Liliana Segre est une survivante de l’Holocauste. Elle avait 13 ans lorsqu’elle a été envoyée dans les camps de la mort à Auschwitz, où ont été tués son père et ses grands-parents. Elle en a 89 aujourd’hui.

Cette dame élégante a été nommée sénatrice à vie en Italie, en janvier 2018. Depuis qu’elle a suggéré que le parlement italien mette sur pied un comité pour combattre le racisme et l’incitation à la haine, elle reçoit au quotidien, depuis quelques jours, jusqu’à 200 messages antisémites sur les réseaux sociaux.

PHOTO ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Liliana Segre

Certaines de ces menaces sont si sérieuses, rapportait cette semaine le quotidien italien La Repubblica, que Liliana Segre a été placée sous protection policière par le préfet de Milan, sa ville natale. Une survivante de la Shoah menacée de mort sur les réseaux sociaux… parce qu’elle combat la haine. On en est là.

Cette semaine, Twitter m’a rappelé que depuis 10 ans je suis inscrit à son réseau social — qui a d’ailleurs pris son véritable envol en 2009. Dix ans où j’ai vu cette plateforme se transformer, dans son essence, de lieu d’échange convivial en déversoir de fiel.

Il y a 10 ans, grâce au #FF « Follow Friday », on incitait les abonnés à suivre un compte Twitter que l’on jugeait intéressant. Aujourd’hui, je passe plus de temps à masquer ou bloquer les comptes d’inconnus qui m’insultent à divers degrés qu’à rédiger des gazouillis. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle ma page Facebook est privée.

Si les réseaux sociaux — en particulier Twitter — restent pour moi une mine d’information incontournable et un fil de presse indispensable, ce n’est plus la joyeuse communauté d’esprit qui m’a séduit à ses débuts. Je me passerais bien, si ce n’était du travail, de ce que ce réseau social est devenu. C’est-à-dire un lieu de clivage entre gens aux antipodes les uns des autres : nationalistes et multiculturalistes, gauche et droite, baby-boomers (qui traitent les milléniaux de « petits lapins ») et milléniaux (qui ont popularisé l’expression « Ok Boomer »).

PHOTO ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Tomi Lahren

Là où il y avait surtout de l’humour et de la bienveillance coule désormais un flot incessant de colère et de bêtise. Cette semaine, la commentatrice de droite américaine Tomi Lahren, qui a près de 1,5 million d’abonnés sur Twitter, y a traité la militante écologiste Greta Thunberg de « petite merde » (« little turd »). Ce n’est plus une insulte au ras des pâquerettes. C’est le caniveau. Le mentor de Tomi Lahren, le président des États-Unis, Donald Trump, adepte compulsif de Twitter, patauge souvent dans les mêmes eaux.

Une multitude de trolls anonymes n’existent virtuellement sur les réseaux sociaux que pour provoquer, insulter, moquer, dénigrer. Un anonyme à tête d’œuf vous traite de tous les noms parce qu’il estime qu’une expression dans votre chronique est un calque de l’anglais. Un troll sous pseudonyme vous souhaite de vous faire violer à coups de balai parce que vous n’avez pas aimé un spectacle pour ados. Il y a 10 ans, je ne recevais pas ce genre de commentaires. Aujourd’hui, c’est mon lot quotidien.

Il ne faut sans doute pas s’en étonner. Le climat sur les réseaux sociaux est à l’image du climat social. Un climat de suspicion de l’autre et de manque d’empathie. Un climat toxique, de racisme et de haine décomplexés.

Une jeune Québécoise a dénoncé mardi sur Facebook ce qu’elle considère être du « harcèlement psychologique » des immigrants de la part de la CAQ. Anastasia Marcelin est d’origine haïtienne. Dans les commentaires sous sa vidéo en direct, des dizaines étaient non seulement racistes, mais d’une haine inouïe.

Tel quel : « Grosse négresse tu caliss », « Ma te tirer cris de chienne », « Tu suce tu au moins », « Tu vaut rien », « Va te pendre », « Il existe des containers pour du monde comme toi », « Quelqu’un devrait faire brûler une croix sur un gazon quelque part », « Je pensais que j’écoutais la planète des singes », « Tu nous rapportes rien parce que vous passez votre temps à vous reproduire au lieu d’aller travailler comme tout le monde ». Et j’en passe, des plus racistes et misogynes encore (si c’est possible).

Le lendemain, Anastasia Marcelin a appelé ses amis Facebook à ne pas faire d’amalgames ni verser dans les généralités. « Il y a des bonnes et des mauvaises personnes dans toutes les communautés, a-t-elle écrit. Hier, certains rats étaient sortis de leur cachette. »

Ces « rats », ces racistes, ont des noms. Contrairement à ce qui est habituel, ils n’ont pas été caviardés sur les réseaux sociaux. Ils sont facilement identifiables, notamment par leur employeur (le cas échéant) et par la police. Est-il besoin de le rappeler ? Des menaces de mort, même sur les réseaux sociaux, ne sont pas sans conséquence.

La page Facebook québécoise Celui qui le dit s’est donné pour mission récemment de mettre un visage sur les commentaires haineux qui circulent sur les réseaux sociaux. Ses administrateurs publient « des commentaires trouvés sous des posts publics, collés sur la photo publique de celui qui le dit ». Tout est « authentique », précisent-ils. Le contraste est souvent saisissant entre le commentaire émis (sur Jagmeet Singh, Éric Lapointe, Greta Thunberg ou encore Catherine Dorion) et la photo de l’émetteur. Mais ce n’est pas parce qu’on rit que c’est drôle.

Le premier ministre François Legault, imperméable au concept de « bulle idéologique », s’est enorgueilli cette semaine du fait que 90 % des commentaires sur sa page Facebook sont favorables aux politiques de la CAQ. Il aurait intérêt à consulter la page Facebook d’Anastasia Marcelin. Il n’y trouvera rien pour se péter les bretelles.