L’entrevue téléphonique avec La Presse vient à peine de commencer que Marie-Eve Turcotte est bombardée de messages sur son téléphone intelligent. Elle prend quelques secondes pour y voir et nous revient.

« Bon, je suis en train d’écrire un message à quelqu’un qui vient chercher quelque chose… », nous dit-elle.

Ce quelque chose, ce sont des blouses mexicaines dont Marie-Eve souhaite se départir. Et ce quelqu’un, c’est une personne qui a vu son annonce sur Marketplace, une sous-section de Facebook destinée à la vente et à l’achat d’objets usagés qui fonctionne avec la géolocalisation.

Marie-Eve Turcotte, designer intérieur de 38 ans, vend beaucoup sur Facebook. Elle affiche ses annonces sur Marketplace (la plateforme centrale de Facebook) ainsi que sur différents groupes du réseau social desquels elle est membre. Ce sont des bazars virtuels qui réunissent des vendeurs et des acheteurs en fonction de leur lieu de résidence ou de leurs intérêts.

« Depuis que j’ai accouché, il y a deux ans, je me suis mise à utiliser ça en folle, ces applications-là, résume, en riant, la résidante du quartier Rosemont. Je me suis mise à épurer ma maison. Il y a du monde qui vient presque tous les jours chez nous pour acheter quelque chose. C’est pas des farces ! »

Marie-Eve achète aussi des biens, tant sur Facebook que sur Kijiji : des meubles, ses vêtements, ceux de son fils… Grâce aux groupes Facebook dont elle est membre, elle a pu établir des liens avec des mères de son quartier qui lui vendent des vêtements d’enfant de grande qualité qu’elle n’oserait jamais acheter neufs. « Et dès que ça ne lui fait plus… je les revends », ajoute Marie-Eve, qui souligne que tout cela lui prend du temps.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Marie-Eve Turcotte vend beaucoup sur Facebook. Elle affiche ses annonces sur Marketplace (la plateforme centrale de Facebook) ainsi que sur différents groupes du réseau social.

Les réseaux sociaux s’y mettent

Il y a 15 ans à peine, l’achat de biens d’occasion était très stigmatisé, rappelle Fabien Durif, directeur de l’Observatoire de la consommation responsable, à l’ESG UQAM. C’est l’arrivée des grandes plateformes comme Kijiji qui a mis au goût du jour le marché de la seconde main, dit-il.

Et depuis 10 ans, ce marché ne fait que progresser. Même des détaillants, comme IKEA, se mettent de la partie, note Fabien Durif. « Les réseaux sociaux participent aussi à ce mouvement-là, c’est évident », convient-il.

Chaque année depuis cinq ans, Fabien Durif et son équipe réalisent l’Indice Kijiji de l’économie de seconde main. Financée par Kijiji (qui appartient à eBay), l’étude sonde les Canadiens à propos de leurs habitudes en la matière.

La cinquième édition paraîtra à l’été. Elle montre en effet une légère progression des réseaux sociaux — tous confondus — et de la plateforme Marketplace de Facebook, « mais on est encore très loin des grands acteurs qui ont réussi à s’imposer sur le marché », précise Fabien Durif.

Au Canada, Kijiji est loin devant, dit-il.

Facebook investit

N’empêche, depuis le lancement de Marketplace, en 2016, le géant Facebook travaille fort pour se tailler une place dans ce marché en croissance, constate Thoma Daneau, expert en marketing numérique. « Facebook a mis beaucoup d’efforts sur ses groupes de vente locaux, constate-t-il. Et à cause de ça, ça a vraiment augmenté la popularité de Marketplace. »

Les utilisateurs qui publient une annonce sur l’un de ces groupes peuvent désormais, en un clic, publier la même annonce sur Marketplace et sur d’autres groupes. Marie-Eve Turcotte, par exemple, publie sur Marketplace et sur 10 autres groupes de vente à la fois.

Le nombre de ces groupes a d’ailleurs explosé depuis cinq ans. On trouve des groupes généraux, comme Montreal Blackmarket, Facebook Online Garage Sale, Articles de bébé à vendre ou à donner, ainsi qu’une multitude de groupes de vente de quartier.

« ll y a 10 ans, j’utilisais Kijiji, mais maintenant, je n’y vais plus jamais », confie Gaëlle Lebreton, qui a fondé en 2013 le Bazar de Villeray, qui compte désormais plus de 18 000 membres.

Gaëlle ne gère plus ce groupe Facebook aujourd’hui, mais elle continue à y dénicher et à y vendre des objets. Si elle choisit la seconde main, dit-elle, c’est autant pour faire des économies que pour réduire son empreinte environnementale.

« On est tellement tout le temps plogué sur Facebook qu’on n’a même plus besoin de faire des recherches, constate Gaëlle : les objets à vendre apparaissent automatiquement dans le fil Facebook. Ça nous crée parfois des besoins qu’on n’a pas… »

Facebook utilise des algorithmes pour proposer des annonces à ses utilisateurs en fonction de leurs recherches précédentes. « La semaine dernière, je vendais des vélos pour enfant. Et là, je n’arrête pas de voir des vélos pour enfant à acheter, note Gaëlle. Et c’est ça qui me dérange le plus : Big Brother… »