Jacq the Stripper est strip-teaseuse, féministe, humoriste, artiste. Elle peut désormais ajouter à cette liste le titre de consultante cinématographique pour Hustlers. Pas le magazine sans s, mais bien le futur film mettant en vedette J.Lo et Cardi B.

Jacq the Stripper, de son vrai nom Jacqueline Frances, est strip-teaseuse depuis 10 ans. Sa déception face à « la représentation uniformément triste et tragique » des travailleurs du sexe dans la culture pop remonte à plus loin encore. Elle énumère : Darryl Hannah dans The Blue Iguana, Elizabeth Berkley dans Showgirls, Marisa Tomei dans The Wrestler, Dianna Agron dans Bare… Que du morose.

C’est pour cette raison que l’Ontarienne établie à New York a accepté de participer au tournage de Hustlers. Un film-événement, dont la sortie est prévue en septembre, produit par Adam Mackay (le brillant type derrière Vice), Will Ferrell (ouaip) et la journaliste Jessica Pressler.

C’est du reste un article signé par cette dernière, et paru en 2015 dans le magazine New York, qui a inspiré le récit. À savoir celui d’un groupe d’ex-danseuses érotiques qui s’unissent pour détrousser des clients de Wall Street. Le tout est adapté et réalisé par Lorene Scafaria, qui nous a donné la comédie romantique dramatique Seeking a Friend for the End of the World.

S’il y a fin de quelque chose dans Hustlers, ce n’est pas du monde, mais plutôt des clichés associés à son univers, espère Jacq. « Ils m’ont engagée pour les aider à dépeindre des femmes fortes, réalistes, qui ne s’excusent pas. »

Des femmes incarnées ici, entre autres, par Jennifer Lopez et Cardi B. Jacq rapporte que la star du hip-hop « a livré ses répliques avec charisme, comme elle seule saurait le faire ». Elle apprécie en outre que Cardi ait moult fois parlé dans les médias de son passé de strip-teaseuse sans se justifier. « C’est puissant. »

Regardez des photos de Jacq sur le plateau de Hustlers

Jacq également a raconté cette expérience dans son autobiographie, The Beaver Show. Un livre, finalement paru en 2015, qu’elle a eu tout le mal du monde à faire publier. La raison ? Aussi simple que bête, dit-elle. « Mon histoire n’était pas une histoire de rédemption. »

C’était plutôt une histoire où elle posait, comme elle le fait toujours d’ailleurs, son œil critique et comique sur l’univers des clubs et les travers de leur fonctionnement. « La direction est souvent composée d’hommes qui n’accordent pas aux femmes le respect qu’elles méritent. Pourtant, un bar de danseuses nues sans danseuses nues, c’est juste un banal bar glauque. »

La vie en bandes dessinées

Il y a quelques années, en attendant que son livre soit publié et qu’une plateforme lui soit enfin donnée, Jacq s’est dit : « Fuck you, les gens. J’ai Instagram. » C’est ainsi que, sur ledit réseau social, elle s’est mise à partager des dessins illustrant « les trucs rigolos que les mecs lui balançaient durant ses shifts au club ». Dans cette série intitulée #100DaysofPleasantries, elle présentait des clients. Par exemple « Ryan, 31 ans, pasteur du Mississippi » qui philosophait : « J’ai toujours pensé qu’être danseuse nue, c’est comme être pasteur. C’est un art de la performance. »

Ou encore « Saul, 52 ans, de Long Island », qui jurait « exister pour la rendre heureuse » : « Je le pense presque ! Je suis à ÇA de le penser pour de vrai ! » Dans un autre dessin, ce même Saul priait Jacq de lâcher un coup de fil à sa maman : « J’aimerais vraiment ça que tu l’appelles. Elle est formidable. »

Plus formidable encore : aujourd’hui, les œuvres de Jacqueline Frances sont analysées dans les universités. Marrant pour une fille qui a passé de justesse son cours de Women’s Studies en 2007 lorsqu’elle était à l’Université McGill. « Je considère que le féminisme doit prendre racine dans le vécu. J’avais du mal à m’identifier au matériel à l’étude, qui était très deuxième vague, très dense, très loin de mon expérience. »

C’est pourquoi elle a voulu rendre compte de son expérience à elle de façon accessible. À l’époque, sur son site, elle a présenté son projet de bédé par ces mots : « Quand les gens expriment réellement ce qu’ils ont à l’esprit (c’est-à-dire : le cul et l’argent), ça me réjouit. C’est adorable, c’est méchant, c’est triste, c’est bizarre et c’est profondément inapproprié. C’est ma vie, et je l’aime tant. »

Aujourd’hui, elle rectifie : « Je ne pense plus que ceux qui fréquentent les clubs de strip-tease sont tristes. C’est plutôt le monde dans lequel on vit qui l’est devenu. Et les bars, eux, se sont transformés en lieux où certains tentent d’échapper à cette tristesse et de libérer leurs insécurités. »

Son verdict : « J’aime mieux composer avec des gens manquant de confiance en eux qui disent des trucs malaisants et fascinants qu’avec des gens ennuyants qui parlent de météo. La météo, je n’en ai rien à foutre. »

Et maintenant ?

Dernièrement, Jacq est inquiète. Il y a eu l’adoption aux États-Unis de la loi FOSTA-SESTA, censée contrer le trafic sexuel et décriée par les travailleurs du sexe. Puis les restrictions au droit à l’avortement. « Il y a un tel désir de contrôle des droits reproductifs que l’on ne parle même plus de plaisir, de désir, de fun. Je pense que l’on va un jour revenir au sexe joyeux. Mais nous n’en sommes pas rendus là. Du moins, pas dans l’arène publique. »

Une arène qui, même dans ses sphères les plus progressistes, se montre souvent insensible aux travailleurs du sexe. Le mouvement #moiaussi, par exemple, Jacq dit s’en être sentie complètement exclue. Prenez l’affaire Louis CK. Combien de fois a-t-on entendu : « Il aurait dû engager une travailleuse du sexe pour se masturber devant elle » ? N’oublions pas : sans son consentement. « Comment une femme peut-elle dire : “Hé ! Toi, le sale type ! Va voir cette autre et manque-lui de respect plutôt que d’en manquer à moi !” ? », se demande-t-elle.

Beaucoup de gens nous perçoivent comme un amortisseur entre les prédateurs sexuels et les femmes qui ne sont pas travailleuses du sexe. C’est horrible. Ce n’est pas féministe.

Jacq the Stripper

Nous lui demandons, nous, ce qu’elle pense de la montée en popularité du « pole fitness » et, surtout, du mouvement #notastripper qui l’accompagne. Un mot-clic utilisé par certaines néophytes sur Instagram pour se dissocier des origines véritables de la « discipline sportive » qu’elles pratiquent. Un peu nul, non ? 

Jacq est catégorique : « TOTALEMENT nul. Si c’est du pole fitncess et pas du strip-tease qu’elles prétendent exercer, pourquoi faire jouer de la musique sexy, revêtir une tenue sexy et porter des talons sexy ? Qu’elles fassent donc du saut à la perche à la place. »

Justement, parlant de saut à la perche, le pole fitness est pressenti pour devenir une discipline olympique… « C’est de l’art ! C’est créatif ! De juger ça pour une médaille, c’est tout ce que le strip-tease n’est pas ! tranche-t-elle. Si ça fait partie des J.O., ces gens ont intérêt à se battre pour les droits des travailleurs du sexe. Ils ont une responsabilité. Celle d’honorer l’histoire de cette discipline, de la respecter. »

Scènes quotidiennes

Jacq l’assure : en général, son existence est calme. Elle passe du temps avec son épouse, promène son chien, arrose ses plantes. « Comme n’importe quel autre trouduc à Brooklyn. » La partie excitante, c’est quand elle est sur scène. En train de danser, oui, mais aussi de raconter des blagues. Car Jacq est également stand-up

En tant que danseuse nue, on n’est pas vraiment encouragée à parler. En tant qu’humoriste, c’est tout ce que l’on attend de nous. Il y a des soirs où je danse et d’autres où j’en parle. L’un nourrit l’autre.

Jacq the Stripper

Et elle peint aussi. Surtout à l’aquarelle. Par exemple des tasses avec l’inscription « T’es tellement bon à être toi ». Elle vend ses œuvres en ligne, à l’intention des « travailleurs du sexe et de leurs alliés ». Car « faire des choses exclusivement pour un groupe précis, ça n’a jamais mené personne nulle part ».

Sa création la plus populaire ? Un chandail avec les mots « Tip her » (« Donne-lui du pourboire »). Comme dans « Donne du pourboire à ta femme de ménage, à la dame qui fait tes ongles, à ta serveuse, à ta barmaid, à ta barista. Donne-lui du pourboire. » Elle crée aussi de chouettes cahiers d’activités. Son plus récent, Strippers Forever, vise à humaniser le travail du sexe. « C’est fait pour relaxer. Faire des mots croisés. Colorier un dessin de joli derrière. Décrocher ! »

Quand Jacq décroche d’une discussion, elle, c’est lorsque quelqu’un lui pose la sempiternelle question : « Peut-on être danseuse nue et féministe ? » Sa réponse de toujours : « Tout le monde doit travailler. La manière dont on soutient sa famille, dont on se nourrit et dont on survit sous le capitalisme, ce n’est des putains d’affaires de personne. De toute façon, dire : “Payez-moi pour être cette créature sexy que vous voulez que je sois en échange d’argent”, je crois que c’est sacrément féministe. »

Comme l’est son message. « Moi, je souhaite donner du pouvoir aux femmes. Pas en enlever aux hommes. En fait, je souhaite surtout leur faire comprendre, à ces femmes, à quel point elles ont déjà du pouvoir. »