On la connaît pour son travail de photographe et sa prise de position contre la « grossophobie ». Cette fois, Julie Artacho met de côté l’image pour user du poids des mots. Non pas pour dénoncer les préjugés envers les gros, mais pour témoigner de la souffrance et du silence liés à la violence sexuelle. Les avalanches, sa première pièce de théâtre, sera présentée un soir seulement, le 25 juillet, dans le cadre du ZH Festival.

Le projet a vu le jour en décembre dernier. Invitée à participer à Nice Try (belessai), une soirée de création spontanée, Julie Artacho a pigé ce thème : « la grande grande noirceur ». « Je me suis dit : la grande grande noirceur des femmes, c’est peut-être un peu la culture du viol », remarque-t-elle. De cette réflexion est née une performance de 10 minutes qui a été portée à 30 minutes pour sa présentation au ZH Festival.

Il s’agit d’une première expérience pour la photographe qui a aussi une formation en théâtre. « Je trouvais que j’avais de la limitation en photographie à exprimer certaines choses dans la culture du viol, dit celle qui a participé en 2016 au recueil de textes Sous la ceinture : unis contre la culture du viol. De combiner un show et du texte que j’ai écrit, c’est une manière d’exprimer quelque chose que je n’aurais jamais pu faire en photo. »

La pièce, dont elle signe le texte et la mise en scène, sera interprétée par sept comédiennes et danseuses, dont Fanny Migneault-Lecavalier qui prêtera sa voix et sa musique à la performance. Pour évacuer tout aspect hétéronormatif et éviter d’associer l’homme à l’agresseur et la femme à la victime, Julie Artacho a choisi de ne faire appel qu’à des interprètes féminines.

Inspirée de sa propre histoire, mais aussi de celles de son entourage, Julie Artacho souhaitait mettre en mots et en gestes la souffrance que vivent les personnes victimes d’agressions sexuelles. « Une avalanche, c’est quelque chose que tu peux regarder et trouver très beau et fascinant, expose-t-elle. En même temps, c’est incroyablement brutal, brusque et ça ramasse tout. Et tu peux en mourir ou pas. J’aimais beaucoup cette image-là. »

Pour provoquer

Avec cette pièce, Julie Artacho admet qu’elle cherche à provoquer. « Ça m’intéresse de voir à quel point il faut que les gens soient confrontés à cette culture-là pour réagir. Qu’est-ce qu’il faut pour qu’ils soient des alliés, pour qu’ils comprennent la gravité de la situation ? » Elle est sortie bouleversée de la première répétition.

C’est tellement intense, tellement violent. En même temps, je me dis : ça va être violent pour 30 minutes, mais pour les personnes qui vivent ça, c’est une vie entière de violence.

Julie Artacho

L’appropriation du corps de l’autre, la dénonciation et la confusion des gestes sont les trois grands thèmes autour desquels s’articule la pièce. « Une chose qui est vraiment importante pour moi, c’est le droit à la confusion, affirme Julie Artacho. Dans mon cas personnel, c’est vraiment ça. Avec l’après #metoo, il y a des trucs qui sont venus me chercher. Toutes ces histoires où il y avait de la confusion et où je n’étais pas sûre. On a le droit de ne pas comprendre sur le moment ce qui se passe. On a le droit de le dire des années plus tard. »

« Pour moi, ça a commencé avec Jian Ghomeshi [l’ex-animateur à la radio de CBC accusé et ensuite acquitté d’agression sexuelle], poursuit-elle. J’avais eu une date qui a mal tourné et je ne l’avais pas nommée comme agression. Mais à force d’en entendre parler, je me suis dit : ah, c’est ça le mot que je peux mettre dessus. »

Bien que le mouvement #moiaussi ait permis de libérer une certaine parole, il a, selon elle, engendré plus de témoignages que de dénonciations, un acte qui peut être encore extrêmement difficile pour les victimes. Par l’intermédiaire d’un sondage réalisé sur Facebook, Julie Artacho a demandé à ses contacts qui ont déjà été victimes d’agressions sexuelles de révéler quel était leur lien avec leur agresseur. « Mon père », « mon frère », « un ami », « un inconnu » : la liste sera lue dans son intégralité pendant la pièce.

Julie Artacho est consciente qu’il est possible que des spectateurs quittent la salle pendant la représentation. S’il s’amorce chez ces gens ne serait-ce que le début d’une réflexion, elle pourra se dire « mission accomplie ».

Le 25 juillet, 20 h, à la maison de la culture Maisonneuve