« Amazon annonce le premier cas de coronavirus dans un de ses entrepôts. Ça veut dire que si on le commande tout de suite, on peut l’avoir à la maison dans les 24 heures ? »

S’il y a une chose capable de suivre la courbe exponentielle de la propagation de la COVID-19, ce sont bien les blagues sur la pandémie qui se disséminent à vitesse grand V sur les réseaux sociaux. On se moque des achats compulsifs de papier toilette, des téléconférences bousillées par les enfants privés de garderie, des gens qui s’obstinent à sortir de chez eux alors que ce sont de véritables ermites en temps normal, par simple esprit de contradiction.

Tout y passe, ou presque. Avec plus ou moins de mordant, de tact et de cynisme. Le rire est bon enfant devant la parodie de Où est Charlie ?, presque seul dans une version « distanciation sociale » du classique ; plus grinçant avec cette blague sur une mort liée à la COVID-19 : « Un mari étranglé par sa femme après moins de quatre jours de confinement avec lui. »

Est-ce vraiment une bonne idée de rire d’un sujet aussi grave, d’un virus qui sème la peur, fauche des vies, divise des familles ?

Oui ! réplique sans hésiter Pascale Brillon, professeure au département de psychologie de l’UQAM, directrice du laboratoire de recherche Trauma et Résilience. « Même si c’est un humour noir, même si on rit jaune. »

Rire est un mécanisme de gestion du stress bien documenté. Mais en ce temps d’isolement social, le fait d’aimer un mème ou de partager une vidéo humoristique est aussi l’un des rares instants vécus « en collectivité », l’un des rares échanges avec l’extérieur.

« On rit ensemble, avec les autres personnes qui ont aimé la blague, on vit un moment de solidarité », explique Pascale Brillon.

Or, maintenir des liens sociaux sera d’autant plus important pour contrecarrer les effets collatéraux d’un isolement prolongé sur le moral des troupes et éviter de sombrer dans un état dépressif. « Ça permet de se dire “on est tous dans le même bateau”, ce qui permet de garder un sentiment d’efficacité et de se dire “on va être capables de passer au travers”. »

Très souvent, les blagues font appel à un certain degré d’autodérision, quand on se moque des razzias de papier toilette… ce qu’on a souvent fait soi-même aussi, par exemple. Cette autodérision est particulièrement importante pour favoriser la souplesse cognitive. « Ça permet de replacer les choses dans un contexte plus global, avec moins de lourdeur, de relativiser », explique Pascale Brillon. Car oui, lourdeur et légèreté peuvent coexister. Devront coexister dans les prochaines semaines.

La mince ligne

Mais où se situe la mince ligne à ne pas dépasser entre ce qui est de bon goût ou de mauvais goût ? « Il est dur de trancher catégoriquement », remarque Marc Alexandre Ladouceur, spécialiste en éducation aux médias au centre de littératie numérique Habilo. Mais si les gens partagent le message, c’est généralement parce qu’ils ont ri et que cela entre dans le domaine de l’acceptable. Sinon il ne faut pas hésiter à stopper la transmission et à envoyer un message à l’ami qui l’a transmis pour exprimer notre inconfort. « La meilleure chose à faire, c’est d’avoir une discussion franche, de poser des questions, de dire qu’on trouve l’image trop difficile », conseille Marc Alexandre Ladouceur. Et avant de transmettre : « On se demande quel impact cela aura sur les gens autour de nous. »

« Il y a des choses qui ne passent pas et ne passeront jamais : les blagues sur la tragédie de Polytechnique, notamment », relève le psychologue Nicolas Chevrier. Pour le moment, l’épidémie a surtout des impacts sur notre style de vie, dont il est plus facile de se moquer, avance-t-il. « On rit ensemble de notre situation. Par contre, ce n’est pas le temps de ridiculiser les mesures qui sont mises en place. On ne va pas faire une vidéo qui incite à briser les règles, comme pourraient le faire les personnalités narcissiques. »

À l’opposé, l’humour peut aussi être utile pour transmettre des informations importantes, remarque Marc Alexandre Ladouceur : « la satire peut être très efficace ! » Un exemple ? Des fiches distribuées par les autorités sanitaires expliquant comment se laver les mains efficacement ont été parodiées ; elles décrivent maintenant comment les laver en faisant semblant de torturer la personne que l’on déteste le plus au monde en 20 étapes totalisant 20 secondes. L’essence du message n’est pas dénaturée.

La multiplication des blagues sur la COVID-19 pourrait toutefois, chez certaines personnes de nature plus anxieuse, avoir pour effet d’accentuer leur malaise. « Ces personnes devraient se déconnecter [de façon générale, pas seulement des réseaux sociaux], se limiter à lire leur journal le matin et écouter un bulletin de nouvelles le soir, comme on le faisait avant. »