Le bonheur est rarement facile ou permanent. Qu’à cela ne tienne, cet état de grâce est à la portée de tous, malgré les épreuves de la vie, voire grâce à elles. La Presse rencontre chaque semaine quelqu’un qui semble l’avoir apprivoisé.

Comme bien des choses, le mouvement #vanlife part d’une bonne intention. Celui d’inspirer le voyage, la liberté, la rencontre, la quête de soi. Mais à l’ère des réseaux sociaux, et d’Instagram en particulier, ça devient souvent une compétition de cartes postales. Paul-Marcel Adam et Sonia Sauvette ont passé 365 jours sur la route, sans publier un seul « #vanlife » !

Lorsqu’on dit de quelqu’un qu’il ou elle « a tout pour être heureux », on pense évidemment à un boulot payant, à un chez-soi confortable, à l’amour, à des amis, à une famille en santé, à des loisirs… Sonia et Paul-Marcel avaient donc tout pour être heureux ! Elle était chargée de comptes dans une multinationale minière et il travaillait en informatique.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Sonia Sauvette et Paul-Marcel Adam ont hâte de repartir sur la route.

« On était au sommet de la fameuse pyramide de Maslow, mais on se sentait bien loin de la transcendance », déclare l’homme à la queue de cheval ivoire. « Il manquait quelque chose. On savait qu’on allait droit dans le mur avec le mode de vie qu’on avait », confirme son amoureuse.

« Les fins de semaine sont immanquablement source d’insatisfaction, écrit Paul dans le livre Un couple dans le van, paru cet automne. Déchirée entre le désir de bouger et son projet de couture, Sonia se plaint de ne pouvoir faire tout ce qu’elle veut. Ses dimanches sont teintés d’angoisse. Pour ma part, j’ai besoin de lire pour me ressourcer. Pourtant, j’entreprends la construction d’un meuble, un ouvrage de longue haleine, ce qui joue contre moi. Ces deux jours de répit ne compensent jamais la semaine écoulée. Aux dernières heures, la mélancolie m’envahit. »

Alors le couple a décidé de faire une coupure d’un an, pour changer le rythme, pour découvrir, pour retrouver le sens de la vie ! Ils ont acheté un camion, fait des plans et mis le cap sur l’Amérique centrale, le 1er juillet 2016, avec 10 ans de vie commune dans leurs bagages.

Sans que ce soit nécessairement voulu ni même conscient, au départ, ils se plaçaient ainsi dans la situation de devoir retourner à la base de la pyramide et de pourvoir avant tout à leurs besoins primaires : manger, boire, dormir et assurer leur sécurité.

Quand tu te trouves à chercher de l’eau et à te demander si tu en auras assez pour passer la journée, quand tu te demandes si tu es stationné dans un endroit où ta vie pourrait être en danger, ça te grounde pas mal.

Sonia

Ce qui a aussi « groundé » la femme qui amorçait sa 41e année sur terre en voyage, c’est la fin de la dictature de l’image. « En tant que femme, ça m’a fait tellement de bien de ne plus avoir de miroir. Je ne me voyais plus, ce qui m’a permis d’être dans l’être, plutôt que dans le paraître. C’est tellement plus facile avec de parfaits étrangers. Entre voyageurs, il y a une absence totale de jugement. On se sent beaucoup plus libre d’être complètement soi-même. »

Une nouvelle zone de confort

Le couple s’est bien adapté à sa réalité nomade et à sa nouvelle simplicité volontaire. Si bien qu’à la mi-parcours, il a ressenti un malaise au Costa Rica, dans la luxueuse maison louée avec des amis. « On a eu un petit moment de panique à l’idée de ne plus être capable de revenir à Montréal, entre quatre murs. Mais on a vite oublié ça pour continuer à vivre pleinement la suite du voyage. »

Ce n’est que sur le chemin du retour que le stress des lendemains qui déchantent est revenu. 

À un moment donné, on s’est rendu compte qu’on n’avait pas eu d’idée lumineuse pour notre avenir. Ce n’est pas vrai que tu trouves une lettre sous un palmier dans laquelle on te dit quoi faire après !

Paul

S’il y a eu une période d’adaptation à vivre, notamment sur le plan de la vitesse à laquelle les choses bougent, en sol montréalais, Sonia et Paul ont fini par trouver leur nouvelle zone de confort. Une amie de longue date, Lison Lescarbeau, a proposé au couple de publier son récit de voyage aux éditions Château d’encre. Sonia a décidé de faire un certificat en coopération internationale. Paul paie les dépenses avec des mandats de développement web.

« On a beaucoup changé notre manière de consommer, explique la menue quadragénaire. On dépense presque seulement sur l’épicerie. On fait presque tout à la maison, même les produits corporels. Le voyage nous a conscientisés sur l’état de la planète. Quand tu nages dans les Caraïbes et que tu sors de l’eau avec plein de petits bouts de plastique dans les cheveux, tu te dis qu’il est urgent de faire attention », raconte Sonia.

Le temps, c’est notre vraie richesse. C’est la seule chose qu’on a gratuitement. Alors c’est devenu presque un jeu pour nous de ne pas dépenser d’argent. Quand on n’avait pas de temps, on dépensait sans regarder. Maintenant, on a du temps et on a appris à faire beaucoup plus de choses nous-mêmes.

Paul

L’importance des rencontres

Dans l’année suivant le retour, Paul a passé beaucoup de temps avec son père, qu’il a par la suite perdu subitement. Sonia est pour sa part allée voir sa mère en France plus souvent. Sans doute avaient-ils été marqués par leurs échanges avec un homme du Guatemala, qui trouvait étrange que le tandem voyage sans sa famille, et plus étrange encore la pratique nord-américaine de « parquer » les personnes âgées dans des foyers.

Autre rencontre de voyage marquante : celle de Ralf et Lisa, dans un stationnement, tasses de café matinal à la main. Sans voir le temps passer, les deux couples avaient échangé pendant cinq heures d’affilée ! « Je me suis demandée c’était quand la dernière fois que j’avais accordé cinq heures de mon temps à un ami. »

Dans l’esprit de Sonia, il n’y a pas de doute que ce sont les rencontres qui font le voyage. 

Quand on est partis, on pensait faire des grandes vacances, avec plein de visites et d’activités, mais ce sont finalement les gens qui nous ont le plus marqués. C’est le fondement de notre humanité. On a besoin des autres. Discuter avec eux répond souvent à des questionnements qu’on a. Et c’est ça, la vraie clé du voyage.

Sonia

Aujourd’hui, Sonia et Paul-Marcel ont une reconnaissance infinie pour ce qu’ils ont vécu dans les dernières années. « On a été chanceux d’avoir envie de la même chose en même temps », réalise Paul-Marcel. « Et même au retour, on a la chance d’être restés sur la même longueur d’onde », conclut Sonia.

Sonia Sauvette et Paul-Marcel Adam sont au Salon du livre de Montréal dimanche, de 16 h à 17 h.

PHOTO FOURNIE PAR LES ÉDITIONS CHÂTEAU D’ENCRE

Un couple dans le van, de Paul Marcel Adam et Sonia Sauvette, Éditions Château d’encre, 224 pages, 23,95 $.

Questionnaire du bonheur

Une définition du bonheur

« Le bonheur, c’est une idée, une aspiration, plus qu’une réalité. Mais si j’avais à le définir, je dirais que le bonheur, c’est de sentir que tu es à ta place », avance Paul-Marcel. « Le bonheur, c’est surtout une manière de voir les choses, je crois », propose Sonia.

Un ennemi du bonheur

« Le stress et la peur, affirme Paul-Marcel. Mais aujourd’hui, ce n’est plus la peur qui nous guide dans la vie. C’est la curiosité. »

Une leçon apprise en voyage

« J’aime cette phrase d’André Gide : “Choisir, c’est renoncer”, déclare Paul-Marcel. On nous fait croire que tout est possible dans la vie. Mais c’est faux. Dès qu’on fait un choix, on renonce à quelque chose d’autre. Sur la route, c’est encore plus évident. On ne peut pas tout faire ni tout voir. »

« Au début, j’ai vraiment eu du mal à assumer mes choix, ajoute Sonia. J’imaginais toujours que ç’aurait été mieux si j’avais choisi l’autre option. Ç’a été dur, mais j’ai fini par lâcher prise. »