Dès la diffusion des premières images de l’incendie qui a ravagé la cathédrale Notre-Dame de Paris, lundi soir, des milliers de gens ont publié sur les réseaux sociaux « leurs » photos du célèbre monument. Des photos personnelles ou historiques, prises en des temps plus heureux.

« Première rencontre ». « Nos photos de l’an dernier ». « Mes filles l’ont vue en 2016. » « L’image que je veux conserver. » « Nous y étions il y a deux semaines ! » « On y était ! »

Plusieurs de ces photos, prises en solo, en amoureux ou en famille avaient remplacé la photo de profil Facebook ou Instagram. Une initiative encouragée par certains médias, comme CBC, qui invitait lundi soir et mardi matin les téléspectateurs à diffuser leurs souvenirs personnels liés à la cathédrale Notre-Dame.

« C’est une réaction qu’il faut interpréter comme un témoignage de solidarité ou un hommage, croit Arnaud Granata, éditeur d’Infopresse, qui se trouvait à Paris lundi lorsque l’incendie a débuté. On ne savait pas si la cathédrale allait tenir. C’est une façon de dire : “je l’ai visitée”, d’autant plus qu’on ne la verra plus pendant un certain temps… »

Pour la sociologue Chiara Piazzesi, professeure à l’UQAM, cette réaction, « tout à fait normale », permet aussi aux gens de « métaboliser un événement traumatisant ».

« Il y a une tentative d’appropriation, parce qu’il y a une brisure dans la continuité entre le passé et le futur. »

« Quand les gens disent : “J’étais là en 2006 avec ma fille”, c’est comme s’ils cherchaient à préserver la mémoire visuelle de quelque chose qui pourrait être perdu à jamais », ajoute nous dit cette spécialiste des réseaux sociaux.

« C’était une scène invraisemblable, a confié Arnaud Granata à La Presse. Notre-Dame est quand même l’un des emblèmes de la France, elle est visitée par 12 ou 13 millions de personnes chaque année, donc il y avait un sentiment d’impuissance terrible en la voyant brûler, je crois que c’est ce qui a frappé tout le monde. »

Donner un sens

Oui, il y a une recherche de visibilité dans ces publications, nous dit Chiara Piazzesi, mais la sociologue y voit aussi une façon d’inscrire notre mémoire personnelle dans la mémoire historique (même si la cathédrale a été sauvegardée).

« C’est une façon de donner un sens à ce qui se passe, nous dit-elle, évoquant une conversation avec une amie européenne, qui ne pouvait s’empêcher de pleurer. C’est comme si chacun d’entre nous avait perdu quelque chose qui était à lui ou à elle. C’est quelque chose qui nous touche et qui fait partie de la mémoire collective. »

Évidemment, les Québécois ont un lien affectif particulier, culturel et linguistique, avec la France, qui a été pour plusieurs la première destination voyage.

« C’est vrai que c’est un symbole qui va au-delà du patrimoine culturel, religieux ou artistique. Ça fait partie de nos expériences de voyage, de nos destinations de rêve. »

« C’est aussi un lieu qui nous paraît immortel, comme un paysage familier qui ne changera jamais, donc ça frappe l’imaginaire », poursuit-elle.

Ce qui a heurté Arnaud Granata, toutefois, ce sont les selfies de gens devant la cathédrale, pendant qu’elle brûlait.

« Ça m’a choqué, avoue-t-il. Il y a un côté obscène dans ces mises en scène de soi dans un moment dramatique. J’ai trouvé ça inapproprié, déplacé. Comme lorsque Hubert Lenoir a publié un commentaire pour faire la promotion de ses spectacles au moment où l’incendie ravageait la cathédrale… »

Évidemment, la campagne de dons a été nourrie par les nombreux témoignages qui ont été publiés depuis lundi. « Tout profite à cette campagne de dons, croit Arnaud Granata. Le président Emmanuel Macron a lancé ce mouvement, en misant sur l’émotivité des gens, qui sont plus à même de donner en ce moment. Les vox pop, les images, on capitalise beaucoup là-dessus, c’est sûr. [La cathédrale] était encore en flammes, qu’il disait : “Nous allons la reconstruire”. »