Le bonheur est rarement facile ou permanent. Qu’à cela ne tienne, cet état de grâce est à la portée de tous, malgré les épreuves de la vie, voire grâce à elles. La Presse rencontre chaque semaine quelqu’un qui semble l’avoir apprivoisé.

Dans la cuisine des Filles Fattoush, la folie du temps des Fêtes est déjà commencée. À quatre, elles ont sept commandes à préparer. Une plaque de chips de pita n’attend pas l’autre. Le puissant parfum des épices envahit les narines. Il fait chaud. Mais Maria garde le sourire. Maria, c’est l’éternelle optimiste de ce groupe de réfugiées syriennes qui s’intègrent par la cuisine.

Lorsqu’on lui demande le secret de son optimisme, Maria Alhalak répond par un seul mot arabe, qu’Adelle Tarzibachi, cofondatrice de l’entreprise d’économie sociale, traduit par « satisfaction ». « Lorsqu’on a le cœur en paix et qu’on accepte tout simplement son destin, demain est toujours meilleur qu’hier », ajoute Maria.

Les 40 premières années de sa vie, la femme dans la jeune quarantaine les a passées à Damas, en Syrie. Elle est arrivée ici en mars 2017, avec ses deux ados. Sa fille est aujourd’hui en cinquième secondaire, et son fils, au cégep.

« Je suis venue ici pour mes enfants. Pour qu’ils aient une vie meilleure. Ils sont à la base de ma décision », déclare la cuisinière, qui a laissé deux sœurs en Syrie. Le reste de sa famille habite au Liban, aux États-Unis et en France.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Maria a intégré Les Filles Fattoush, une entreprise qui permet à des réfugiées syriennes de s’intégrer par la cuisine.

Dévotion maternelle

La mère courage répète que son bonheur à elle passe par la réussite de sa progéniture. À une époque où la dévotion maternelle peut sembler suspecte, où l’émancipation est devenue une obligation, c’est une déclaration qui peut surprendre. Surtout lorsqu’elle est suivie de : « Je ne veux pas montrer ma faiblesse. » Mais tout est affaire d’époque, de culture et de contexte. En situation de survie, le parent ne retrouve-t-il pas son rôle le plus primaire, celui de protéger les siens ?

« Plus on vit de difficultés, plus on se découvre de la force », croit Maria. Cela dit, elle est consciente du stress de la réussite que vivent ses enfants et ne semble pas être du genre à exercer sur eux une pression indue. Elle est fière de la capacité d’adaptation dont ils ont fait preuve jusqu’ici, mais lève les yeux au ciel lorsqu’elle évoque leurs crises d’adolescence.

En marge du Bonheur avec un grand B, il y a aussi tous les petits bonheurs de sa nouvelle vie. Ceux que la travailleuse à temps partiel s’accorde sont simples, mais ils lui font le plus grand bien. Manger quelque chose qui lui fait plaisir, comme du chocolat, lui met un sourire aux lèvres. Écouter de la musique entraînante lui donne des ailes. Prendre un café, seule ou avec ses nouvelles amies, lui permet de faire une pause entre un voyage sans voiture chez Costco et autres impératifs du quotidien.

Ici, j’ai trouvé mon autre famille. On rigole, on se raconte toutes sortes d’histoires. De travailler pour Adelle a changé ma vie et m’a permis de bien m’intégrer.

Maria

Aujourd’hui, 12 cuisinières et 2 livreurs travaillent pour Les Filles Fattoush, service de traiteur à vocation sociale fondé en 2017 par l’entrepreneuse Adelle Tarzibachi et Josette Gauthier, productrice de documentaires. Les premières commandes étaient faites par des clients d’envergure comme Sid Lee, IGA, C2 Montréal et l’agence Bob. Tout est cuisiné dans le petit local du secteur industriel de Mont-Royal la journée même, pour une fraîcheur optimale.

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Saveurs syriennes

Bien qu’elle s’ennuie de certains produits de son pays, Maria est impressionnée par les ingrédients d’ici. Elle n’a pas eu l’occasion d’explorer les nombreuses cuisines qui cohabitent dans sa nouvelle ville — « Ah si, la mexicaine ! », se souvient-elle —, préférant peut-être se cramponner aux saveurs de la Syrie.

Car, même si elle est presque toujours souriante et optimiste, la réfugiée admet cacher en elle une profonde tristesse, celle d’avoir dû quitter la terre qui l’a vue pousser pendant 40 ans. Celle d’avoir vu sa grande famille s’éparpiller aux quatre coins du monde.

Ce temps de réjouissances que sont les Fêtes allège un peu son cœur d’enfant. « L’an dernier, je suis allée me promener au centre-ville avec ma fille et mon fils. C’était tellement beau », raconte celle qui ne semble pas avoir perdu une once de sa capacité d’émerveillement. Étant de confession chrétienne, Maria a toujours célébré Noël, « avec un arbre, des desserts et une visite à l’église ».

Les traditions perdurent ici, avec ses enfants et avec sa nouvelle famille. Les Filles Fattoush ont d’ailleurs déjà eu leur « réveillon ». Chez Adelle, elles ont mangé, bu, dansé. Pour une fois, c’étaient elles qui se faisaient gâter et commandaient le traiteur !