Les garçons ont de la misère avec l’école. Ou c’est peut-être l’école qui a de la misère avec les garçons. Certains finissent par croire qu’ils ne sont pas intelligents. Certains se le font dire. Comme François Cardinal, aujourd’hui éditorialiste en chef à La Presse, qui sort le livre Lâchez pas, les gars ! Ce recueil de textes raconte l’histoire d’une dizaine d’hommes qui en arrachaient à l’école et qui, comme lui, ont quand même réussi.

On a du mal à le croire lorsqu’il intervient à la radio, à la télé, ou lorsqu’on lit ses éditoriaux dans La Presse, mais à l’école, François Cardinal était considéré comme un cancre. « Avec un K majuscule », précise-t-il, pour marquer l’ampleur de ses échecs et du calvaire qu’il a vécu au primaire et au secondaire.

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

François Cardinal, éditorialiste en chef à La Presse

Une professeure de français l’a déjà traité de « nul, nul, archinul ». Sa mère était découragée. François Cardinal n’avait pourtant aucun problème d’apprentissage. « J’étais poche par ma seule et unique faute », écrit-il. Ou bien parce qu’il lui manquait quelque chose d’essentiel que l’école lui avait peut-être volé en cours de route : la confiance en lui.

Jusqu’au jour où il a croisé le directeur du pensionnat où il a abouti. Qui a posé un regard différent sur lui, l’a encouragé et fait sentir qu’il n’était pas le cancre qu’il avait fini par croire qu’il était. « En rétrospective, je crois que c’est ce qui m’a donné des ailes, écrit-il encore. Il n’en faut pas beaucoup pour faire bomber le torse à un garçon qui s’est toujours senti rabaissé. »

Des derniers devenus premiers

Le supplice de l’école, c’est aussi ce qu’ont vécu l’homme d’affaires Alexandre Taillefer, le peintre et romancier Marc Séguin, l’humoriste Mathieu Cyr et l’entrepreneur Pierre-Luc Quimper. Ennui, mauvaises notes, impression d’être une bibitte anormale, voire un nono, ces gars-là n’étaient pas des premiers de classe.

« Ce sont tous des garçons qui sont devenus des hommes qui ont réussi professionnellement, ce dont leurs parents devaient douter quand ils étaient jeunes », explique François Cardinal en entrevue. D’où ce message qu’il veut passer aux garçons en difficulté : « tes échecs à l’école ne sont pas un reflet de ce que tu vas devenir ».

Quand on a un garçon qui a de la misère à l’école – c’est mon cas, on a l’impression que sa vie est déjà gâchée ou qu’elle va l’être. Or, ce n’est pas vrai.

François Cardinal

Lâchez pas, les gars ! n’est pas une apologie du décrochage. Tous les auteurs réunis dans le livre invitent au contraire les garçons à s’accrocher. Même si c’est plate, même si c’est difficile. Même ceux qui ont décroché se disent aujourd’hui qu’ils auraient dû persévérer. « Ils sentent qu’ils seraient encore meilleurs dans ce qu’ils font », précise François Cardinal.

L’échec de l’école ?

Quel est le problème des gars avec l’école ? Des pistes se dégagent des différents textes : le manque de motivation, le manque de confiance en soi, les problèmes d’apprentissage, l’incapacité à rentrer dans un moule… Ou peut-être que l’école ne leur convient simplement pas. « L’encadrement d’apprentissage prend les garçons en défaut », ose Marc Séguin dans un texte fort nuancé.

François Cardinal le croit aussi. « L’école est davantage faite pour les filles que les gars, observe-t-il, évoquant au passage la discipline, l’impossibilité de lâcher son fou et l’écart entre le nombre d’enseignantes et d’enseignants. Ce n’est pas propre au Québec, c’est comme ça partout en Occident. »

Ce qui est propre au Québec, c’est l’écart « gigantesque » entre le taux de diplomation des filles et des garçons au secondaire. Il oscille entre 1 % et 5 % dans le reste du Canada. Ici, il est de 14 %. « On a un véritable problème, qui n’est pas pris en main, constate François Cardinal. À une autre époque, on s’est attaqué collectivement au suicide avec une énorme efficacité. Je pense que le prochain grand chantier collectif de réflexion devrait être le taux de diplomation des garçons. »

Valoriser les garçons

Le système n’est pas le seul grand responsable des difficultés des garçons, le contexte social pèse aussi. Être un garçon, devenir un homme, se vit aujourd’hui dans le cadre plus large d’une redéfinition de la masculinité, estime l’éditorialiste en chef de La Presse. On connaît le discours de renforcement positif adressé aux filles : « Prends ta place, tout est possible, go girl ! », énumère-t-il. Mais qu’est-ce qu’on dit aux garçons ?

« C’est plus difficile. Il faut que tu prennes ta place », commence François Cardinal… avant de marquer une pause. On jurerait qu’il allait ajouter : « mais pas trop ». Le sujet est délicat. La lutte pour l’égalité n’est même pas terminée pour les femmes (inégalités salariales, direction d’entreprise, etc.), alors il n’est pas facile, selon lui, d’affirmer qu’il faut faire plus de place aux garçons…

« Tu dis à ton garçon : prends ta place, mais pas trop, n’écrase pas les autres, tente-t-il de nouveau. Prends ta place, mais pas toute la place… » François Cardinal juge qu’on est rendus à un point où, en plus de continuer à encourager les filles à l’école et à les inciter à opter pour des métiers non traditionnels, il faudra développer des programmes destinés seulement aux garçons.

Il est conscient que l’idée peut choquer. Il prend d’ailleurs d’emblée ses distances avec le masculinisme.

Le discours faisant valoir l’importance de redéfinir la masculinité a été porté par des extrémistes. Or, je pense que les hommes raisonnables devraient parler de masculinité sans tomber dans le masculinisme.

François Cardinal

S’intéresser aux futurs hommes et à ces garçons que le système considère comme des cancres lui semble essentiel. « Si les garçons décrochent toujours en aussi grand nombre, on se retrouvera avec bien des hommes qui ne trouveront pas leur place dans la société, bien des hommes frustrés. Il faut s’attarder à la place des garçons, comme on s’attarde à celle des filles, mais d’une autre manière. Encore plus au Québec parce que l’écart de diplomation est tellement important qu’il annonce des problèmes lourds plus tard. »

IMAGE TIRÉE DES ÉDITIONS LA PRESSE

Lâchez pas, les gars !, Collectif dirigé par François Cardinal, Éditions La Presse, 149 pages

En librairie aujourd’hui

Témoignages tirés du livre Lâchez pas, les gars !

Alexandre Taillefer, entrepreneur

PHOTO GRAHAM HUGHES, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

L'entrepreneur Alexandre Taillefer

Les expériences parascolaires ont été aussi déterminantes que les cours dans le parcours de l’homme d’affaires Alexandre Taillefer. « Si tu t’ennuies solidement à l’école, pourquoi ne pas essayer de t’impliquer dans un projet qui t’intéresse ? suggère-t-il. Et si ce qui t’intéresse n’existe pas, que ce soit la radio étudiante, l’improvisation, la robotique, le jardinage ou un club de boursicoteurs, pourquoi ne pas en parler avec quelques-uns de tes amis et le créer toi-même ? »

Marc Séguin, peintre, auteur et cinéaste

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

L'artiste Marc Séguin

« J’ai quatre enfants dans le système scolaire public. Deux filles, deux gars. Je ne suis pas un spécialiste diplômé. Mais je peux affirmer, sans crainte, que l’encadrement d’apprentissage prend les garçons en défaut, observe-t-il. La différence est flagrante. On fait davantage de discipline avec les garçons. » Il croit aussi que les statistiques de décrochage seraient honteuses sans les interventions empreintes d’humanité faites par les professionnels qui œuvrent auprès des enfants. « J’ai parfois l’impression que c’est le système qu’on protège et accompagne », écrit-il.

Le Dr Stanley Vollant, chirurgien

PHOTO OLIVIER PONTBRIAND, ARCHIVES LA PRESSE

Le Dr Stanley Vollant

« L’école, je ne voulais pas y aller », écrit d’emblée le Dr Stanley Vollant. L’innu, sa langue maternelle, y était interdit. « De jeunes Blancs me traitaient parfois de “sauvage”, de kawish, ils disaient que nous, les autochtones, étions moins intelligents, “bons à rien”, écrit-il. Ces insultes sont devenues pour moi une motivation à aller à l’école. » Avant tout ça, il y avait eu l’engagement de ses grands-parents, qui voulaient qu’il soit éduqué pour ne pas être traité « comme un citoyen inférieur dans le monde des Blancs ».

Emmanuel Lauzon, médiateur culturel, conférencier et écrivain

PHOTO TIRÉE DU COMPTE FACEBOOK D'EMMANUEL LAUZON

Emmanuel Lauzon

Atteint d’un TDAH, Emmanuel Lauzon a lâché l’école avant de… quadrupler. « J’ai longtemps cru que j’étais tout simplement stupide. Je sais maintenant que ce n’est pas le cas ; ce n’est pas une question d’intelligence. Toutefois, pour que j’apprenne et que j’assimile bien la matière, il faut que ça se fasse à ma manière : je dois pouvoir choisir quoi, quand, comment, pendant combien de temps, où et pourquoi je le fais, écrit-il. Cette façon de faire est à l’opposé du fonctionnement des écoles traditionnelles. »