L’intelligence artificielle façonne la société de demain et pourtant, moins du sixième de ses travailleurs sont des femmes. Pour attirer les filles dans ce secteur qui a le vent en poupe, le Mouvement montréalais Les filles et le code organise pour une deuxième année l’événement Techno au féminin : l’intelligence artificielle pour changer le monde, auquel prendront part plusieurs leaders féminines de cette industrie.

L’intelligence artificielle (IA) n’est pas différente des autres domaines scientifiques. Malgré les efforts réalisés ces dernières années pour y attirer les filles, elles y demeurent largement sous-représentées. Seulement 12 % des chercheurs en apprentissage automatique, un champ d’études de l’intelligence artificielle, sont des femmes, selon une recherche menée en 2017 par le magazine Wired et l’entreprise montréalaise Element AI. Le rapport 2018 de l’Artificial Intelligence Index indique que 80 % des professeurs en intelligence artificielle sont des hommes. Chez Facebook, 15 % des membres de l’équipe de recherche en IA sont des femmes, contre 10 % chez Google.

« Le pattern se poursuit, mais tout à coup, on voit un intérêt marqué pour l’intelligence artificielle à Montréal et un peu partout. Je crois que c’est porteur d’espoir et peut-être qu’on a des chances de faire une percée », déclare Francine Verrier, marraine du Mouvement montréalais Les filles et le code et membre du conseil d’administration de Concertation Montréal, initiateur de l’événement Techno au féminin, qui réunira près de 250 cégépiennes et universitaires demain, à l’École de technologie supérieure.

Un atout qui joue en faveur de l’IA, selon elle, est sa portée sociale, un aspect souvent recherché par les filles au moment de faire leur choix de carrière.

Par des applications technologiques, on peut avoir un impact
sur les changements climatiques, sur la santé.

Francine Verrier, marraine du Mouvement montréalais Les filles et le code et membre du conseil d’administration de Concertation Montréal

La sous-représentation des femmes dans ce secteur — comme celle des minorités ethniques, d’ailleurs — peut avoir un impact social important. Les ratés liés aux biais introduits dans les algorithmes par un manque de diversité dans les équipes de travail sont bien documentés, qu’on pense à la reconnaissance vocale qui performe mieux devant des voix masculines ou aux systèmes de reconnaissance faciale qui ont de la difficulté à détecter des utilisateurs noirs. L’an dernier, Amazon a même dû abandonner un outil d’intelligence artificielle utilisé pour le recrutement d’employés, celui-ci tendant à discriminer les femmes.

« L’intelligence artificielle est une technologie qui a un impact sur la vie de tout le monde », expose Doina Precup, professeure agrégée à l’École d’informatique de l’Université McGill, membre du Montreal Institute for Learning Algorithms (MILA) et directrice du laboratoire d’intelligence artificielle de DeepMind à Montréal.

S’il y a un groupe qui n’est pas représenté quand on développe cette technologie, c’est possible que ce groupe soit impacté négativement parce que la technologie ne va pas refléter ses besoins et ses valeurs.

Doina Precup

Elle fait le parallèle avec un médicament qui serait développé à l’aide d’études cliniques réalisées sur des composés essentiellement d’hommes et qui pourrait avoir des effets négatifs chez d’autres populations.

« Il y a aussi des idées nouvelles, de la créativité qu’on manquera si ces gens ne sont pas là », poursuit-elle. Elle cite en exemple le projet Biasly AI, un outil créé par des Montréalaises pour détecter et corriger les biais sexistes dans un texte.

PHOTO HELENA VALLÈS, FOURNIE PAR TECHNO AU FÉMININ

Doina Precup, lors de la première édition de Techno au féminin

Des pistes de solution

Comment remédier au problème ? Doina Precup croit qu’il y a encore des recherches à mener pour comprendre pourquoi les femmes sont aussi peu présentes dans ce milieu. Celle qui est originaire de Roumanie note qu’en Europe de l’Est, les deux sexes sont également représentés dans les métiers technologiques puisqu’il est normal pour les femmes d’envisager une carrière dans ce domaine.

Francine Verrier affirme qu’il faut mettre les filles en contact avec ce milieu très tôt, d’où les événements organisés par le Mouvement montréalais Les filles et le code. « Il y a là [dans l’intelligence artificielle] ce qu’il faut pour les intéresser, mais encore faut-il qu’elles le sachent, qu’elles le voient, qu’elles soient en contact avec des femmes qui font des carrières inspirantes en intelligence artificielle. »

Ainsi, celles qui participeront à l’événement de demain, qui affiche complet, pourront notamment entendre Valérie Bécaert, directrice du groupe de recherche chez Element AI, Carolina Bessega, vice-présidente scientifique chez Stradigi AI, Joëlle Pineau, directrice générale chez Facebook AI Research, et Ravy Por, responsable des partenariats et du rayonnement en analytique avancée chez Desjardins et fondatrice de l’OBNL Héros de chez nous.

Mais une fois les filles convaincues de se diriger vers l’IA, encore faut-il les persuader de rester. « Il y a des choses à faire pour améliorer les conditions d’accueil des femmes, admet Francine Verrier. Les entreprises ont certainement du travail à faire. » Doina Precup pense également que les employeurs ont des efforts à faire pour favoriser la conciliation travail-famille. « Ça ne va pas seulement profiter aux femmes, mais à tout le monde qui y travaille. »