Philippe veut une blonde. Cherche. Mais ne sait plus où trouver. Le témoignage d’un quadragénaire célibataire, publié la semaine dernière dans nos écrans, a provoqué un déluge de réactions. Du jamais vu, de mémoire de journaliste. Photos, descriptions, pitch, ça ne fait aucun doute : plusieurs femmes veulent maintenant Philippe. Explication et analyse d’un phénomène moins anecdotique qu’il n’en a l’air, en quatre temps.

#jesuisphilippe

« Salut, peux-tu lui donner mes coordonnées ? » 5 h 54, dimanche dernier. Le soleil n’est même pas encore levé. À peine publiée, la chronique Derrière la porte, témoignant de la quête amoureuse d’un quadragénaire ordinaire, suscite déjà un solide intérêt, lequel ne s’est pas démenti de la semaine. Plus de 70 messages (pour dire vrai, on a arrêté de compter) de femmes (et une poignée d’hommes), faisant écho à Philippe, tous sur le même ton : « je suis la version féminine », « le pendant féminin », « je vis au féminin sa situation ». Bref, « je suis Philippe ». Plusieurs femmes en ont profité pour nous partager leur vécu, leur désillusion (abandon ?) des rencontres en ligne, et surtout leur soif d’un gars « simple, vrai, allumé et qui veut bâtir ». D’où le succès dudit Philippe (nom fictif, faut-il le rappeler), qui disait justement être du type « steady ». Plus de trente femmes nous ont carrément (et sans détour) demandé de lui envoyer leurs coordonnées (ce qui a été fait, soyez-en assurées les filles, nous y viendrons plus bas). Photos et descriptions détaillées (insérez ici le nom de votre choix, 50 ans, maman de trois merveilleux enfants, etc.) à l’appui. En précisant, souvent, aimer le vélo (un point commun !). Vouloir construire. Bref, cherchant du sérieux. En prime : une mère, une sœur, une collègue et bon nombre d’amis de célibataires nous ont aussi envoyé un mot, voire directement téléphoné !

Réaction

« Écoute, je suis un peu surpris quand même, et en même temps, pas tant que ça, rit le (désormais) fameux Philippe, un brin nerveusement, au bout du fil. J’imagine que je ne suis pas la seule personne comme ça. Et ce n’est pas une affaire d’homme ou de femme. On cherche peut-être tous un peu la même chose. » Dire que quand nous nous sommes rencontrés, il croyait ne pas avoir matière à article. « Parce qu’il ne se passe rien, résume-t-il. C’est ordinaire. Mais je ne suis pas si seul, il faut croire. Peut-être qu’une majorité de gens cherchent et ne trouvent pas. » À la question que vous vous posez toutes, mesdames, oui, il a trouvé vos profils très intéressants. C’est clair. Mais non, il n’y donnera pas suite. Question de pudeur. De gêne. Et surtout pour protéger son anonymat. « Je suis comme ça. Je ne veux pas me mettre tout nu [métaphoriquement], dit-il. Ce n’est pas quelque chose que je voudrais partager avec ma famille. Je ne me sens pas à l’aise. » Assez à l’aise pour partager sa vie à une journaliste, certes, mais pas assez pour abandonner sa confidentialité. Ce qui ne l’empêche pas d’avoir mis le doigt sur un bobo visiblement partagé. « À une certaine époque, ça se passait sur le perron de l’église. On n’avait pas 2500 candidats en quelques clics. C’est peut-être… trop ? »

Ras-le-bol du virtuel

Manifestement. Il n’est pas seul à le penser. L’humoriste et auteure Anne-Marie Dupras, à qui l’on doit un nouveau podcast sur le sujet (Ma vie amoureuse de marde), en plus d’un livre et d’une page Facebook, entend ce genre de discours régulièrement. « Il y a un grand désespoir, tant chez les hommes que les femmes. D’un côté comme de l’autre, tous sont très découragés, dit-elle. On a l’impression que la vie est un catalogue. C’est rendu de la consommation, et plus une affaire de sentiments. »

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L’humoriste et auteure Anne-Marie Dupras

Le sexologue Vincent Quesnel, qui voit passer plusieurs célibataires comme Philippe dans son bureau (des gens qui ont « de l’allure » comme on dit, mais qui ne rencontrent tout simplement pas) confirme : « Les gens ont développé un cynisme par rapport au virtuel. Ils avaient espoir, et ils ont perdu espoir. On voit ça en politique, mais moi je le vois dans la quête amoureuse. » À l’heure des « matchs », la vive réaction des femmes au témoignage de Philippe témoigne, selon lui, d’une véritable soif de « réel ». D’autant plus que son récit, en toute candeur, avait quelque chose de la petite annonce, circa 1990. « Avec un profil de gars sécuritaire, pas volage, qui avait l’air d’un bon amant et d’un bon père de famille. »

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Le sexologue Vincent Quesnel

Le célibat : le mal du siècle

« Quand les possibilités étaient plus limitées, on était moins difficiles ! » La sociologue Madeleine Pastinelli, professeure à l’Université Laval, et auteure de nombreux articles sur la question (elle planche sur le sujet des relations en ligne depuis vingt ans), ne mâche pas ses mots. D’après elle, le témoignage de Philippe incarne littéralement le « mal du siècle ». « Le célibat et la quête amoureuse des gens de cet âge, c’est le grand mal du siècle », dit-elle. On le sait : autant il est difficile de rester en couple (à une époque où un couple sur deux finit par se séparer), « autant on n’a pas renoncé au rapport amoureux. »

PHOTO TIRÉE DE SA PAGE WEB

La sociologue Madeleine Pastinelli

La sociologue comprend d’ailleurs parfaitement la réaction des femmes : non, Philippe n’est pas une star ou un pilote de ligne, mais plutôt « un gars sérieux qui veut s’engager ». Quand on sait qu’il est plus dur pour une femme, mère célibataire et quadragénaire de surcroît, de rencontrer sur les applications (contrairement aux idées reçues), parce que les femmes ratissent typiquement moins large que les hommes (elles visent une « fourchette d’âge » plus étroite) et surtout parce que, même en garde partagée, elles portent le gros du « travail parental », le profil de Philippe, le bon gars qui veut s’engager, ça « interpelle », dit-elle. Ce qui ne veut pas dire que dans le réel, ça cliquerait davantage. C’est le paradoxe de l’heure, conclut-elle : « En même temps on rêve d’engagement, en même temps on est extrêmement difficiles ! » À méditer…

>> Relisez le témoignage de Philippe