La famille de Linda Montpetit compte quatre enfants, âgés de 9 ans à 17 ans. Leur alimentation est à base de végétaux « 95 % du temps », dit la nutritionniste.

En 2019, la réaction que cela suscite a complètement changé. « Avant, on était vus comme des bibittes bizarres, se souvient Linda Montpetit. À l’école, mes enfants se faisaient dire : ‟Pourquoi tu manges végé ? Tu ne grandiras pas.” Maintenant, on leur dit : ‟Oh wow ! j’aimerais tellement manger comme vous !” »

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Linda Montpetit, nutritionniste, est entourée de trois de ses enfants, Adam, 12 ans, Anaïs, 9 ans et Nathan, 17 ans. La famille est végétalienne « à 95 % du temps », dit la nutritionniste.

La publication du nouveau Guide alimentaire canadien, en janvier, a donné le coup d’envoi officiel à une véritable révolution végétale. Ce document, qui influence les menus des garderies, écoles, hôpitaux et résidences pour personnes âgées, recommande de garnir la moitié des assiettes de légumes et de fruits, en réservant un quart pour les grains entiers et un dernier quart pour les protéines. « Mangez plus souvent des aliments protéinés d’origine végétale », comme les légumineuses, le tofu, les noix et les graines, préconise le Guide.

Un changement radical, quand on sait que l’ancien Guide mettait l’accent sur les quantités et donnait la part belle aux produits animaux. Quatre ou cinq portions par jour de « viandes ou substituts » et de « lait et substituts » étaient suggérées aux adultes.

Moins de viande

« Les Québécois réduisent de plus en plus leur consommation de viande, observe Laure Saulais, professeure agrégée au département d’économie agroalimentaire et des sciences de la consommation de l’Université Laval. Mais évidemment, tout le monde n’est pas en train de devenir végétarien. »

Longtemps réservé aux « granolas » purs et durs, le végé s’est démocratisé. En 2019, on mange sans distinction un tofu général Tao ou un sauté de poulet asiatique. « Beaucoup de consommateurs sont flexitariens, note Bernard Korai, professeur à la faculté des sciences de l’agriculture et de l’alimentation de l’Université Laval. Ils vont consommer un peu de viande et beaucoup de produits végétaux. Il y a aujourd’hui une plus grande ouverture. »

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Avec son beau livre de recettes Végé gourmand, paru cet automne chez Modus Vivendi, Linda Montpetit cherche à séduire tous les palais. « À la blague, je dis que ce livre est pour tout le monde qui aime manger, résume Linda Montpetit. Je veux que les gens se disent : Wow ! Ça a l’air bon !”, sans se demander si c’est végé ou non. » Elle n’est pas la seule : Jean-Philippe Cyr (Mes grands classiques véganes), Caroline Huard (Loounie Cuisine), Gabrielle Cossette et Aurélie Lacroix (Comptoir végan) ont tous publié des livres de cuisine végé pour le grand public au cours des derniers mois. Geneviève O’Gleman sortira quant à elle Presque végé, fin janvier.

Dans les chaînes

Française d’origine, Laure Saulais est arrivée au Québec au début de 2019. « Déjà, j’ai pu constater quelques changements, remarque-t-elle. De plus en plus, il y a des offres végétales, notamment dans la restauration de chaînes. » Si Tim Hortons a retiré les produits Beyond Meat de ses restaurants, de nombreux concurrents ont ajouté des choix végés. Même St-Hubert, symbole par excellence du resto familial québécois, propose depuis octobre des lanières de faux poulet.

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Carole Allain

Carole Allain, conceptrice à l’agence de publicité Voyou, observe « une hausse d’intérêt de [ses] clients du secteur agroalimentaire pour des produits s’adressant à une clientèle végane », dit-elle. Deux tendances coexistent : des logos végétaliens sont ajoutés aux emballages de produits existants déjà sans ingrédients d’origine animale (par exemple, des croustilles) et de nouveaux produits sont conçus pour répondre à ce marché (par exemple, des fauxmages, soit des substituts végétaux aux fromages).

Conjoncture de plusieurs facteurs

Pourquoi ce virage végé se fait-il ? « Les prix sont très moteurs, avance Laure Saulais. Dans les 10 dernières années, la hausse la plus importante des prix à la consommation a été sur la viande de bœuf. Comme par hasard, c’est une consommation qui a diminué fortement. » Linda Montpetit le reconnaît sans ambages : avec quatre enfants, manger végé permet d’économiser — au bénéfice de sa santé, à condition de s’astreindre à cuisiner.

D’autres facteurs sont pris en compte par la population, notamment l’empreinte carbone réduite d’une alimentation végétale et les mauvaises pratiques d’élevage et d’abattage. Mais il reste que la majorité n’est pas prête à bannir tout aliment d’origine animale. « Pour encourager les personnes à changer de mode de vie, il faut travailler sur les croyances culturelles, observe Bernard Korai. Ce n’est pas simple. »

Oprah végé une fois par jour

Inspirée par Suzy Amis Cameron, femme du réalisateur James Cameron, la célèbre animatrice américaine Oprah Winfrey s’est engagée cet automne à consommer un repas à base de végétaux par jour, pendant 30 jours. Elle a bien sûr encouragé son public à l’imiter. « C’est une formule géniale, assez facile même pour les carnivores confirmés », a estimé Oprah dans son magazine O.

« L’idée, c’est de végétaliser son menu en ayant du plaisir, sans vouloir absolument se coller un titre », résume Linda Montpetit. Voilà qui fait très 2019 — l’année où on a mangé plus de végétaux que jamais, sans devenir véganes.

Au cours des cinq prochaines années, on prévoit que la consommation humaine de protéines d’origine végétale aura presque doublé.

Source : Protein Industries Canada, mars 2019

Vente au détail de produits alimentaires au Québec

• Légumes et préparations de légumes + 5,5 %
• Viandes et préparations de viandes - 0,2 %
• Haricots rouges en conserve + 3,8 %
• Autres haricots en conserve + 14,2 %
• Trempettes préparées + 9,0 %
• Légumes marinés + 26,4 %
• Tofu et substituts de viande + 25,7 %

Note : Il s’agit du taux de croissance de la valeur des ventes en 2018, par rapport à l’année précédente. Les données pour 2019 ne sont pas encore disponibles.

Source : Ventes au détail de produits alimentaires dans les grands magasins au Québec en 2018, gouvernement du Québec, octobre 2019

• 17 %

Plus de 17 % des Canadiens suivent un régime alimentaire qui bannit la viande ou en réduit l’importance dans leur assiette.

Source : sondage mené en septembre 2018 pour l’Université Dalhousie, en Nouvelle-Écosse

• 43 %

Proportion de Québécois qui disent avoir diminué leur consommation de viande au cours des 5 dernières années. Cette proportion s’élève à 56 % pour les baby-boomers, contre 32 % pour les milléniaux, qui en consomment déjà moins.

Source : Sondage réalisé par Léger Marketing auprès d’un échantillon représentatif de 1500 Québécois, du 7 au 22 août 2019, pour Provigo.