Oubliez le corps parfait, musclé, bronzé, en maillot échancré, qui inonde Instagram. Le beach body, le vrai, est rond, mince, poilu, bardé de tatouages, ou pas du tout, bref, multiple et surtout diversifié. Un photographe montréalais s’est mis au défi de vous le dévoiler. Ses photos seront exposées dès demain au café Pista, rue Beaubien.

Objectif ? Qu’on se réapproprie enfin le mot-clic #beachbody qui, au sens Instagram du terme, semble plutôt stéréotypé, limité aux muscles, bikinis et fesses rebondies. « Je vous invite à essayer, si vous tapez #beachbody sur Instagram, plus de 10 millions de photos sont associées à ce mot-clic, toutes des photos du même genre de personnes : super musclées, minces et belles, fait valoir Hamza Abouelouafaa, à l’origine du projet. C’est correct, sauf qu’il n’y a pas qu’un seul type de personne ! »

C’est en constatant son propre complexe, année après année, au retour de l’été – « mon angoisse par rapport à ma prise de poids durant l’hiver » et cette « pression de retourner au gym » –, qu’il a eu l’idée d’en finir avec le modèle unique du fameux mot-clic. Comment : en vérifiant s’il était le seul à vivre le complexe du beach body, en photographiant de courageux participants et en les faisant témoigner.

PHOTO FOURNIE PAR LE PHOTOGRAPHE

Le photographe Hamza Abouelouafaa

J’ai eu énormément de réactions. Et c’est ultra-courageux. Non seulement les gens sont angoissés, mais ils ont pris la peine de se faire prendre en photo !

Hamza Abouelouafaa, photographe

Au total, Hamza Abouelouafaa a fait le portrait de 15 participants, des hommes, des femmes, des gens de couleur, minces ou ronds, complexés tant par leurs fesses, leurs seins que leurs poils. Chaque fois, il en a fait trois clichés : un portrait du visage, un portrait complet (en maillot, vous l’aurez compris), et une « nature morte » (de leur serviette, pour le concept). Mieux : chaque participant a également accepté de témoigner de ses complexes. C’est ainsi qu’on peut lire des confidences aussi intimes qu’universelles : des seins jugés trop petits, trop imposants, un corps trop gros, trop poilu, avec, en sous-texte, une peur du jugement, des comparaisons toxiques et une estime de soi souvent malmenée.

« Ce sont des témoignages ultra-forts de gens qui portent un fardeau. Tu les vois dans toute leur vulnérabilité et toute leur force », affirme le photographe.

PHOTO HAMZA ABOUELOUAFAA, FOURNIE PAR L’ARTISTE

Éric Couto « Je n’ai pas de souvenir de moi non obèse. Enfant, mais surtout adolescent, j’ai vite compris que ce corps était laid, indésirable. Même aujourd’hui, à l’aube de la quarantaine, je ne trouve pas mon corps beau. Le dévoiler apporte comme un murmure : des petites voix du passé en écho distant. »

Leur force ? « Oui, poursuit l’artiste, parce que le photo shoot prouve qu’ils sont passés à autre chose. Pas qu’ils n’ont plus d’angoisses, mais plutôt qu’ils les acceptent, et que ça ne va pas ruiner leur été. L’idée, c’est de s’affirmer face à ses angoisses. » Il espère d’ailleurs que son idée fera des petits et que, ultimement, Instagram sera inondé de beach bodies un brin plus diversifiés.

La sexologue Marion Bertrand-Huot, présidente de l’organisme Les 3 sex* (voué à la santé sexuelle), qui s’est associé au projet, note au passage qu’Instagram peut du coup jouer un rôle très positif. Si le réseau social véhicule certes une image archi-normalisée du corps, de plus en plus de mouvements dits de « body positivity » travestissent ces messages pour les rendre plus « positifs », comme le nom l’indique. « Et nous, on s’inscrit dans cette lutte contre la normalisation des corps », dit-elle. Parce que quand on y pense, un beach body, n’est-ce pas tout simplement un « corps qui va à la plage » ? fait-elle valoir. Qu’on se le dise.

PHOTO HAMZA ABOUELOUAFAA, FOURNIE PAR L’ARTISTE

Catherine Gauthier « Je considère que chaque corps est un beach body, mais je ne reporte pas cette mentalité à moi-même. Je défends la diversité corporelle, mais pas pour moi. Je suis souvent insatisfaite de mon propre corps, je le critique beaucoup, je l’analyse et le hais souvent, alors que c’est le seul que j’ai, qu’il est en santé, qu’il est fort et qu’il est le mien. »

Les photos seront exposées au café Pista dès demain, pour quelques semaines.