Depuis mardi, la Société des arts technologiques (SAT) accueille un ensemble vocal mené par la chanteuse Rafaelle Mackay, figure de proue de la musique thérapeutique. Human Instrument est une expérience immersive et méditative, qui mêle le son à la matière. Explications.

Étendu sur un pouf poire, les yeux rivés dans le dôme de la Satosphère, on attend patiemment le début de cette performance vocale qui s'annonce aussi étrange qu'étonnante. Pour l'occasion, la chanteuse anglo-montréalaise Rafaelle Mackay a fait appel à trois amis: le chanteur d'opéra Geoffroy Salvas, la chanteuse libanaise Lamia Yared et le beat-boxer Olivier Mota (aka Spectrax).

L'ensemble dirigé par Isabella Salas s'apprête à plonger dans ce projet hautement expérimental, mi-scientifique, mi-mystique.

Dès les premières notes, des animations apparaissent, activées par le son. Appréciez la mécanique: les voix sont diffusées par un haut-parleur sur lequel on a déposé un bol contenant un mélange d'eau et d'alcool. Les vibrations des notes créent des ondes qui sont captées par une caméra et projetées dans le dôme. Couleurs et animations complètent le tableau visuel.

Question et sous-question

Tout est parti d'une interrogation: comment le son peut-il avoir un impact sur la matière? Sur le plan anecdotique, il y avait aussi cette sous-question : comment résoudre les problèmes d'insomnie d'Isabella Salas?

L'étude de la cymatique, qui s'intéresse à la visibilité des vibrations sonores, a guidé ces créateurs des temps modernes. «On s'est rendu compte que la matière liquide est celle qui réagit le plus au son, nous dit Rafaelle Mackay, formée en chant jazz à l'Université Concordia. De la même manière, notre corps est perméable au son. Et ce son agit sur notre être, notre équilibre moléculaire, notre esprit.»

Pour la chanteuse anglo-montréalaise, cette expérience immersive est l'aboutissement de tout ce qu'elle a fait par le passé. 

«C'est une expérience très signifiante où la voix humaine s'insinue en nous. Où l'on sent ses vibrations.» 

«J'espère créer un moment de réflexion, un moment d'arrêt où l'on peut simplement être, élargir notre horizon, ce serait déjà pas mal.»

Inspiré par l'Inde

Cette dimension spirituelle de la musique, Rafaelle Mackay l'a acquise lors d'un séjour d'un an en Inde, où elle s'est initiée au chant sacré.

Après avoir été membre du collectif Kalmunity Vibe, qui réunit des chanteurs, musiciens, rappeurs et poètes adeptes d'improvisation, Rafaelle Mackay s'est lancée dans le chant improvisé où se multiplient sons et créations phonétiques. «Je suis en pleine confiance dans le moment présent», nous dit-elle. Le chant méditatif a suivi, tout naturellement; l'artiste crée des «espaces» de méditation.

Concrètement, la chanteuse thérapeutique a accompagné des patients en fin de vie, dans des unités de soins palliatifs. «C'est une façon d'aider les gens qui sont en fin de vie à lâcher prise, à se détacher de la réalité. Les sons et la rythmique les transportent dans une autre sphère, explique-t-elle. On ne chante pas des chansons qu'ils connaissent. On explore plutôt des mélodies dans une langue inventée, céleste, ancestrale, plus profonde que notre existence. Ça les surprend, peut-être aussi qu'ils s'autorisent à se laisser traverser par quelque chose de nouveau.»

Photo Olivier Jean, La Presse

Premier et dernier soupir

Rafaelle Mackay se souvient d'avoir chanté pour une femme qui était sourde et qui lui tendait les bras en tournant la tête vers elle au son de sa voix. 

«On dit que l'ouïe est le premier sens que l'on expérimente à la naissance et le dernier au moment de mourir.»

Elle évoque aussi un homme pour qui elle chantait deux fois par semaine et qui a poussé son dernier soupir au moment où elle chantait.

«Sa femme était très présente. Mais ce jour-là, elle m'a dit: "Je vais vous laisser seule avec lui." Pendant que je chantais, il est parti. On m'a expliqué que c'est souvent lorsqu'elles sont seules que les personnes mourantes s'en vont. C'était un moment intense, mais très paisible et très beau. Même si je ne connaissais pas cet homme, c'est comme si la musique l'avait transporté dans l'au-delà, tout doucement.»

Maintenant que Human Instrument a été lancé, Rafaelle Mackay espère faire une tournée avec cette performance hypnotique en ajoutant des compositions. «Je trouve que c'est une belle combinaison de l'utilisation de la technologie et de la voix, qui est tellement organique. C'est une façon de fusionner nature et culture.»

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À la SAT jusqu'au 6 octobre.

Photo Olivier Jean, La Presse