trop de temps sur mon téléphone… », répondait un fidèle représentant. Une réponse qui ne trouble en rien Lenore Skenazy. Au contraire, rappelle-t-elle, car même si les jeunes passent effectivement des heures à texter, regarder des vidéos ou jouer en ligne, ils ne perdent pas pour autant forcément leur temps.

Il faut cesser de croire que les jeunes n’apprennent rien si on ne leur fait pas une leçon. Les jeunes apprennent par eux-mêmes !

Lenore Skenazy, militante et fondatrice de Let Grow

Oui, même en « gamant » : « Ils apprennent la focalisation, l’essai, l’erreur, la frustration, l’échec ! »

Quant aux vidéos, devant lesquelles ils sont certes capables de passer des journées, le Guardian signalait dernièrement que TikTok, la plateforme chérie des jeunes, était devenue un véritable déversoir d’émotions associées à la COVID-19 : pensez rage, désespoir, peur, humour, ou, bien sûr, créativité. Une section entière est consacrée aux activités à faire chez soi, en ces temps de confinement. Le saviez-vous ? La nouvelle recette de dessert ou cette séance ardue de muscu de votre ado n’y est peut-être pas étrangère. « Les jeunes apprennent ces jours-ci des compétences de vie qui vont probablement leur servir bien plus que leurs équations quadratiques ! », avance Lenore Skenazy.

Lisez la chronique dans le New York Post (en anglais)

Des conséquences insoupçonnées

Olivier Jamoulle, pédiatre de l’adolescence au CHU Sainte-Justine, n’est pas non plus inquiet pour les jeunes confinés. Au contraire. « En tout cas, dans l’immédiat, je suis convaincu qu’il va y avoir du positif de tout ça », dit-il, faisant allusion ici à tous ces jeunes aux « agendas de ministres » qui tout à coup découvrent une liberté inusitée. « Tout s’écroule, mais ils ne sont pas en souffrance, ils sont tout à coup plus relaxes ! Leur fatigue, leurs maux de dos, tout ça va mieux. Dans l’immédiat, ils vont mieux ! » confirme-t-il.

Si les jeunes « anxieux à l’école » sont les plus heureux du confinement, certains pour qui le social était « extrêmement important » risquent certes de trouver les journées plus longues, concède-t-il. « Facetime est riche, mais c’est moins riche qu’avant. » Mais encore là, le pédiatre ne s’alarme pas. « Je ne suis pas inquiet », répète-t-il, ne serait-ce que grâce aux outils et autres astuces auxquels ils ont évidemment accès. Au sujet de ces outils, glisse-t-il : 

Oui, les jeunes vont passer plus de temps sur leurs écrans, mais il faut se rappeler que c’est leur seul moyen d’entrer en contact avec leurs amis, et on sait à quel point c’est précieux !

Olivier Jamoulle, pédiatre de l’adolescence au CHU Sainte-Justine

Olivier Jamoulle a cosigné, avec plusieurs collègues, un petit guide pour adolescents (et leurs parents) en temps de confinement, avec des trucs et idées pour s’adapter et s’occuper, lesquels font écho à ce que suggère la psychologue et autrice américaine Lisa Damour, qui a signé une chronique sur la question dans le New York Times, en plus de conseils ciblés sur le site de l’UNICEF. Entre autres : des recommandations en matière d’information (la page « En finir avec les idées reçues » de l’OMS est tout indiquée pour ce public avide de faits et vérités), d’hygiène (des heures de lever et de coucher à mi-chemin entre ce que le jeune vivait la semaine et le week-end pré-COVID), l’importance de se fixer un semblant d’horaire, de se responsabiliser, d’accepter ses émotions (« c’est normal d’être craintif dans le contexte », rappelle le pédiatre), de s’isoler par moments, et surtout de rester dans le présent, ici, maintenant.

PHOTO FOURNIE PAR OLIVIER JAMOULLE

Olivier Jamoulle, pédiatre de l’adolescence au CHU Sainte-Justine

Parlant de présent, « c’est intéressant, poursuit le pédiatre, parce que certains retrouvent ici leurs adolescents ». Enfin là, sortis du stress de l’école et de toutes leurs autres fabuleuses activités. Et parallèlement, certains adolescents retrouvent aussi leurs parents. Entre un souper qui s’étire ou un jeu de société en plein après-midi, cette « malheureuse pandémie » aura peut-être des conséquences heureuses et surtout insoupçonnées (entre une crise ou deux et quelques claquages de portes, faut-il le préciser…). « Tout à coup, les repas en famille reprennent sens, note Olivier Jamoulle. Peut-être que les valeurs des familles vont réapparaître comme essentielles. »

Le quotidien Le Monde titrait cyniquement récemment : « Ce n’est pas le confinement qui embête les adolescents, c’est le confinement à proximité des parents. » Mais Olivier Jamoulle n’y croit pas. Au contraire. « Je comprends que les ados aiment se retirer. Mais c’est peut-être la beauté de l’affaire : ils sont obligés d’être confinés ! » Forcés à cette proximité. Et ce faisant, ils vont retrouver des parents pas forcément si inintéressants. Peut-être même « appréciables » ! En tout cas, on se le souhaite !

Lisez le guide du CHU Sainte-Justine

Conseils pour parents d’adolescents

PHOTO FOURNIE PAR TINA MONTREUIL

Tina Montreuil

Tina Montreuil, professeure associée au département de psychopédagogie et counselling de l’Université McGill, propose huit conseils pour tirer profit de la situation, du temps qu’on a sur les bras, pour, qui sait, « remettre les pendules à l’heure », voire « recréer un climat de famille optimal ! » : 

1. Gérer nos propres anxiétés parentales (« gérer nos émotions »)

2. Éviter d’être envahissant (« un parent anxieux aura tendance à envahir l’espace qu’il laissait autrefois au jeune »)

3. Prêcher par l’exemple (en matière de routine, de gestion des écrans, mais aussi de lavage des mains et de distanciation sociale)

4. Éviter de donner des opinions, mais plutôt se baser sur des faits (« les jeunes sont intelligents… »)

5. Donner du lousse au jeune en matière de prise de décision (« toi, qu’est-ce que tu proposes ? »)

6. S’intéresser à son vécu, à ses intérêts, à ses loisirs (« un intérêt réel pour leurs activités »)

7. Engager une conversation (« l’idée, c’est de bâtir une connexion »)

8. Créer des moments pour connecter en famille (« on a le temps ! », « c’est une [occasion] pour se remettre en lien ou renforcer le lien ».)