(Madrid) En attendant la fin du confinement, Marichu danse la « sévillane », en solo dans son grand salon. « Patience, prudence », répète cette veuve de 74 ans à Madrid, épicentre de l’épidémie de coronavirus en Espagne.

Maria Zabala, dite Marichu, fait partie d’une joyeuse bande de retraitées madrilènes, habituées à cultiver « leur » potager communautaire, trois fois par semaine, derrière une basilique du centre historique de la capitale.

Mais ça, c’était avant que le confinement général entre en vigueur le 14 mars pour freiner l’épidémie qui a déjà fait plus de 8000 morts dans le pays et troublé toutes les vies.

Marichu ne fait plus qu’entrouvrir sa porte, pour se laisser photographier par l’AFP, à bonne distance.

« On va tenir bon », dit cette mère de cinq enfants et grand-mère de 12 petits-enfants, qui travailla notamment au Centre des expositions de Madrid, récemment transformé par l’armée en immense hôpital de campagne pour des milliers de malades du coronavirus.

Une « musique joyeuse » envahit son appartement quand, privée de ses cours de danse dans une maison de retraite, elle répète seule chez elle les gestes de la « sévillane », une danse populaire qui se pratique à deux ou en groupe...

Les commerces non indispensables ayant fermé, « l’imagination est au pouvoir », lance Marichu qui découpe les emballages du lait pour les emplir de terre et y faire des semis.  Si jamais le potager rouvrait en mai, elle ne manquerait pas de plants de tomates et de concombres...

« Un virus en guise de bombes »

PHOTO GABRIEL BOUYS, AGENCE FRANCE-PRESSE

Veuve de 81 ans, Mercedes Aceituno a la même nostalgie de leur jardin urbain et la même passion des plantes débordant de ses balcons.

Veuve de 81 ans, Mercedes Aceituno a la même nostalgie de leur jardin urbain et la même passion des plantes débordant de ses balcons.

Née orpheline de père dans un village d’Estrémadure, elle monta à Madrid à 18 ans pour travailler dur, comme « servante chez des maîtres fortunés » puis tenir « une boutique de fruits secs, dimanche et jours fériés pendant quarante ans ». « C’est pour ça que je supporte bien ce confinement », croit-elle.

On vieillit bien en Espagne, où l’espérance de vie est de 83,3 ans en moyenne, la troisième plus élevée du monde derrière le Japon et la Suisse, selon un rapport officiel de novembre.

Mais le virus s’est infiltré comme un tueur en série, surtout dans les maisons de retraite.

Alors Mercedes ne quitte plus son logement du troisième étage et désinfecte « à la javel » son palier et ses balcons.

Une voisine lui dépose des provisions près de sa porte. Elle la gratifie en retour d’omelette aux pommes de terre maison.

L’ancienne commerçante a déjà annoncé qu’elle ne ferait pas payer au bar d’en bas — fermé pour cause de confinement — les loyers de mars et avril de l’ancienne boutique qui lui appartient.

« C’est un peu “tous aux abris”, il va y avoir un bombardement “ avec un virus en guise de bombe », commente Pepa Peña, 61 ans, l’une des plus jeunes jardinières du groupe et la plus soucieuse et débordée depuis que sa mère de 85 ans a eu un infarctus, au début du confinement.

« À l’hôpital, on lui a fait un test de coronavirus, négatif, et j’ai dit ” on rentre à la maison ! “ parce que là-bas, elle pouvait l’attraper », explique-t-elle.

« Ne reste pas en pyjama »

Le ministère de la Santé diffuse d’étranges consignes aux 46 millions d’Espagnols confinés : « ne reste pas en pyjama », « évite la surinformation »...

Des règles qu’applique, sans le savoir, l’une des amies jardinières, Doris Blas, ex-informaticienne de 65 ans, vivant seule et sans enfant.

Coquette dans un pull rouge, cette femme enjouée évite les informations télévisées, « nuisibles au cerveau », dit-elle, car « ça ne résout rien de penser : ” Madre mia, tous ces morts, quelle horreur ! “ ».

Croyante, elle préfère regarder chaque jour la messe — sur l’internet — et prier.

Elle parle du virus comme d’une « saloperie » qui « nous remet tous à notre place », car « nous ne sommes pas aussi forts et sûrs que nous le croyions ».

Déjà, les amies du potager ont pris rendez-vous, « au soleil, quand tout cela se calmera ».

« On prendra une petite bière sur une terrasse, toutes ensemble, dit Marichu. On parlera de tout ce qui nous sera arrivé et on relancera ce jardin qui nous tient en vie ».