La petite sirène, en version originale de Disney, a pris l’affiche en 1989. Le succès de ce film marque le début de la Renaissance de Disney, une période de 10 ans au cours de laquelle le studio sort un long métrage d’animation par an. Surprise : les personnages féminins quittent alors leur rôle passif pour devenir des héroïnes. « On passe des princesses classiques qui pratiquent leurs tâches ménagères en virevoltant comme dans un ballet à Ariel qui sauve Éric de la noyade », analyse Tamara Rousseau, dans un mémoire en études cinématographiques déposé récemment à l’Université de Montréal. Alors que sort bientôt la relecture du Roi lion — et qu’une version live de La petite sirène est en préparation —, voici huit de ses constats sur les films qui ont bercé la jeunesse des milléniaux.

1. Influence sur les jeunes

Née en 1991, Tamara Rousseau a regardé à répétition les films d’animation de Disney, dans son enfance. « Mes parents sont séparés depuis que je suis super jeune et je suis enfant unique, raconte-t-elle, attablée dans un café montréalais. J’avais plein de films en cassette, pour m’occuper. » Son préféré ? Hercule, sorti au cinéma quand elle avait 6 ans, avec sa redéfinition du héros et son personnage féminin « très cool », note-t-elle. 

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

« J’ai passé mon enfance à écouter Mulan, Hercule, La belle au bois dormant et Cendrillon, dit Tamara Rousseau. Je les avais en cassettes VHS. »

Les œuvres de Disney ont influencé ses choix de vie, comme ceux de plusieurs jeunes adultes autour d’elle. « La force de caractère de Megara [du film Hercule, 1997], le courage de Mulan [de Mulan, 1998] ou encore la curiosité et l’amour des livres de Belle [La Belle et la Bête, 1991] » sont quelques-uns des traits de personnalité qu’elle dit avoir adoptés. Forte de son attachement aux œuvres de Disney, Tamara Rousseau a été déçue de ne trouver que des études s’attardant aux aspects problématiques des films. Elle a décidé de s’intéresser aux héros et aux héroïnes de Disney et a découvert qu’ils avaient bien changé à partir de 1989.

2. Explosion du nombre de héros

Tamara Rousseau a analysé tous les longs métrages d’animation originaux parus entre Blanche-Neige et les sept nains, en 1937, et Tarzan, qui clôt la période dite du Second Âge d’or ou de la Renaissance, en 1999. Elle a compté 16 héros ou héroïnes, dont seulement 4 dans les films anciens et 12 dans la période de la Renaissance, qui est caractérisée selon elle par « un renforcement de l’héroïcité ».

IMAGE ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Blanche-Neige et les sept nains

Qu’est-ce qu’un héros ? Pour citer Zeus (une première dans notre carrière de journaliste) dans le film Hercule : « Un vrai héros ne se mesure pas à la grandeur de sa force, mais à la force de son cœur. » Contrairement au protagoniste, qui fait aussi avancer l’histoire, le héros ou l’héroïne est capable de se sacrifier pour les autres, en plus d’être un modèle à suivre.

3. La promesse de la vierge

Avant Ariel, la sirène aux cheveux rouges, les personnages féminins de Disney étaient plutôt passifs. Ils correspondaient à l’archétype de « la promesse de la vierge », théorisé par la Canadienne Kim Hudson. « À ses débuts, en raison de sa différence, la vierge est une menace pour sa communauté, explique Tamara Rousseau. La délivrance ne vient d’ailleurs pas pour sa communauté, mais pour elle-même. Elle va trouver sa place dans le monde, en acceptant ses règles. »

IMAGE FOURNIE PAR DISNEY

Cendrillon

Un bon exemple : Cendrillon, du film du même nom sorti en 1950. « Son but est d’aller au bal, rappelle Tamara Rousseau. Mais ce n’est pas elle qui fait sa robe, ce sont les souris. Quand sa robe est déchirée, Cendrillon pleure, et c’est sa marraine qui l’aide. Combattre sa belle-mère Lady Trémaine, récupérer la chaussure, prouver qu’elle était la demoiselle du bal, ça ne sauve pas sa communauté. Ça la sauve, elle, d’un destin triste et tragique. »

4. Avènement des héroïnes

Ariel est, quant à elle, une vraie héroïne, comme Belle, Pocahontas (Pocahontas, 1995), Megara et Mulan. « Quand la situation ne fait pas son affaire, Ariel va faire un pacte avec la sorcière, souligne Tamara Rousseau. Elle dit : “Je veux être une humaine, transforme-moi.” Elle prend des décisions et elle vit avec les conséquences. Ça montre qu’on peut faire des erreurs. Il faut les assumer et on finit par s’en sortir. »

Ces quatre héroïnes partagent des points communs, selon la chercheuse : la détermination, une quête identitaire, un grand niveau d’activité au sein du récit et une libération sexuelle. « Dans les années 90, le but des héroïnes et des héros n’est plus de plaire à la communauté, observe la chercheuse. C’est de trouver leur place unique dans le monde. »

5. Nouvel archétype

Pendant la Renaissance Disney, les héroïnes et les héros doivent faire un double apprentissage : ils doivent d’abord faire la paix avec leur vraie nature, avant de sauver le monde. Tamara Rousseau propose de nommer ce nouvel archétype le « dépassement de l’apprenti ».

Mulan en est un bon exemple. « Au début, comme Mulan est une femme en Chine médiévale, son opinion n’est pas prise en compte, illustre Tamara Rousseau. Elle essaie de trouver sa place dans un monde qui la rejette. Son père étant blessé, elle part à la guerre à sa place, se faisant passer pour un homme, jusqu’à ce qu’elle soit découverte. Là, elle réalise que, pour être à sa place, elle va prendre le meilleur des univers féminin et masculin. C’est ce qui lui convient et ce qui lui ressemble. C’est ensuite qu’elle va sauver la Chine. »

Mulan a-t-elle pu accompagner les jeunes adultes qui s’affirment aujourd’hui comme non-binaires ? « Je n’irais peut-être pas jusqu’à dire non-binaire, réfléchit Tamara Rousseau. Mais j’ai beaucoup d’amies qui ne voulaient rien savoir des robes et des poupées quand elles étaient petites. Le message de Mulan, qui est qu’être une fille ne veut pas juste dire aimer le rose et porter des robes, ça les a guidées et aidées. »

6. Sexualité et amour

Longtemps, seules les vilaines comme la belle-mère de Blanche-Neige utilisent leur sensualité chez Disney. Il faut l’arrivée de Pocahontas pour qu’un personnage féminin positif prenne l’initiative des baisers. « C’est elle qui embrasse John Smith, souligne Tamara Rousseau. Ce n’est pas une jeune fille prude qu’on voit. Ce n’est pas une dévergondée non plus. Ce sont des adultes qui s’apprécient, qui s’aiment et qui prennent l’initiative de le démontrer. »

IMAGE FOURNIE PAR DISNEY

John Smith et Pocahontas dans Pocahontas

Grand changement : l’amour n’est plus le but ultime de la quête des personnages féminins — Pocahontas ne se marie même pas à la fin ! En contrepartie, l’amour romantique est toujours nécessaire à l’évolution des… personnages masculins. Simba (dans Le roi lion, 1994), Hercule, John Smith et Tarzan deviennent meilleurs grâce à l’amour d’une femme (ou d’une lionne, on aura compris le principe).

7. Gentils méchants

Deux méchants, la Bête et Megara, deviennent des héros, ce qui est nouveau chez Disney. « D’entrée de jeu, ils sont l’antagoniste de l’héroïne ou du héros, indique Tamara Rousseau. Éventuellement, on apprend qu’ils sont méchants en raison de leur passé, qui les a blessés, rendus amers et colériques. Grâce à l’héroïne ou au héros, ils vont s’adoucir et faire un sacrifice pour sauver le monde. »

IMAGE FOURNIE PAR DISNEY

La Belle et la Bête

Voyant qu’une colonne tombe sur Hercule, Megara le pousse. Elle est blessée à sa place, ce qui permet à Hercule de sauver le reste du monde. « Avant, les méchants étaient assez unidimensionnels, note la chercheuse. Là, c’est le fun de voir que, dans la vie, même avec un début plus difficile, on peut s’en sortir avec de la patience et de l’amour. »

8. Plus de diversité

Auparavant, « les héros Disney étaient des hommes blancs ou des animaux qui représentaient des hommes blancs, analyse Tamara Rousseau. Dans La belle au bois dormant, tout le monde est blanc, sauf la méchante fée Maléfique, qui est verte. Elle correspond à la représentation de l’autre dans la société ».

Heureusement, en 1992, Disney propose Aladdin, puis trois ans plus tard Pocahontas — des films critiqués, qui présentent néanmoins des héros d’origine diversifiée. « J’ai une amie autochtone, témoigne la chercheuse. Elle m’a dit : “Pocahontas, ce n’est pas le modèle le plus extraordinaire qui soit. Mais quand j’étais enfant, elle m’a permis de penser que je pouvais être cool et forte.” »

Disney évolue peu à peu. La relecture en prise de vues réelles de La Belle et la Bête, sortie en 2017, présente un premier personnage homosexuel. Quant à la prochaine Ariel, elle sera incarnée par l’Afro-Américaine Halle Bailey. « Je serais vraiment contente qu’il y ait une plus grande représentation des communautés LGBTQ+ et des personnes racisées dans les films de Disney, dit Tamara Rousseau. En même temps, si on regarde les blockbusters pour adultes, ils ne sont pas rendus là non plus. Pourquoi en demanderait-on plus à des films pour enfants ? »

Lisez le mémoire de Tamara Rousseau