C’est Laurent Turcot qui a lancé le débat dans nos pages, lundi dernier, en entrevue avec Marc Cassivi :  les universitaires devraient-ils être davantage présents dans l’espace public ? Font-ils preuve d’un certain snobisme à l’endroit des médias ? Est-ce vrai, comme le dit l’historien, qu’à l’université, « lorsqu’une tête dépasse, on a tendance à vouloir la couper » ? Nous avons posé la question.

Jocelyn Maclure est professeur de philosophie à l’Université Laval. Universitaire et intellectuel bien en vue, on l’entend régulièrement au micro d’ICI Radio-Canada Première et on le voit à la télévision. Le président de la Commission de l’éthique en science et en technologie du Québec estime que les occasions pour les universitaires d’intervenir dans les médias sont nombreuses.

« J’ai impression de vivre dans une société différente de celle de Laurent Turcot, affirme celui qui collabore également aux pages Débats de La Presse+. Comme universitaire, 40 % de mon temps est consacré à l’enseignement, 40 % à la recherche et 20 % aux services à la collectivité. Je n’ai jamais été pénalisé pour mon hyperactivité à l’extérieur de l’université. Je pense, au contraire, que c’est plutôt valorisé de participer au transfert de connaissances. Mais c’est certain que si on néglige nos autres tâches, on peut être remis en question. »

Pas un vrai

Si l’expérience de Jocelyn Maclure est positive, on ne peut pas en dire autant pour tous les universitaires. Plusieurs vivent une expérience qui rejoint les propos de Laurent Turcot. Lyne Morissette s’est spécialisée en écologie des écosystèmes et des mammifères marins. Elle collabore à plusieurs médias et tient la chronique « D’un océan à l’autre » sur ICI Radio-Canada Première. « Je suis très enthousiaste quand vient le temps de vulgariser, lance-t-elle. Je fais de la radio, je visite des écoles, etc. Mais je constate que ce type d’activités crée des frustrations au sein de la communauté scientifique. Il y a une espèce de jugement. On est vu comme un scientifique de deuxième ordre… »

Elle confie avoir longtemps ressenti un sentiment d’échec à cause de cela. « J’avais l’image qu’un scientifique était quelqu’un qui travaillait dans une université avec des étudiants, qui faisait de la recherche. Ça ne fait pas très longtemps que j’ai compris qu’on pouvait être différent. »

Même son de cloche chez Louis-Philippe Lampron, professeur à la faculté de droit de l’Université Laval. « C’est important de montrer la pertinence de notre travail, souligne le chercheur. Il ne faut pas rester cantonnés dans notre tour d’ivoire. » Or il constate qu’il ne se sent pas épaulé par son établissement.

« On ne se fait pas dire de ne pas le faire, mais ce n’est pas reconnu comme un critère d’appréciation. Et on s’expose au jugement des collègues qui y vont de petites phrases assassines. Comme si le fait de collaborer à des médias était une perte de temps, au mieux un hobby. Il y a l’idée qu’on ne travaille pas vraiment quand on fait cela. »

— Louis-Philippe Lampron, professeur de droit de l’Université Laval

Selon Benoît Melançon, professeur au département des littératures de langue française de l’Université de Montréal, les universités devraient clarifier leur position à l’endroit des professeurs qui collaborent avec les médias. « Est-ce que c’est valorisé ou pas ? demande ce chercheur qu’on entend à la radio depuis une vingtaine d’années. Il y a un flou autour de cela. Les universités devraient se faire une tête là-dessus. »

Parler la même langue

Certains universitaires rêvent de passer leur vie entre les murs de leur classe ou de leur laboratoire. Ils frissonnent à la seule idée de devoir accorder une entrevue à un journaliste. D’autres estiment toutefois qu’il est de leur devoir de prendre la parole dans l’espace public. « Nous avons une responsabilité de rendre notre recherche disponible et de l’expliquer, affirme Élyse Caron-Beaudoin, stagiaire postdoctorale à l’École de santé publique de l’Université de Montréal. Nos travaux de recherche sont financés par les fonds publics. » Benoît Melançon le croit aussi. Lui qui a créé le blogue L’Oreille tendue encourage d’ailleurs ses étudiants à investir l’espace numérique. « Je considère que ma participation dans les médias fait partie de mon travail de professeur et c’est ce que je dis à mes étudiants au doctorat : vous devriez avoir une identité numérique et un blogue. »

Il faut toutefois être conscient qu’une participation dans les médias comporte certains risques. « Il y a la peur de ne pas être cité correctement, de perdre le contrôle, note Louis-Philippe Lampron. On craint les controverses inutiles qui seraient amplifiées par les réseaux sociaux. Disons que le climat actuel n’invite pas nécessairement à y aller. »

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

Benoît Melançon

Tic, tac, tic, tac

L’autre facteur qui refroidit bien des universitaires, c’est le temps. « Les recherchistes vont te dire : pas trop long, pas trop compliqué, pas trop universitaire, lance Benoît Melançon. Ça trahit l’image négative implicite qu’on a des universitaires. »

« Je comprends les impératifs des médias, mais de notre côté, il faut prendre le temps de bien se renseigner si on veut faire une intervention rigoureuse, note Jocelyn Maclure. La rigueur devrait être la première valeur qui nous guide dans nos interventions. » Même son de cloche chez Élyse Caron-Beaudoin, qui a entre autres participé à l’émission Les aventures du Pharmachien sur la chaîne ICI Explora. « Si je refuse une invitation, c’est parce que je considère que je ne suis pas la meilleure personne et je vais proposer quelqu’un de plus qualifié que moi. Oui, nous sommes pointilleux, mais nos collègues et notre employeur vont nous lire ou nous écouter. C’est important qu’on puisse bien maîtriser notre message, car nous serons jugés sur cela. J’ai parfois l’impression que les journalistes ne sont pas conscients de ces enjeux-là. »

La grande séduction

Comment convaincre un universitaire d’accorder une entrevue à chaud pour commenter l’actualité du jour ? C’est le défi d’Isabelle Roberge, journaliste à la recherche à la quotidienne 24|60, animée par Anne-Marie Dussault. Chaque jour, on y voit défiler les acteurs de l’actualité ainsi que de nombreux spécialistes grâce au travail d’équipe en amont. « J’épluche constamment les revues de presse, les listes de participants aux colloques, aux commissions parlementaires, les regroupements de chercheurs, les think tanks, explique Isabelle Roberge, qui travaille à l’émission depuis 2011. On se fait des listes de fous ! J’ai toujours quatre ronds allumés en même temps : en avant pour ceux qui réagissent vite, en arrière pour les “long shot”, avec toujours la même volonté de diversité. Par exemple, trouver des intervenants du reste du Canada qui s’expriment bien en français. » On peut également entendre de nombreux universitaires au micro de l’émission Plus on est de fous, plus on lit !, deux heures quotidiennes animées par Marie-Louise Arsenault. Le défi est différent, car on planifie le contenu plus longtemps à l’avance. « On approche les gens selon leur intérêt et leur expertise et ils sont habituellement réceptifs et volontaires, note Maude Paquette, chef recherchiste de l’émission où l’on peut entendre entre autres Élisabeth Vallet, Joseph Yvon Thériault et Pierre-Luc Brisson. Nous avons le souci de faire découvrir de nouvelles voix. »