(New York) Sous les écrans géants et les tours scintillantes de Times Square, à New York, Maria Bega, déguisée en princesse Anna du film La reine des neiges, se fraie un chemin dans la foule compacte, espérant que les touristes lui donneront quelques dollars en échange d’une photo.

Comme des dizaines de personnages costumés, pour la plupart originaires d’Amérique latine, cette Péruvienne de 32 ans essaie de gagner sa vie en se mêlant aux centaines de milliers de visiteurs qui viennent chaque jour goûter l’ambiance de l’une des plus célèbres places du monde.

Elle ne gagne certains jours pas plus de 20 dollars, et le travail vire au cauchemar. « On vient perdre notre temps, on se gèle et parfois on ne gagne même pas assez pour manger », dit-elle en espagnol.

Qu’il s’agisse de la princesse Anna, d’Elmo, le héros à poils rouges de l’émission pour enfants Sesame Street, ou de superhéros comme Spiderman ou Hulk, pour les touristes ces personnages hauts en couleur font partie des « musts » d’une visite de Times Square et de la « Grosse Pomme ».

Les New Yorkais, eux, ont tendance à éviter le plus possible ce bain de foule et de néons qui s’étend de la 42e à la 47e rue, au carrefour de Broadway. Même si cette place de Manhattan n’a plus la réputation sordide qui lui a collé à la peau une bonne partie du XXe siècle, lorsque boutiques érotiques, prostitués et drogues étaient omniprésents.

Elmo arrêté

Les temps ont changé depuis sur le « carrefour du monde », entouré de théâtres, de restaurants et de grands magasins. Les craintes d’une attaque terroriste justifient en permanence une forte présence policière, mais les principales plaintes aujourd’hui concernent ces personnages costumés.

Plusieurs cas de harcèlement ont été recensés ces dernières années. Un homme déguisé en Elmo a été accusé en septembre d’avoir touché les fesses d’une fille de 14 ans qui voulait prendre sa photo.

Soucieuse de protéger la réputation d’une attraction touristique désormais très familiale, traversée chaque jour par quelque 450 000 personnes, l’organisation des commerçants de la place, The Times Square Alliance, a publié récemment une étude sur ces incidents.

« À cause de ça, la police vient nous embêter. C’est tout juste s’ils nous laissent travailler », déplore Bega, qui ne gagne souvent guère plus d’une trentaine de dollars par jour à se promener au milieu des touristes, et enchaîne le soir avec un autre travail pour nourrir ses deux enfants.

PHOTO DON EMMERT, AFP

Qu’il s’agisse de la princesse Anna, d’Elmo, le héros à poils rouges de l’émission pour enfants Sesame Street, ou de superhéros comme Spiderman ou Hulk, pour les touristes ces personnages hauts en couleur font partie des « musts » d’une visite de Times Square et de la « Grosse Pomme ».

Aucun permis n’est requis pour se promener déguisé sur la place en quête des pourboires des touristes.

Bega a commencé il y a plusieurs années grâce à un ami, et ses collègues viennent du Mexique, de Colombie, de République dominicaine ou du Guatemala.

Jose, un Mexicain qui se déguise en Elmo — sans lien avec l’homme arrêté en septembre —, déplore qu’il ait suffi d’un ou deux moutons noirs parmi ses collègues pour saper le travail de tous.

« Avant, les enfants accouraient vers moi, mais avec les articles disant qu’Elmo agresse les enfants, ce n’est plus le cas », dit-il.

Avec son chapeau et ses bottes de cowboy, Robert Burck, qui chante depuis 20 ans torse nu sur la place, accompagné de sa guitare, semble épargné par ces soupçons. « J’adore travailler dans ce repaire de voleurs », dit en riant cet homme de 48 ans, qui affirme gagner jusqu’à 150 000 dollars par an sur la place.

« Pas rentable »

Times Square, ainsi renommée en 1904 après que le New York Times s’y fut installé (le célèbre journal a déménagé depuis, mais reste à proximité), « a toujours été un peu fou, c’est l’incarnation du capitalisme », confie Tim Tompkins, président de l’association des commerçants de la place.

« Ce qui nous gêne, c’est quand ce n’est pas volontaire », poursuit-il. Il cite l’exemple des personnages qui agrippent parfois un touriste sans prévenir, attendant que leurs collègues rappliquent pour prendre une photo groupée et lui réclamer de l’argent.

L’association voudrait voir instaurées des règles plus strictes pour encadrer cette activité.

Depuis 2016, tous les personnages costumés sont censés rester dans quelques zones bien délimitées de la place, mais beaucoup s’en écartent.

« Nous essayons de faire en sorte que les visiteurs qui ont l’occasion de venir ici passent le meilleur moment possible », souligne M. Tompkins.

Mais pour Bega, l’avenir est désormais un point d’interrogation. « Le travail n’est pas rentable, je ne sais pas si je vais pouvoir continuer », déplore-t-elle avant d’aller rejoindre un ami déguisé en Winnie l’ourson.