J’aime critiquer. J’en ai fait un métier. Je suis ce que l’on nomme en bon québécois un chialeux. Ma mère dirait que je suis « négatif ». Je le sais (elle me le répète depuis assez longtemps). Au moins, je suis un chialeux lucide, conscient que son pessimisme peut devenir une source d’irritation pour son entourage.

Je hais l’hiver qui alterne entre le froid glacial et la pluie verglaçante. Le manque de soleil et les nuits trop courtes à cause de l’école qui commence trop tôt. Je désespère des travaux qui nous empêchent de circuler en ville alors que le métro est constamment en panne. Et je ne tolère pas un voisin de siège de cinéma qui fait du bruit en mangeant des nachos.

J’aime me plaindre. Or se plaindre, semble- t-il, est non seulement une façon parfaitement normale de communiquer – avec des gens qui partagent nos frustrations –, mais aussi un réflexe qui peut être bénéfique pour la santé.

Oui, il y a des bienfaits au chialage ! Il s’agit d’une manière efficace de gérer son stress, révèle un long reportage publié cette semaine dans le New York Times (« Go Ahead and Complain. It Might Be Good for You. »), qui cite différentes études rassurantes pour ceux qui, comme moi, ont tendance à voir le verre à moitié vide.

> Lisez l’article du New York Times (en anglais)

Mais ne nous réjouissons pas trop vite, amis chialeux. Toutes les façons de se plaindre ne sont pas recommandées par les spécialistes de la santé mentale. Il est notamment déconseillé de se plaindre en permanence ou de nourrir son inclination naturelle au chialage. 

Broyer du noir, ressasser des « pensées négatives », creuser le même sillon pessimiste peut non seulement contribuer à s’aliéner ses proches, mais avoir un impact néfaste sur son cerveau, voire mener jusqu’à la dépression.

Il faut savoir bien se plaindre, selon le New York Times, qui a répertorié en la matière trois grandes tendances : ruminer, ventiler et régler ses problèmes. Car s’il est préférable de nommer ce qui nous indispose ou nous irrite, plutôt que d’enfouir et d’accumuler son mécontentement, il y a des façons de faire qui sont plus indiquées pour sa propre santé mentale et pour celle de ceux qui nous entourent.

Ventiler, par exemple, permet de se libérer d’un poids et de se décharger d’un stress. Avertir un collègue de travail ou un ami que l’on a « besoin de ventiler » est d’ailleurs une bonne façon d’établir le cadre d’une conversation, estiment différents psychologues interrogés par le quotidien de référence américain. Mais régler ses problèmes reste – sans surprise – la manière de se plaindre dont on peut tirer le plus de bénéfices. Il s’agit, en somme, de ne pas fuir ses problèmes, mais de les affronter en leur trouvant des pistes de solutions.

Les nuits sont trop courtes parce que l’école secondaire commence tôt, malgré toutes les études sur le cycle circadien des adolescents qui recommandent de repousser le début des classes à au moins 9 h ? Une solution est de prendre son mal en patience jusqu’au cégep. Une autre est de se coucher plus tôt…

Les sources de frustration sont multiples et variables, selon les individus. Et le mécontentement trouve de plus en plus d’espaces communs où il peut s’exprimer. 

Pour certains, l’impression de bonheur intimé ou d’obligation de bonne humeur suscitée par les images mises en scène sur les réseaux sociaux est une source de stress. Le bonheur des uns fait le malheur des autres. Pour d’autres, ce qui irrite davantage est la trop grande importance accordée aux commentaires négatifs, cyniques ou injurieux qui se trouvent rassemblés, amplifiés ou encouragés sur les réseaux sociaux. Le malheur des uns encourage le malheur des autres.

Je suis chialeux. J’ai bien d’autres défauts. Parmi ceux-ci, il y a la propension à répondre à la provocation de mauvaise foi sur les réseaux sociaux. J’essaie de me dompter, mais il y a des moments où je ne peux m’empêcher de succomber à cette très mauvaise habitude. Si les spécialistes recommandent de ventiler nos frustrations, il y a des manières d’exprimer son exaspération. Certes, toute vérité est bonne à dire. Mais il est toujours préférable de laisser retomber la poussière avant de s’indigner.

Pourquoi des gens – comme moi – aiment tant se plaindre ? En partie, selon les spécialistes, parce que nous avons collectivement de la difficulté à exprimer nos sentiments. C’est ainsi que la complainte devient en quelque sorte un liant social qui rapproche les uns des autres, unis dans leur mécontentement. Des collègues qui en ont contre un patron, des consommateurs qui estiment avoir été lésés, les électeurs qui ne se sentent pas bien représentés…

Cet effet d’entraînement, heureusement, a ses limites. Et son impact n’est pas permanent. Il suffit qu’un bougon ait une raison de sourire, une lueur d’espoir pour raviver son optimisme, et le charme peu discret du chialage est rompu. Jusqu’à ce qu’il trouve une nouvelle raison de se plaindre…