Dans Le bon, la brute et le truand – un titre qu’il a emprunté à Sergio Leone –, le militant écologiste bien connu des Québécois nous présente le fruit de ses recherches sur le développement de l’intelligence artificielle et son impact sur nos vies. Mais pas facile de faire la promotion d’un livre quand tout le monde attend que vous annonciez votre entrée en politique. Entrevue.

Comment en êtes-vous venu à vous intéresser à l’intelligence artificielle (IA) ?

Au début, je pensais que ce serait un livre sur les liens entre l’environnement et l’intelligence artificielle, mais plus je lisais et plus je voyais d’autres implications. Je me suis d’abord intéressé aux impacts de l’IA sur le monde du travail, puis j’ai découvert, avec la Chine et le concept de crédit social, qu’on pouvait utiliser l’IA à des fins totalitaires.

Quand vous regardez toutes les possibilités de l’IA, vous logez du côté des optimistes ou des pessimistes ?

Je suis optimiste, mais pas gaga avec des lunettes roses. Ce qui m’intéresse, c’est de réfléchir à la manière dont les politiques publiques peuvent maximiser les impacts positifs de l’IA tout en minimisant ses effets pervers. Il y a plusieurs exemples intéressants ailleurs dans le monde qu’on pourrait importer ici, par exemple le règlement sur la protection des données de l’Union européenne pour mieux encadrer la protection des données individuelles et l’utilisation qui en est faite par les GAFA [Google, Apple, Facebook, Amazon] de ce monde. Chez nous, le projet de ville intelligente de Montréal, qui assure que jamais les données utilisées ne seront privatisées, est un exemple positif, mais de manière générale, en Amérique du Nord, c’est un peu le far west.

L’État devrait donc encadrer davantage le domaine de l’IA ?

Absolument. Certains disent que la réglementation va ralentir le développement des technologies, mais présentement, ce n’est pas ce qu’on voit dans l’Union européenne. Il faut ramener dans le domaine public la prise de décision quant à la manière dont l’IA va se développer plutôt que de laisser ça entre les mains de quelques entreprises, c’est-à-dire les GAFA et les géants chinois. Pourquoi aurait-on besoin d’un encadrement réglementaire dans le domaine de la santé, du transport et du bâtiment, mais qu’en IA, on laisserait le soin aux entreprises de dicter les règles du jeu ?

Tout le monde essaie de vous faire dire quand exactement vous annoncerez votre candidature en politique. Dites-nous pourquoi quelqu’un comme vous se lancerait en politique ?

Ça fait longtemps que je me pose cette question, car ce n’est pas la première fois qu’on me le demande. Pour toutes sortes de raisons largement personnelles, j’avais décidé de passer mon tour. Je pense que cette fois-ci, je vais peut-être y aller, car pour moi, c’est une façon de poursuivre le travail que je fais, mais dans une arène différente. Mais la politique n’est pas une fin pour moi. Je ne vais pas en politique pour « aller » en politique, je n’ai jamais ressenti cet appel-là. En même temps, s’il n’y a pas des gens qui s’intéressent aux questions environnementales et sociales… Les sceptiques me citent les exemples de Nicolas Hulot et Luc Ferrandez. Je comprends, mais ça ne veut pas dire que parce que ça n’a pas bien marché pour eux, ça ne marche pas bien pour d’autres. J’ai plein d’amis écologistes qui sont allés en politique et qui y restent malgré les inconvénients.

Vous ne craignez pas de perdre votre liberté de parole ?

Une partie de la réflexion pour moi, c’est : qu’est-ce que je veux essayer de faire ? Est-ce que je vais dans un parti où j’ai plus de chances d’être dans l’opposition et je continue de défendre ce que je défendais, sans compromis ? Ou est-ce que je vais dans un parti où j’ai plus de chances d’être au pouvoir et j’essaie de faire avancer les choses de l’intérieur ? Bien sûr, tous les partis politiques ont une ligne de parti, mais les organisations environnementales aussi ont des lignes de parti.

Vous êtes père d’une famille nombreuse. Avez-vous pris la décision d’aller en politique en famille ?

Une des raisons pour lesquelles je ne suis pas allé jusqu’à maintenant, c’est les enfants. Je voyais l’horaire de travail de fou de ces gens-là et ça ne me tentait pas. En fait, bien honnêtement, ça ne me tente pas beaucoup d’aller en politique parce que je sais que je vais moins voir mes enfants et que je vais trouver ça difficile. Mais le retour possible des conservateurs me force à prendre une décision que je n’aurais peut-être pas prise autrement.

Le bon, la brute et le truand. Ou comment l’intelligence artificielle transforme nos vies. Steven Guilbeault. Druide. 168 pages.