La tension politique entre l’Iran et les États-Unis a envahi les réseaux sociaux chez les jeunes ; le mot-clic #WWIII (Troisième Guerre mondiale) accompagne des blagues sur l’hypothétique éclatement d’un conflit armé. Pour les experts, le phénomène relève de plusieurs facteurs : mécanisme de défense émotionnelle, incompréhension, insensibilité pure et simple ou désir de participer à la tendance. Analyse.

Une frappe américaine par drone tue le général iranien Qassem Soleimani, son conseiller et numéro deux d’une milice pro-iranienne, Abou Mehdi al-Mouhandis, ainsi que huit autres militaires. Les tensions s’accumulent. L’attention internationale est tournée vers le Moyen-Orient. 

Sur Twitter, TikTok et Instagram, on se tourne vers… les mèmes. Dans un climat où le mot « guerre » surgit fréquemment depuis quelques jours (à tort ou à raison), de nombreux jeunes Américains et d’un peu partout s’en donnent à cœur joie pour faire du contexte politique international tendu un carburant à blagues. Le mot-clic #WWIII a été une des fortes tendances des réseaux sociaux ces derniers jours.

La plupart des mèmes extrapolent sur la mobilisation des citoyens à l’effort militaire. D’autres, sur la façon dont chacun tenterait d’éviter de participer à ce conflit. Certains se moquent de Donald Trump. Ou imaginent comment ils survivraient dans un territoire en guerre.

Les mêmes images sont réutilisées à différentes sauces chaque fois qu’un sujet d’actualité devient un mème. Cette fois, elles s’accompagnent de phrases telles : « Mes amis et moi, en prison, après avoir déserté », « La réaction des Mexicains voyant des Américains sauter la barrière pour échapper à la Troisième Guerre mondiale » ou « Quand tu réalises que le mème #WWIII est le premier de 2020 et qu’il pourrait être le dernier ».

C’est tout à fait normal comme phénomène. Avec toute diffusion d’information, lorsqu’il y a de l’ambiguïté, on va chercher entre nous à créer du sens, pour comprendre.

Marc Alexandre Ladouceur, spécialiste en éducation aux médias au centre de littératie numérique Habilo

Plus encore, le mème peut aider à désamorcer une anxiété bien réelle, dit Marc-Alexandre Ladouceur.

Combattre la peur

Car si la situation est tournée à la blague par l’entremise des mèmes, le message de fond traduit une crainte manifeste : celle d’une escalade politique telle que le monde se retrouverait plongé dans une guerre.

D’après Cathy Tétreault, directrice du centre Cyber-Aide et auteure du livre Jeunes connectés, parents informés, les jeunes répondent à l’anxiété par la rigolade. Pour relâcher du stress. 

C’est exactement ce qu’explique Josianne Savard, 17 ans, à La Presse. « La plupart des mèmes, c’est à propos de l’actualité, souvent [négative], dit-elle. J’ai impression que ça enlève la peur des nouvelles. La WWIII, ce n’est pas l’affaire la plus rassurante ces temps-ci, mais [je me change] les idées en riant. » 

Jérémi Lebeau, âgé de 17 ans lui aussi, se réjouit de voir que parfois, « les mèmes peuvent servir à dénoncer une situation ». Mais il y met un bémol. 

Rire de situations graves ou sérieuses peut mener à banaliser une situation et je crois que c’est le point problématique ici. Je n’encourage pas cette banalisation, mais on peut comparer ça à [certains humoristes] ou même au Bye bye.

Jérémi Lebeau, 17 ans

La banalisation que craint le jeune homme est aussi un problème pour Cathy Tétreault. « On se permet de rire de quelque chose qui n’est vraiment pas drôle et ça peut aller beaucoup trop loin », dit-elle. D’autant que sur le web, « les valeurs de respect sont difficiles à établir ». 

Pas amusant pour tous

La grogne a été immédiate lorsque les mèmes ont commencé à se propager sur la Toile. Parce qu’on ne rit pas de la guerre, de la violence, des souffrances et traumatismes d’autrui ou des ravages des Américains sur les territoires étrangers, ont protesté des internautes. Des médias, dont le Teen Vogue (destiné aux adolescents), ont écrit à leurs lecteurs qu’il n’y avait pas matière à faire des blagues.

Le youtubeur James Charles, qui partage des tutoriels de maquillage sur la plateforme, a créé son propre mème. Le jour de la mort du général Soleimani, il a publié quatre photos de lui travesti, avec la légende : « Moi, quand le gouvernement va cogner à ma porte pour m’enrôler ». En jouant avec la tendance, il a récolté plus de 225 000 mentions « j’aime », tout en faisant la promotion de son image. 

IMAGE TIRÉE DE TWITTER

La publication de James Charles, sur Twitter

Une vague de reproches l’a tout de suite frappé, comme plusieurs autres. « La guerre n’est pas une plaisanterie », ont dit certains. D’autres ont interprété son message comme une raillerie sur l’interdiction aux personnes trans de servir dans l’armée américaine (une décision de 2017 de Trump). « C’est une blague sur le fait que j’ai eu à m’enregistrer à mes 18 ans, comme tous les autres garçons, et que je ne veux pas combattre dans une guerre », a ensuite précisé Charles.

Manque d’empathie

Les jeunes ne normalisent pas la souffrance d’autrui par cruauté, croit Mme Tétreault. C’est plutôt un certain manque d’empathie naïf, surtout lorsqu’il est question d’un enjeu aussi peu concret, pour eux, qu’un conflit au Moyen-Orient ou qu’une guerre mondiale. « La dernière guerre mondiale remonte à plus de 70 ans, soulève-t-elle. La douleur est trop loin. On ne sait pas ce que c’est, voir une ville détruite. »

Comment éviter la banalisation ? En créant un pont entre le mème et les faits, pour informer et sensibiliser les internautes, conclut Cathy Tétreault. 

Car les mèmes ne sont pas une source d’information, mais plutôt des indicateurs de mouvements sociaux, rappelle Marc Alexandre Ladouceur. Son organisme cherche justement à inciter le développement de la pensée critique. « C’est un réflexe à enseigner, soutient-il. Ce qui est important, ce n’est pas tant le mème que la façon dont on va y réagir. Cette réaction devrait être d’aller chercher de l’information supplémentaire. »