La pratique est interdite au Québec depuis près de 40 ans. Mais ailleurs au Canada, aux États-Unis et en France, la plupart des femmes prennent toujours le nom de leur mari. Des politologues américains viennent de montrer dans une étude qu’au pays de l’Oncle Sam, les politiciennes qui conservent leur nom de jeune fille font face à l’hostilité des hommes peu instruits.

Réactions chez les hommes

Les politiciennes qui conservent leur nom de jeune fille se retrouvent davantage chez les démocrates, se marient plus tard, sont élues jeunes et ont plus souvent un père politicien, montre la première partie de l’étude de Claire Wofford, du Collège Charleston, en Caroline du Sud, qui a été publiée dans le Social Science Journal l’an dernier. « La deuxième partie de l’étude, qui est encore en révision, confirme à première vue nos hypothèses que les politiciennes qui conservent leur nom sont vues par les électeurs comme plus progressistes, plus ambitieuses et moins empathiques, particulièrement chez les hommes et encore plus chez les hommes moins instruits », dit Mme Wofford. 

La moitié des politiciennes américaines conservent leur nom de jeune fille, une proportion beaucoup plus élevée que dans la moyenne des mariages américains. Les chercheurs ont eu l’idée de l’étude en constatant que Hillary Clinton avait abandonné son nom de jeune fille — Rodham — lors de la campagne présidentielle de 2016. Mme Wofford veut, dans l’avenir, voir si les politiciennes sans enfant ayant pris le nom de leur mari sont vues encore plus négativement par les hommes (le cas de figure utilisé pour le moment est une politicienne ayant trois enfants). Une autre étude, publiée en 2010 dans le Journal of Family Issues, avait conclu que les femmes ayant un doctorat étaient 10 fois plus susceptibles de conserver leur nom de jeune fille après le mariage.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

La la première dame du Canada, Sophie Grégoire

Le cas Sophie Grégoire Trudeau

Après l’élection de Justin Trudeau comme premier ministre en 2016, les médias québécois ont souvent relevé que sa femme Sophie Grégoire se présente souvent comme « Grégoire Trudeau » et est même présentée comme « Sophie Trudeau » dans certains médias anglophones, comme c’est l’usage au Canada anglais. Or, le couple s’est marié à Outremont et il est impossible au Québec pour une femme de prendre officiellement le nom de son mari. Étrangement, aucune étude ne s’est penchée sur cette interdiction du changement de nom marital en 1981, selon plusieurs sociologues interrogées par La Presse. « Même en France, où j’ai un peu travaillé, il y a peu d’études sur le sujet », explique Laurence Charton, de l’INRS, à Montréal, qui a travaillé sur les noms de famille composés des enfants au Québec. « C’est comme s’il y avait plus de rites de passage en France. Ça demeure une société plus patriarcale. J’ai des amies qui ont pris le nom de leur mari. »

Flexibilité en France

Le changement de nom marital est tellement fréquent en France qu’il s’agit presque d’un marqueur générationnel. « Les femmes qui ont conservé leur nom de jeune fille sont souvent les féministes des années 70 », explique Caroline Bovar, qui fait son doctorat sur la question à l’École des hautes études en sciences sociales, à Paris. La seule étude quantitative sur la question, note Mme Bovar, a été publiée en 2002 par une sociologue aujourd’hui retraitée qui dénonçait justement ce « patriarcat patronymique ». « Cela dit, dans mes entretiens avec des jeunes mariées, j’ai constaté qu’il y avait une fluidité dans la pratique. On utilise le nom de son mari comme un marqueur social dans certaines circonstances, pas partout. Il faut dire que les femmes se marient de plus en plus tard et qu’elles ont une carrière, un permis de conduire, avec leur nom de jeune fille. Le nom marital a pris une [connotation] affective. Cela dit, comme c’est à sens unique, l’homme prend rarement le nom de sa femme, c’est un peu embêtant. »

Les doubles noms de famille

Plus de 20 % des enfants nés au Québec en 1992 portaient les noms de famille de leur père et de leur mère. Mais cette proportion est retombée à 10 % en 2010, selon une étude de Laurence Charton de l’INRS publiée en 2015 dans les Cahiers québécois de démographie. L’hypothèse de Mme Charton ? C’est dû à l’immigration : les nouveaux arrivants, dont les enfants sont majoritaires dans plusieurs commissions scolaires de la région métropolitaine, ne donnent pas les noms de famille des deux parents à leurs enfants. Chez les parents ayant eux-mêmes un nom composé, vraisemblablement des Québécois « de souche », 75 % donnent un nom composé à leurs enfants, note Mme Charton, qui n’a toutefois pas pu vérifier cette hypothèse de l’immigration. « Nous n’avons pas eu, pour des motifs de confidentialité, toutes les caractéristiques sociodémographiques que nous avions demandées. »

FORTE PROPORTION AUX ÉTATS-UNIS

91 % : proportion des femmes mariées de 15 à 29 ans qui avaient pris le nom de leur mari aux États-Unis en 2004

94 % : proportion des femmes mariées de 45 à 59 ans qui avaient pris le nom de leur mari aux États-Unis en 2004

94 % : proportion des femmes mariées blanches qui avaient pris le nom de leur mari aux États-Unis en 2004

89 % : proportion des femmes mariées afro-américaines qui avaient pris le nom de leur mari aux États-Unis en 2004

Source : Journal of Family Issues