(Paris) Aujourd’hui, 14 juillet, les Français célèbrent leur fête nationale en l’honneur de la Révolution. Un petit nombre, pourtant, aurait souhaité que cette date ne soit jamais soulignée. Bienvenue chez les royalistes de France.

C’est une scène improbable, voire surréaliste.

Ce jour-là, sous un ciel bleu azur, une centaine de personnes, mélange de jeunes et de vieux, défile dans les rues de Paris en scandant le nom de Jeanne d’Arc. « Honneur à Jeanne ! Honneur à Jeanne ! »

Plusieurs brandissent des drapeaux fleurdelisés jaune et bleu qui n’ont rien à voir avec celui du Québec. D’autres crient « Vive la France ! » comme si leur vie en dépendait.

PHOTO TIRÉE DU COMPTE FACEBOOK DE L’ACTION FRANÇAISE

La statue équestre de Jeanne d’Arc, située place des Pyramides, dans le 1er arrondissement de Paris

Nous sommes le 12 mai, jour de la fête nationale de Jeanne d’Arc. Comme chaque année depuis 1920, à l’occasion du deuxième dimanche du mois de mai, des militants royalistes sont venus déposer une gerbe au pied de la statue dorée de la pucelle d’Orléans à cheval. C’est elle qui a ramené le roi sur le trône en 1429. Et c’est pour cette raison que, 590 ans plus tard, certains la célèbrent encore.

Leur fantasme ? Que la monarchie soit rétablie en France.

« Ce n’est pas de la nostalgie. On a simplement conclu que c’était le meilleur système », résume Pierre Laedlein, 18 ans et membre actif de l’Action française, la plus grande organisation royaliste de l’Hexagone.

Mouvement minoritaire, mais sérieux

Dans un pays obsédé par la « République », cette fascination pour la monarchie peut surprendre. Mais c’est pourtant vrai. Il est en France un petit groupe de gens qui souhaite vraiment le retour du roi.

Le mouvement est « extrêmement minoritaire sur le plan politique », souligne Baptiste Roger-Lacan, expert du royalisme en France. « Quelques milliers de personnes tout au plus », ajoute le politologue Jean-Yves Camus, spécialiste de l’extrême droite.

Malgré tout, il existe. Discret, certes, largement ignoré des grands médias, risible même, aux yeux de certains. Mais pour ceux et celles qui en font partie, l’affaire est très sérieuse.

Les gens pensent que nous sommes pour les perruques et les visages poudrés. Mais c’est tout autre chose.

Marc Mistral, porte-parole du Cercle légitimiste de Marseille

On en témoigne. Les royalistes à qui nous avons parlé étaient loin de paraître illuminés. Un brin romantiques, peut-être, mais tout aussi éloquents sur le plan de la pensée politique.

Quand nous avons visité les bureaux de l’Action française, près du musée du Louvre à Paris, sept d’entre eux, tous des étudiants, étaient d’ailleurs réunis pour approfondir leur réflexion, tandis qu’un « maître » leur donnait une formation théorique.

Un trône, cinq branches

Le saviez-vous ? Il existe au moins cinq branches royalistes en France (voir capsules). Deux sont plus importantes que les autres, soit les « légitimistes » et les « orléanistes ». Rivales depuis toujours, elles ne soutiennent pas le même prétendant au trône.

Plus libéraux, les « orléanistes » appuient Jean de France, comte de Paris, descendant du frère cadet de Louis XIV.

Plus traditionnels, les légitimistes soutiennent le descendant direct de Louis XIV, issu de la branche espagnole des Bourbon, Louis de Bourbon, qui deviendrait Louis XX s’il montait sur le trône.

Ces deux clans enterrent temporairement la hache de guerre lors de cérémonies en l’honneur de Jeanne d’Arc (deuxième dimanche de mai) ou de la décapitation de Louis XVI (le 21 janvier). Mais ils passent le reste de l’année à s’envoyer des flèches, se discréditant mutuellement à qui mieux mieux.

PHOTO JEAN-CHRISTOPHE LAURENCE, LA PRESSE

Pierre Laedlein et Guillaume de Salvandy, militants de l’Action française, la plus importante organisation royaliste de l’Hexagone

Invité à se prononcer sur la concurrence, l’orléaniste Guillaume de Salvandy, 20 ans, militant de l’Action française, pourfend les légitimistes pour leur « côté noblesse fin de race » complètement « déconnecté de notre époque ».

Questionné dans le même sens, le légitimiste Marc Mistral accuse les orléanistes d’exagérer sur « l’effet people ».

Romantisme et extrême droite

Ils ont au moins des convictions communes. À commencer par celle-ci : la République est l’homme à abattre.

Avec la monarchie, les royalistes sont convaincus que la France réglerait tous ses problèmes. Exit la démocratie parlementaire « rongée par les intérêts personnels ». Exit la logique partisane. Exit les basses polémiques et la vulgarité. Le roi s’imposerait comme une figure de stabilité, un gage d’unité, de continuité et de profondeur historique.

« Il incarnerait l’intérêt supérieur de la nation », résume Guillaume de Salvandy.

Pour Baptiste Roger-Lacan, ce discours relève en grande partie du romantisme politique.

La plupart de ces gens sont royalistes pour des raisons esthétiques. La France serait plus grande et plus belle, parce que, dans leur esprit, la monarchie aurait plus de panache que la république.

Baptiste Roger-Lacan, expert du royalisme en France

Au-delà du glamour et du fantasme, cette vision du monde vient toutefois avec une part de rigidité.

Conservateur tendance catho-traditionaliste, le candidat des légitimistes, Louis de Bourbon, s’est notamment prononcé contre le mariage pour tous et réclame des règles plus strictes pour l’avortement.

Nationaliste et souverainiste, l’Action française rejette de son côté l’Union européenne et l’immigration. Son maître à penser est Charles Maurras, un idéologue controversé de la première moitié du XXe siècle, qui avait soutenu le régime de Vichy et dont les positions antisémites sont bien connues.

Autant de raisons qui lui ont valu d’être classée à l’extrême droite de l’échiquier politique.

Très peu de chances

Selon un sondage BVA datant de 2016, 17 % des Français seraient favorables à un retour de la monarchie.

Ces chiffres ont donné de l’espoir aux royalistes, qui se sentent un peu moins seuls dans leur croisade. IIs savent très bien que la restauration n’est pas pour demain, mais ils s’agitent comme si.

Actifs sur les réseaux sociaux, ils multiplient les événements, les conférences, les cercles de lectures et les séances de formation, voire les entartages si nécessaire, afin de procéder à la « royalisation des esprits ». Ceci expliquant peut-être cela, le mouvement connaît actuellement un petit regain d’intérêt, notamment auprès des jeunes.

Nous n’avons pas la même capacité que les grands appareils politiques, mais depuis quelques années, on parle de plus en plus de nous.

Pierre Laedlein, de l’Action française

On voit mal, du reste, comment ce « projet politique » pourrait prendre de l’ampleur. La France a beau être entourée de régimes monarchiques (Royaume-Uni, Espagne, Belgique, Danemark, Norvège, Monaco, etc.), elle reste extraordinairement jalouse de sa Révolution, acte fondateur dont le haut fait demeure le guillotinement d’un monarque.

« C’est un horizon auquel personne ne croit plus », lance Jean-Yves Camus, évoquant une hypothétique restauration.

« Pourquoi se donner tant de mal pour instaurer un régime qui s’est effondré à trois ou quatre reprises ? ajoute Baptiste Roger-Lacan. Il y a eu énormément de tentatives de restauration, elles ont toutes foiré les unes après les autres. Si bien qu’avec le temps, la république s’est imposée presque naturellement comme forme de régime et que l’idée de la monarchie n’apparaît plus très crédible.

« Avec les Français, il ne faut jamais dire jamais. Mais les chances m’apparaissent colossalement faibles, de l’ordre de 0,0001 %. 

« Et encore… »

Survol des différentes branches royalistes

Les orléanistes

PHOTO TIRÉE DE SON COMPTE FACEBOOK

Jean de France

Ils soutiennent le descendant de Philippe d’Orléans, frère cadet du roi Louis XIV. L’un de ses descendants, Louis-Philippe 1er, fut le dernier « roi des Français » (1830-1848) car son père, Philippe-Égalité, avait soutenu la révolution dans le but de ravir le trône de Louis XVI. Le prétendant actuel est Jean de France, comte de Paris. L’Action française, fondée par Charles Maurras, est la tête de proue politique de cette branche.

Les légitimistes

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Louis de Bourbon

Ils souhaitent qu’un Bourbon monte sur le trône. La branche issue du fils aîné de Louis XIV (Louis le grand dauphin) s’est éteinte avec la Révolution française. Mais la branche espagnole des Bourbon, issue d’un autre fils de Louis XIV, possède de nombreux descendants, dont le prétendant actuel : Louis de Bourbon (Louis XX pour les royalistes), qui est aussi l’arrière-petit-fils du dictateur espagnol Franco.

Les bonapartistes

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Jean Christophe Napoléon Bonaparte

Pour eux, le trône revient au descendant de l’empereur Napoléon. Leur candidat est le prince Jean Christophe Napoléon Bonaparte, 34 ans, descendant du dernier frère de Napoléon, Jérôme Bonaparte. Potin : il vient de se fiancer avec la comtesse Olympia Arco-Zinneberg, descendante de Marie-Louise d’Autriche… deuxième femme de Napoléon. Comme on dit, ça reste dans la famille !

Les survivantistes

Ils croient que Louis XVII, le fils de Louis XVI et de Marie-Antoinette, n’est pas mort dans sa prison du temple en 1795. Pour certains, sa descendance est à rechercher dans la lignée du comte Karl Wilhelm Naundorff (1785-1845), qui prétendait être Louis XVII en personne. Ils servent actuellement le prince Hugues de Bourbon, aujourd’hui libraire dans la région de Tours. Archi-minoritaire.

Les providentialistes

Les royalistes providentialistes s’en remettent à Dieu pour tout ce qui concerne le choix du roi qui, comme chacun sait, est le Lieutenant du Christ pour la terre de France. Ni orléanistes ni légitimistes, ils s’engagent à soutenir tout roi qui sera restauré par la Providence. La charte de Fontevrault, fondée en 1988, est la principale organisation providentialiste. Archi, archi-minoritaire.

L’Alliance Royale

Ce parti politique, fondé en 2001, prône le retour de la monarchie par des voies démocratiques. Pour l’instant, ça regarde mal : la formation n’a récolté que 3150 votes aux dernières élections européennes, soit 0,01 % des voix. La France compte au moins un autre parti royaliste : la Nouvelle Action Royaliste, qu’on décrit comme « royaliste de gauche ».